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Littérature
dans la Pologne des années vingt
" L'Avant-garde polonaise "
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Avant propos
Il n'y a pas très longtemps que les historiens de la littérature
et critiques manifestent de l'intérêt pour les avant-gardes
artistiques et littéraires d'après la première
guerre mondiale; jusqu'à une époque récente,
on considérait encore les courants artistiques d'après
guerre (guerre 14-18) comme des manifestations de créateurs
rétrogrades, débiles, alcooliques et dépourvus
de grands talents littéraires et surtout soucieux d'attirer
l'attention à tout prix et de choquer le grand public.
De nos jours " choquer " à quelque peu perdu
de sa valeur et est devenu un moyen assez banal de diffuser un
message, bref le but principal étant de communiquer !
Littérature, arts plastiques, cinéma et théâtre
constituent un terrain d'expérimentation pour ces hommes
enthousiastes et profondément idéalistes qui se
nommeront successivement dadaïstes, expressionnistes ou futuristes,
et qui militent en faveur d'un monde débarrassé
de ses haines ancestrales, du mensonge politique, de toute forme
de dictature et d'oppression politique et surtout en faveur d'une
liberté totale d'expression et d'une esthétique
révolutionnairement autre.
En grande partie, ces artistes appartiennent à la famille
politique de la social-démocratie progressiste.
Parallèlement la linguistique novatrice participe intensément
à ce bouillonnement génial d'idées; le caractère
éphémère de la plupart des oeuvres et groupes
avant-gardistes en Pologne comme ailleurs suffisait à les
faire condamner en bloc
et si " par hasard " un
des artistes avait du succès après du grand public
il était considéré comme une talentueuse
exception ( !).
Mais malgré cette ambiguïté, les avant-gardistes
polonais, les futuristes en particulier, furent progressivement
reconnus par une certaine frange du public, et non plus seulement
par une minorité d'intellectuels, qui lui reconnut non
seulement un intérêt intellectuel mais aussi une
valeur esthétique.
D'une manière générale, les années
vingt furent une période décisive pour tous ces
jeunes écrivains et artistes (révolutionnaires ou
non), en Pologne et ailleurs qui rêvaient d'un monde meilleur
débarrassé de ses mythes du moyen-âge et qui
avaient vraiment foi au " grand changement ".
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Alfons Karpinski: peintres et artistes
positivistes/ constructivistes en réunion au bistrot-cabaret
de Jama Michalika de gauche à droite:
Stanislaw Debicki, Karol Frycz, Wojciech Weiss, Stanislaw Kamocki,
Stefan Filipkiewicz, Jozef Mehoffer, Jozef Czajkovski |
Beaucoup s'accordent à voir
dans le développement des littératures occidentales
du début du XIXème siècle à nos jours,
une tendance à l'autonomisation.
C'est un idéal qui sommeille en chaque écrivain, utopie
pour les uns
idéal pour les autres la littérature
deviendrait ainsi une institution distante de toute idéologie,
elle serait ainsi irrécupérable politiquement.
Mais cette évolution ne s'accomplit pas au même rythme
dans tous les pays et nous savons bien qu'en Pologne, la littérature
a connu, et connaît encore, une mobilisation presque constante
au nom quasi exclusif du patriotisme.
Il faut savoir qu'en Pologne, politique et littérature étaient
fondues dans une même fournaise incandescente soudées
en un amalgame d'une telle force qu'il était quasi impossible
de distinguer l'une de l'autre.
La continuelle interaction de la " parole " et de "
l'action ", autrement dit l'interaction de la pensée
romantique et de l'action politique, de l'histoire et de la littérature,
a imprégné à tous les niveaux la Pologne et
les Polonais du XIXème siècle.
Ainsi la parole a inspiré l'action, l'action a inspiré
une parole nouvelle et la parole nouvelle a inspiré une autre
action, d'autres actions ont inspiré d'autres paroles nouvelles
et ainsi de suite
Le patriotisme est un sujet assez délicat qui est généralement
entouré de confusion.
Comme en tant d'autres domaines, le véritable changement
dans les attitudes du patriotisme polonais ( évolution
depuis le " sarmatisme " de la noblesse polonaise, la
Szlachta ) fut provoqué par les les partages successifs
( période couvrant une période de +/- 125 ans),
qui furent de véritables traumatismes dans l'inconscient
collectif des Polonais.
En Pologne, le patriotisme exacerbé devint l'objet d'un
secret passionné et d'un mysticisme extrêmement développé.
Il se fondait sur un système de croyances irrationnelles
dont l'acceptation exigeait un acte de foi et qui devaient servir
de guide pour la vie quotidienne dans un monde hostile et également
irrationnel.
Le patriotisme polonais avait des exigences aussi rigoureuses
que celles d'une religion monothéiste ( ici le catholicisme,
laisse tout et suis moi ! )
Le combat contre l'injustice sociale a toujours été,
dans la Pologne des partages, implicitement inclus dans la lutte
nationale.
Le concept de Naród (nation) englobait celui de lud (peuple).
A ce deuxième terme (lud) Boleslaw Prus et Eliza Orzeszkowa
ont bien commencé à donner une acceptation plus
précise, en y associant des couches sociales mésestimées,
en montrant ces paysans, ces prolétaires et le lumpenprolétariat
des villes en pleine expansion, ces juifs comme des personnes
humaines, dignes d'inspirer la " pitié " et de
participer au corpus socio-politique et à l'être
national, ils voulaient montrer " l'autre Pologne "
et ses réalités.
Ce faisant, les Positivistes détournaient quelque peu
les regards de l'intelligentsia du spectacle, du passé
nobiliaire et idéalisé, du paradis perdu pour les
porter sur l'actualité et sur l'avenir.
Si dans les domaines culturels, l'époque des insurrections
coïncida presque exactement avec l'âge d'Or du romantisme
polonais (incapables de concevoir leurs univers selon les principes
rationnels et harmonieux des Lumières, écrivains
et artistes se tournèrent vers l'exploration de l'esprit),
l'échec de l'insurrection de janvier 1863 et les terribles
représailles infligées à ses partisans amenèrent
à une révision radicale des attitudes politiques
et littéraires.
Ainsi après l'interlude romantique de la conspiration et
de la résistance, les artistes et écrivains voulaient
faire revivre les valeurs dominantes au siècle des Lumières,
le positivisme ou période du " travail organique "
( très bien décrite dans le roman de B. Prus "
Lalka ") était né.
A cette époque, la littérature continuait à
être florissante, le roman social prenait le pas sur la
poésie et le théâtre des romantiques
Boleslaw Prus (1847-1912) ne s'intéressait ni aux insurrections
ni aux héros politiques, lui s'intéressait à
la réalité du monde qui l'entourait; en Pologne
comme dans le reste de l'Empire russe, où l'émancipation
tardive des serfs (1864) fit affluer un nombre croissant de migrants
ruraux de différentes communautés et de différentes
régions dans les villes et les usines de l'ouest des territoires
polonais où ils rejoignaient la classe ouvrière
naissante, alors que la paysannerie tentait de survivre tant bien
que mal dans les campagnes, c'était cela, la réalité
à laquelle s'intéressaient les positivistes tel
que Prus.
Mais cette dynamique positiviste n'a guère été
poursuivie; elle a été interrompue par les oeuvres
(romans historiques) de H. Sienkiewicz (1846-1916), de J. I. Kraszewski
(1812-1887) ou encore les peintures historiques de Jan Matejko
(1838-1893), qui opéraient ainsi un retour au passé
national, valeureux et idéalisé.
Cette interruption s'opère aussi par l'oeuvre de W. Reymont
(1868-1925) qui oppose à la ville - quintessence du mal,
de la misère, du lumpenprolétariat acculturé
et du déracinement- le monde de la campagne dur et pur,
belle et joyeuse, refuge des traditions, avec lequel les "
Noces " (Wesele, 1901) de S. Wyspianski (1869-1907) ordonnent
de " fraterniser ". (*1 : voir notes bas de page)
Cette vision passéiste et bucolique, empreinte de l'ancienne
culture nobiliaire n'est pas profondément mise en cause,
même pas par l'apparition d' une littérature parallèle
à la constitution du parti socialiste polonais.
Pourtant Brzozowski, à la veille de la première
guerre mondiale, un homme aux multiple facettes, il est philosophe,
critique littéraire et romancier, s'est attaché
à renouveler le sens du message révolutionnaire
polonais.
Brzozowski tente de réhabiliter le geste insurrectionnel,
qui va de pair avec une " révision "du héros
romantique typique : l'acte de révolte, originellement
imparti du Szlachcic, c'est-à-dire du noble, il le voit
transmis dans l'avenir -via l'INTELIGENT au ROBOTNIK SWIADOMY
(. journal de gauche), à l'ouvrier conscient, au prolétariat.
Brzozowski est, sans nul doute, un novateur, il est ouvert aux
idées nouvelles et étrangères ( même
russes! ), surtout à Dostoïevski à sa conception
particulière du christianisme et du messianisme russe.
A cette même époque, le monde politico-littéraire
" fin de siècle " oùtous les changements
semblaient cruellement lents devant l'inertie pétrifiée
des attitudes en politique, en art et dans les relations socio-humaines,
apporta l'humus de la frustration dont allait sortir l'insolent
surgeon du modernisme.
Né de l'impression que le progrès est une illusion,
une chimère et les réformes une mascarade pure et
simple, l'artiste créateur pouvait encore justifier son
existence par l'audace de ses symboles et le panache de son style,
le mouvement polonais faisait écho à l'Art Nouveau
ou Jugendstil, l'"art pour l'art" et aux sécessionnistes.
La personnalité dominante était alors Stanislaw
Przybyszewski (1828-1927), critique, publiciste et idéologue
de la " Jeune Pologne " (Mloda Polska).
C'est aussi à cette époque que l'Académie
des Beaux-arts de Cracovie (ASP Krakow) connut son apogée.
En 1914, à la veille de la Grande Guerre, la nation polonaise
avait dépassé le risque d'extinction; les masses
nouvellement instruites étaient conscientes de leur identité,
la vie sociale et politique intégrait les problèmes
contemporains et la vie culturelle était toujours aussi
bouillonnante.
Quand en 1914-1918 l'univers des Empires s'écroule avec
une effrayante rapidité, la nation polonaise se révéla
assez mûre pour prendre son destin en main; les artistes
et autres écrivains ne voulaient certainement pas manquer
ce tournant de l'histoire nationale.
g 1918
Restauration de l'Etat polonais: la chose publique reprend ses
droits (Rzeczpospolita Polska)
La vocation combative et civique de la littérature semble
devoir disparaître à la résurrection de l'Etat
polonais.
Même si, jusqu'en 1921, le régime du maréchal
Pilsudski et les frontières sont assez fébriles
(même après l'entente de Brest-litovsk, la tension
était constante avec l'Union-Soviétique !), le climat
est à l'euphorie.
Les poètes du groupe SKAMANDER (* 2 : voir notes bas de
page) de la " jeune Pologne ", chantant cette joie de
vivre, ce bonheur retrouvé et cette volonté d'insouciance.
Les vers du poète Lechon en témoigne :
"
Et qu'au printemps je voie
Non la Pologne
Mais le printemps
"
En cette célébration destinée au "
printemps " et du jour " d'aujourd'hui ", l'intérêt
pour la vieille cause nationale est moins absent qu'il n'y paraît
( !).
Entre-temps les jeunes poètes futuristes polonais rompent
violemment avec les valeurs traditionnelles de la littérature
polonaise et annoncent une tendance à l'autonomisation
de la littérature, en fait leur mouvement qui fait partie
de l'évolution littéraire et artistique dans toute
l'Europe est une réaction radicale contre l'art officiel
et la censure. (* 3 : voir notes bas de page)
Il y a alors des échanges constants entre les deux groupes
que la critique confond le plus souvent.
Mais les futuristes se montrent beaucoup plus radicaux que leurs
amis: matérialistes, violemment anticléricaux, ils
s'opposent au nationalisme, à la démagogie populiste
et proclament leur sympathie pour la dissolution de leur mouvement,
parallèlement à cela et dans le contexte socio-politique
d'après-guerre s'opère inévitablement un
" virage à gauche ".
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Qui étaient ces futuristes
polonais ?
Ils étaient de jeunes idéalistes, dont beaucoup
étaient juifs et pour la plupart ils avaient été
coupés de leur patrie, la Pologne, durant plusieurs années
de leur jeunesse qu'ils avaient passée à Paris,
à Moscou, à Vienne, à Berlin; là ils
avaient respiré l'air de révolutions plus sociales
et artistiques que nationalistes.
A leur retour en Pologne, ils tentent d'imposer un passage littéraire
nouveau (celui de la ville, de la foule, de l'industrie) et de
formes nouvelles empruntées à leurs modèles
occidentaux et russes.
Les mouvements futuristes et formistes russes ont été
suivis de très près par les jeunes artistes polonais;
les poètes russes donnaient une priorité absolue
au " mot comme tel " (1913).
Il me faut vous attirer l'attention qu'au début de la révolution
bolchevique, les futuristes russes sont d'abord apolitiques: ils
jugent aussi impensable pour l'art " d'exposer sur son drapeau
les idéaux des masses ouvrières que, pour un triangle,
de recevoir une forme carrée
" et cette idée
plaît !.
Mais petit à petit les futuristes russes changent d'avis
et se rapprochent des Bolcheviks au point de créer des
groupes communistes-futuristes, qui ne dureront pas longtemps,
car de nouveaux regroupements ont lieu.
C'est ainsi que pour réagir contre les tendances conservatrices
du gouvernement des Soviets et des " écrivains prolétariens
", Maïakovsky réunit autour de la revue "
LEF " (Front de gauche) des écrivains comme I. Babel,
Boris pasternak les cinéastes D. Vertov et surtout M. Eisenstein,
leur but est de réaliser une véritable révolution
artistique et pas simplement mettre l'art au service de la révolution
bolchevique, et ainsi asservir l'art comme auparavant
mais
ils se heurteront à la censure de l'Etat, au " proletkult
" et bientôt au stalinisme!.
C'est de cette même façon que réagiront les
futuristes et avant-gardistes polonais qui reprennent le flambeau
mais
en Pologne.
Le 8 février 1919, deux jeunes auteurs, Anatole Stern
(20 ans) et Aleksander Watt (19 ans) organisent à Varsovie
leur première soirée poétique; cette activité
futuriste prend place dix ans après les premiers manifestes
des futuristes russes et italiens.
A cette époque, où on était à la veille
du traité de Versailles (juin 1919) at qui vit le douloureux
enfantement de la " Deuxième République "
avec encore des frontères incertaines, les revues nées
d'une inspiration analogue circulaient depuis longtemps dans les
centres littéraires d'Europe occidentale oùle temps
des manifestes était révolu.
Le programme de cette Première varsovienne, appelée
" Soirée subtropicale organisée par des nègres
blancs " comprenait des chansons " nègres "
exécutées par un chanteur noir, une oeuvre musicale
intitulée " Andromède dans sa salle de bains
", ainsi que la lecture de poèmes de deux jeunes auteurs.
Pour le public pris d'émotion diverses, la syntaxe des
textes est révoltante et leur contenu franchement "pornographique"
! Le clou du spectacle était un homme presque nu, ou presque
pas habillé (tout dépend de la vision du public),
les hanches ceintes d'une bande de gaze
qu'il devait brûler,
après avoir lu le poème de Stern, intitulé
" l'incinération de la feuille de vigne "
Il lut le poème mais n'osa cependant brûler la feuille
de vigne qu'il avait pour seul habit
La provocation du public constituait un point essentiel de la
démarche des Futuristes; dix ans après le manifeste
de Marinetti qui souhaitait la venue de " joyeux incendiaires
afin qu'ils mettent le feu aux armoires des bibliothèques
", Anatole Stern et Aleksander watt annoncent leur choix
culturel:
" la civilisation, la culture et leur morbidité -à
la poubelle !
Nous préférons simplicité,
vulgarité, gaïté, santé, trivialité,
rire !
Nous renonçons délibérément à
la solennité, au séreux, à la piété;
les feuilles de laurier avec lesquelles vous nous couronnez, nous
les utiliserons pour assaisonner nos mets
".
Et plus loin encore: "
à coups de balai, nous
vidons l'auberge enfumée de l'infini, de ses créatures
misérables, hystériques nommées poètes,
accablées d'inassouvissement, de douleur, de joie de vivre
au
lieu de l'esthétique, l'antigrâce, au lieu de l'extase,
l'intellect, création consciente et utile
(
).
Mickiewicz est borné et Slowacki bredouille de manière
incompréhensible
! "
Les soirées futuristes se succèdent et se ressemblent,
interrompues assez fréquemment par des groupes nationalistes
et hostiles à leur mouvement et vision des choses; très
souvent les soirées futuristes se terminent en bagarres
et les coups pleuvent sur les poètes alors que le public
choqué crie au scandale et quitte la salle en hâte
En 1919, le poète Stern est arrêté et condamné
à un an de prison ferme pour avoir évoqué,
à Wilno (Vilnius en Lithuanie) des fossettes sur les joues
de la Vierge Marie et pour avoir reçu de sa part des violettes
à son arrivée au paradis.
Dans leur entreprise de bouleversement et de renversement de
l'ordre ancien étouffant et nationaliste-radical, les futuristes
polonais s'associent au prolétariat car ils croient sincèrement
combattre avec lui :
" Les yeux bleus du prolétariat
Comme bleue sur la Pologne est l'aube
"
*Tram w poprzek ulicy -Jankowski, 1920-
" Une nouvelle force accède à la parole :
le prolétariat éclairé (
)
Nous soulignons trois moments importants de la vie contemporaine;
la machine, la démocratie et la foule ! "
*Do narodu polskiego manifest -jasienski, 1921-
Au début du XXième siècle, on peut affirmer
que la littérature politique a enfin acquis définitivement
un caractère d'engagement civique et leur révolution
artistique (à l'instar des futuristes russes) avait été
rendue possible par les circonstances de leur jeunesse qui les
avaient tenus à l'écart de la Pologne; à
son tour, leur littérature, subversive et audacieuse, les
désignera comme des inciviques, des mauvais Polonais voire
des " faux Polonais ", sinon de vulgaires étrangers
"certains vont même rejoindre le groupe communiste
de l'hebdomadaire " Nowa Kultura ".
Le langage futuriste est un génial mélange de prose
et de poésie: l'écrivain à recours aux signes
mathématiques ou musicaux pour exprimer plus directement
le rythme de la vie moderne.
Les éléments de la phrase susceptibles de constituer
un obstacle, comme la ponctuation, sont éliminés,
cependant l'emploi d'analogies devait permettre la traduction
des nuances.
Les poètes voulaient se débarrasser de la logique
et ainsi pénétrer véritablement l'essence
de la matière.
Onomatopées, listes de mots, tableaux, mots en diagonales
ou disposés verticalement, verbes à l'infinitif,
équations, accolades et crochets, points d'exclamation
abondants permettent de faire une synthèse rapide de la
réalité.
Avec la " simultanéité", le poète
traduit les couleurs, les sons, les odeurs
l'artiste exprime
ce qu'il voit de ses yeux, la réalitéet son essence,
ses impressions, son bonheur et sa douleur.
Le lecteur doit éprouver simultanément plusieurs
impressions, avec le futurisme on est en face d'un art visuel:
le texte n'est plus seulement à lire mais aussi à
regarder et à vivre; on assiste à la destruction
de la syntaxe et à l'abolition des anciennes règles
du récit.
Le refus opposé an Pologne au futurisme s'est manifesté
dans des milieux totalement différents; une opposition
virulente, teintée d'antisémitisme, apparaît
cependant dans la presse nationaliste et catholique.
A leur démarche du " Grand Changement "et de
la rupture pour le triomphe de la vraie révolution artistique
nous pouvons aussi apposer celle de Wladyslaw Broniewski (1897-1962),
dit " poète prolétarien ".
Issu des rangs du parti socialiste polonais (en 1923, il est membre
du cercle des jeunesses socialistes ZNMS Zwiazek Niezaleznej Mlodziezy
Socjalistycznej) et plus particulièrement des légions
de Pilsudski sous le pseudonyme " Orlika " dans la 1ère
brigade; Broniewski s'est senti trahi dans son idéal, par
la réalité de l'Etat polonais.
En 1921, il quitte l'armée pour accéder en même
temps au communisme et à la littérature, préférant
être, comme il l'écrit dans son journal " piètre
écrivain que bon capitaine dans l'armée ".
En septembre 1926, réclamant la libération de 6000
prisonniers politiques, il lance un appel à ses anciens
camarades dans son poème : " Aux compagnons d'armes
"
" Vous savez mourir sur le front
Et conquérir le Belvédère,
Mais dans votre chant de victoire
S'est empêtré ce cri
Qui venait de derrière les barreaux
(
)
Aujourd'hui, Varsovie la vraie, la téméraire,
A nouveau se réveille au fracas de la mitraille
(
)
Ecoutez, c'est vous, c'est vous
Qu'appellent les piétinés, les massacrés..
"
*Do towarzyszy broni, 1926
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Mieczyslaw Szczuka: Studium plakatowe
1925 Formisme
Zbigniew Pronaszko, Akt fornistyczny,
1917 Formisme
Tadeusz Peiper, extrait de poèmes futuristes du magazine littéraire
"Zwrotnica" !922-1927
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Stanislaw Wyspianski, Autoportrait,
1902
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Quelles furent les conséquences
du " virage à gauche " de ces écrivains
idéalistes d'avant-garde sur leur vision de la littérature
?
Dorénavant le poète combat aux côtés
du prolétariat, il est persuadé de la justesse et
du bien fondé de la cause de la classe ouvrière,
dont il lui reste à découvrir l'âme.
Le poète s'identifie au prolétariat, il l'exprime,
mais est en même temps quelque peu distant, il ne le questionne
pas.
" Ce nouvel art attendu, seul peut le créer cette
classe jeune ! "
*Kultura Robotnicza -Antonina Sokolicz, 1922-
On en arrive très vite, à une conception de la
poésie prolétarienne parlant au nom de l'ouvrier.
S. R. Stande, W. Wandurski ou Broniewski parlent au nom du prolétariat,
du peuple (Lud), comme les romantiques en leur temps parlaient
au nom de la nation (Naród).
La réflexion sur la prose entreprise dans la presse culturelle
communiste et socialiste à partir de 1927 pouvait laisser
percevoir une toute autre de la littérature oùtrouverait
largement sa place l'avant-garde.
Dans cette conception, le prolétariat n'était plus
tant, considéré comme l'auteur, direct ou non, de
sa littérature que comme son destinataire (
le prolétariat
était la force de l'avenir, mais seulement s'il en était
conscient !).
Dès lors, la critique socialiste (et communiste) polonaise
prône une " littérature du fait ", elle
demande à l'écrivain dès 1924, " d'écrire
de façon compréhensible pour les masses ouvrières
et d'être capable de vivre intellectuellement ce que vivent
les masses populaires "
ce qui n'était vraiment
pas une entreprise facile !
Ainsi l'artiste devient celui qui " donne à lire "
la réalité, par les moyens les plus immédiats:
reportages , photomontages, propagande,
celui aussi qui "
enregistre " des faits, " documente "le prolétariat
sur les mécanismes de la société et "
organise " la vision des ouvriers.
Ces " gauchisations "de la littérature en Pologne,
à la fin des années vingt ne menaient donc pas plus
loin, dans la conception de l'engagement, que la littérature
traditionnelle, patriotique et nationaliste.
La littérature gauchiste ou gauchisante restait bien loin
en arrière des révisions, des prises de distance,
de la réflexion critique amorcées par Brzozowski.
Les jeunes poètes et écrivains avant-gardistes polonais
" passés " à gauche manquèrent
en fait de lucidité, ils troquaient tout simplement le
rêve national pour l'avenir radieux réel, le mirage
de l'Est !
(g échos à la révolution réussie des
Bolchéviks, tant en politique que dans les actes, en Russie
voisine)
En politique dans les années vingts, les gouvernements
de coalition fonctionnent dans une ambiance de frustration et
de violence, ni les socialiste à gauche, ni les nationalistes
radicaux à droite ne purent s'imposer, la corruption aussi
bien politique que matérielle s'étale partout, les
conflits politiques sont incessants entre Dmowski (parti d'opposition)
et Pilsudski, précédent le régime de Sanacja
(dictature du parti unique).
Il faut cependant rappeler que la vie était dure alors
pour les écrivains de gauche (ces " ouvriers du mot
"), les communistes considérés tout simplement
comme des " étrangers " à la cause nationale,
et souvent montrés du doigt comme de agents conspirateurs,
des provocateurs à la solde des Bolchéviks ou des
" ennemis de l'intérieur ", d'une manière
générale la littérature d'avant-garde restait
incompris par le grand public; de plus, comparée à
celle des artistes, la vie matérielle des écrivains
était souvent pénible, et sans lecteurs un écrivain
s'épanouît difficilement, comme l'évoque un
poème de Broniewski, dans la cellule de prison de l'écrivain
et de son ami, le critique Jan Hempel :
" Il faisait bon se réchauffer le coeur
à la pensée que ce jour là,
deux hauts fourneaux s'allumaient
à Magnitogorsk
"
*Magnitogorsk albo rozmowa z Janem -Broniewski, 1931-
Le poète futuriste est le porte-parole du modernisme en
employant de nouveaux procédés littéraires,
Il faut avoir à l'esprit que le paradoxe principal de l'avant-garde
est qu'elle se veut impopulaire tout en désirant gagner
à sa cause les gens qu'elle choque, la relation reste toujours
ambiguë entre l'avant-garde et le grand public " bourgeois
".
L'avant-garde n'est qu'un des aspects de la modernité qui
apparaît au début du Xxième siècle.
Le terme du mot " avant-garde " est à la fois
politique et littéraire, surtout en Pologne oùpolitique
et littérature se sont toujours entremêlées.
L'avant-garde polonaise des années vingt se distingue nettement
du romantisme par une attitude beaucoup plus radicale, elle exprime
un antitraditionnalisme total et farouche; l'artiste romantique
jouissait d'une relative popularité au sain de sa société,
l'artiste d'avant-garde refuse le public, il veut " l'art
pour l'art " !
Le théâtre fut le moyen d'expression privilégié
de certains mouvements d'avant-garde: le futurisme, le dadaïsme
ont surtout fait l'expérimentation de théories plutôt
qu'une production dramatique conséquente et nombreuse.
Malgré un nombre important de publications et de manifestations
en tout genre, en Pologne comme partout ailleurs les mouvements
d'avant-garde, en particulier le futurisme, n'ont pas réussi
leurs percées; cette période avant-gardiste n'a
pas été considérée comme une période
particulièrement féconde de la poésie polonaise,
sans doute à cause de l'usage qu'elle a d'une langue trop
journalistique, triviale et surtout trop nouvelle oùpullulent
les néologismes souvent humoristiques et
Les mots à moitié articulés ; ces procédés
ne convenaient certainement pas à la poésie et à
la langue auxquelles le grand public " bourgeois " et
les Polonais, en général, étaient habitués.
Le déclin des mouvements avant-gardistes, comme celui du
groupe Skamander de Cracovie, sera d'autant plus rapide en Pologne
qu'ailleurs; et cela parce que malgré les déclarations
blasphématoire à l'égard de la " polonité
" et son opposition au traditionalisme, les poètes
avant-gardistes n'ont pas rejeté l'héritage néo-romantique
et étaient plus souvent des poètes incompris que
des " poètes maudits ".
Même les plus talentueux d'entre-eux n'arriveront pas à
pénétrer dans le corpus de la poésie nationale
polonaise; pour le Polonais, élevé dans le respect
de la tradition nationale et des oeuvres littéraires (dans
la lignée de Kochanowski) liés au destin de la mère
patrie, les littératures d'avant-garde font penser d'avantage
à un " égarement ", une déviation
artificielle n'ayant pas sa place dans la polonité ou à
une vaste plaisanterie d'artistes et d'intellectuels excentriques
qu'à un art poétique au vrai sens du terme.
Mais fort heureusement, on redécouvre les oeuvres et les
écrivains d'avant-garde tombés dans l'oubli, et
les universités considérés comme les bastions
de la tradition nationale lui consacrent de plus en plus d'intérêt,
des études, des séminaires, des cours, des articles
et publications
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NOTES
*1 Wesele : le message politique y est tristement clair et idéaliste;
les Polonais ont un magnifique passé commun, mais ils n'ont
ni les moyens ni le désir de se lancer dans de nouvelles
aventures patriotiques.
La matière et le thème de " Wesele " ou
" Les noces " sont pour une grande part archi-romantique
et patriotique, et pourtant la conclusion va en sens opposé.
*2 Le groupe SKAMANDER : groupe artistico-littéraire fondé
en 1918 à Varsovie puis à Cracovie, et composé
de jeunes poètes polonais désireux de créer
un nouveau langage.
L'un des représentants le plus illustre du groupe de Cracovie
fut Julian Tuwim (1894-1953).
Influencé par le futurisme, l'expressionnisme et le néo-romantisme,
il se livra à de passionnantes recherches de langage pour
exprimer son amour de la vie et de la nature
(" A l'affût de Dieu " 1918, " Socrate dansant
"1920, " Le septième automne "1921, "
Paroles sanglantes " 1926, " Fleurs de Pologne "1949)
*3 Futurisme polonais : on peut dater de 1913 les premiers textes
futuristes polonais des poèmes de J. Jankowski, mais le mouvement
sera organisé plus tard à Cracovie en 1917 (B. Jasienski,
S. Mlodzieniec, T. Czyzewski), à Varsovie en 1918 (A. Stern
et A. Watt).
A peu près au même moment les peintres formistes ou
expressionnistes exposent à Varsovie (T. Czyzewski, L. Chwistek,
E. Zak) puis publient la revue "Formisci" (Les formistes,
1919).
Murat Yurdum
muratko@beskid.com
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