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1981 - Etudiante à Cracovie ( part. 3 )

 
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Le week-end du 12,13 décembre 81 je suis rentrée chez moi. Excitée à l'idée que le 12 décembre c'était le jour de ma fête et beaucoup de travail m'attendait. J'ai prévu de passer le samedi dans la cuisine à de préparer de " bonnes choses " pour gâter mes amis à Cracovie. J'ai fait mon petit plan dans ma tête : d'abord préparer des amuses gueules , ensuite j'imaginais une petite fête sympathique dans la chambre d'étudiant avec une bonne musique préparée par mes collègues. Tout allait comme sur des roulettes. Nous avons tous rêvés à des moments comme ça permettant de nous évader un peu de la triste réalité. Dimanche matin au réveil fidèle à mes habitudes j'ai allumé la télé . J'ai pris mon petit déjeuner en regardant des dessins animés et à ma grande surprise il n'y avait rien sur l'écran. Je pensais que notre poste était en panne. J'ai allumé la radio. A la place des variétés j'entendais de la musique classique. Je ne comprenais plus rien du tout. Au bout d'un moment j'ai entendu la voix grave d'un présentateur qui annonçait que dans quelques instants à la radio et à la télé le général Jaruzelski prendrait la parole. J'ai vite allumé la télé. La respiration coupée, j'écoutais chaque mot de son discours et j'ai compris : l'état de siège a été annoncé. Cette nouvelle m'a coupé les jambes. Des multiples questions envahissaient ma tête. Je ne savais pas que faire, comment réagir à qui demander des explications. J'ai paniqué. On ne pouvait rien faire il fallait obéir aux ordres transmis par les médias. Je suis allée, comme d'habitude, à la messe. En route j'ai rencontré des gens aussi perdus que moi et aussi peu informés. Nous avons imaginé naïvement que peut-être le prêtre nous éclaircirait le problème. Nous avons entendu l'appel au calme, aucun commentaire. Après la messe tout le monde rentrait en silence osant à peine chuchoter. Par- ci par- là on entendait des personnes âgées parler de la guerre, les souvenirs ont remontés à la surface . Certains exprimaient leurs craintes " est-ce que les Russes vont nous envahir ? " , crispée et angoissée je suis rentrée chez moi reprendre la suite du programme à la télé. J'ai appris qu'à partir de ce jour-là je ne pouvais pas quitter ma ville. Pas de téléphone, pas de courrier, couvre feu , bref coupée du monde. Je m'inquiétais pour mes affaires laissées à Cracovie et surtout pour les livres empruntés à la bibliothèque. Je savais que les étudiants ont été renvoyées chez eux et les chambres ont été réquisitionnées par la milice. J'imaginais le pire - vendetta. Bon, j'ai passé de grandes vacances d'hiver jusqu'au mois de février en m'habituant aux inconvénients de cet état des choses. Premièrement il fallait être très vigilant, peser ses mots, rester calme . Petit à petit une autre vie se formait. L'information et la presse clandestine commençaient à circuler. Nous avions appris à vivre autrement. En février nous avons repris les cours. Il y a eu beaucoup à rattraper. La sessions d'examens d'hivers était liée avec celle de l'été. Je me suis retrouvée avec 11 examens à passer. Certains enseignants trouvaient que c'était une bonne formule pour nous sortir de la tête des bêtises, d'autres sans pouvoir de l'exprimer s'apitoyaient sur notre sort. Tout était réglé et réglementé et il fallait s'y soumettre. Même pour rentrer chez soi il fallait demander à la mairie l'autorisation pour quitter le territoire de la ville, le contrôle dans le transport non, ce n'était pas un film , c'était la réalité des années 80, c'était ma réalité.
P.S. La vie parallèle dans le pays a apporté ses fruits. ; la table ronde en 1989, légalisation de Solidarnosc, les élections libres ouvraient la voie pour abolir l'ancien système.

 

 



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