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La plus belle fleur du monde…..

Dans mes souvenirs c'était au mois de juin, mon deuxième voyage en Pologne. 1977 un an avant l'élection du pape Karol Wojtyla. Le temps n'était pas très bon en ce début du mois de juin, tout le monde attendait l'été avec impatience, mais nous nous étions heureux, nous avions retrouvé la famille et peu nous importait le temps qu'il faisait Nous passions nos journées chez les uns chez les autres a nous raconter nos vies , a manger, a boire , a manger surtout , j'ai pris 7 kg en un mois cette année la ..Ne vous inquiétez pas je les ai toujours, jamais partit ceux-là. C'est comme ça c'est la vie !
Un matin notre petit train train de vacancier allait être perturbé, notre cousine Ewa nous demanda si nous pouvions la conduire à Wysowa, sa maman y était en convalescence après une opération. Comment refuser ce service a Ewa, c'était quelqu'un la Ewa, on dirait par chez nous qu'elle est nature, sans fioritures, les choses étaient dites tel qu'elle les pensait et ça fusait .
Cette vivacité d'esprit lui avait, au dire de la famille, causée pas mal de soucis, mais a 18 ans elle n'en avait cure, pour elle les choses devait être dite que ça plaise ou non ! Elle avait aussi un regard malicieux et un sourire, on ne pouvait pas lui refuser grand-chose. Quand elle était présente, mon épouse me surveillait d'un peu plus près car elle savait que je l'aimais bien la Ewa. Bien sur nous avons accepté de la conduire a Wysowa, c'était normal, bien peu de Polonais possédaient un véhicule a l'époque et souvent nous faisions le taxi pour toute la famille qui soudain était très grande, cela nous faisait sourire


Ce fut un dimanche que nous partîmes pour Wysowa, les cinq places de la voiture étaient occupées, deux tantes ayant remarqués qu'il restait des places se sont invitées au voyage. On dit bien que l'occasion fait le larron. Wysowa est une station thermale non loin de la frontière Slovaque à l'est d'une station bien plus connue Krynica, dans les beskid niski en plein pays Lemkos et ses splendides cerkiews. Le voyage se déroula sans encombre, la trentaine de kilomètre qui nous séparait de Wysowa furent couvert a bonne allure malgré le nombre impressionnant de nid de poule qui parsemait la chaussée. Les personnes qui ont empruntés à l'époque le réseau routier secondaire Polonais me comprendront.
Je restais un moment auprès de ma tante, mais n'y tenant plus je m'éclipsais discrètement, prétextant, vu la beauté du paysage, vouloir faire des photos. Ouf, cinq femmes en grande discutions c'est quelque chose ! J'étais content de me retrouver à l'air libre dans la nature. Faut dire que ce n'est pas très grand Wysowa, 700 habitants, a environ 3,5km de la frontière Slovaque, mais quels paysages magnifiques. Tout en photographiant de belles maisons en bois (dommage qu'a l'époque il n'y avait pas le numérique, 36 poses pour un film on était rapidement au bout de la bobine) j'arrive a l'entrée du parc de la station thermale.

Des arbres superbes, des fleurs, un parc d'une rare beauté et j'avais oublié de l'écrire, première belle journée en ce mois de juin. Tout en déambulant dans le parc je fus intrigué par un rassemblement plutôt bruyant, je m'approchais, ma curiosité fut satisfaite rapidement .En effet les gens remplissait des bouteilles de l'eau qui coulait d'une borne, au dessus du robinet un écriteau indiquait : « Wysowianka ». J'aperçu un banc de l'autre coté de l'allée qui faisait face a cette borne d'eau j'allais m'assoir en pensant, j'irais voir de plus près lorsque tout le monde sera partit .Tout doucement les gens s'en allaient après avoir rempli pour certain plusieurs bouteilles de cette wysowianka. Il ne restait plus qu'un monsieur d'un âge certain qui remplit deux bouteilles d'eau, se retourna et me vit assis sur mon banc, il s'avança doucement en s'aidant d'une canne et vint s'assoir à coté de moi. Je le saluais, il me salua, et la discussion s'engagea entre nous comme si nous nous connaissions depuis longtemps, il parlait surtout du beau temps qui finissait par s'installer et m'expliqua que beaucoup de personnes venaient tout les jours chercher de l'eau aux différentes bornes du parc, on avait le droit de prendre ce que l'on pouvait porter mais pas plus et ainsi tout les jours il faisait sa petite promenade pour venir remplir ses deux bouteilles

- Tu viens d'où ? me demanda-t-il
-De Luzna, lui répondis-je
-Je ne vois pas ou c'est ! C'est loin d'ici ?
-À coté de Gorlice !
-Ah oui je vois !
-Je suis en vacances dans la famille à Luzna, mais j'habite en France !
-Ah !… « Un mangeur d'escargots » (je pensais plutôt qu'il allait dire un mangeur de grenouilles)
- vous avez sans doute remarqué mon accent et mon Polonais hésitant !
- mais non ! Tu parles très bien le Polonais !
- tiens, je n'étais pas loin de la France en 1939, j'ai été fais prisonnier par les allemands le 17 septembre 1939 non loin de Lwow, puis prisonnier a Zagan et après conduit dans un camp en Schwarzwald (en foret noire) ….
- oui je connais j'habite juste de l'autre coté de la frontière a environ 10km du Schwarzwald

Au bout d'un quart d'heure d'une discussion à bâton rompu, il posa soudain sa main sur mon bras et me dit :
Tiens-toi qui as bourlingué à travers toute l'Europe, tu dois savoir ça !
Oh vous savez on a beau avoir un peu bourlingué on sait des choses, mais pas tout !
Si, si ça tu le sais …je sais que tu le sais !
Bon allez-y on verra bien !
Et bien quelle est la plus belle fleur au monde ?
Alors là, vu le nombre de fleurs et les gouts de chacun, ce sera très difficile de trouver !
Essaie, essaie tu verras bien, tu vas certainement trouver !
Je me demandais ou il voulait en venir, il me regardait avec des yeux malicieux, un sourire sur les lèvres .Sans conviction je démarrais une énumération des noms de fleurs que je connaissais en Polonais. Au fur et a mesure que j'égrainais les noms, il hochait la tête de gauche a droite et disait : nie, nie, nie, nie ……


Bien sur ce fut rapide, car je ne connaissais pas le nom en Polonais de toutes les fleurs, mais il me dit de continuer en Français cela n'avait pas d'importance, il affirmait connaitre le nom de cette fleur dans cette langue ! Mais même en Français cela ne dura pas longtemps je fus rapidement a cour de réponses !
Bon alors tu ne trouve pas ? Pourtant je pensais que tu trouveras rapidement la réponse … (attend d'ici peu il va me dire que je suis nul)
Alors je vais te donner la réponse, la plus belle fleur au monde c'est ….la fleur de pomme de terre !
Je tournais la tête vers lui, pensant qu'il se moquait de moi, j'avais beau chercher dans ma mémoire, je ne voyais pas en quoi cette fleur était si admirable. Je me souvenais de champs de pomme de terre dont les fleurs étaient blanches ou mauves, mais de la a dire que c'est la plus belle.
Je te vois très surpris ! me dit-il
Oui, je ne vois pas en quoi cette fleur peut être la plus belle du monde !
C'est vrai qu'on a tellement l'habitude de la voir, que l'on n'y prête plus attention, elle fait partie de notre vie !
Oui sans doute c'est cela !
Il continua de me regarder et poursuivi son récit
Quand j'étais petit garçon, il y a bien longtemps de cela, je regardais tout les ans mon père planter des pommes de terre près de notre maison .Puis lorsqu' 'elles furent plantées, tout les matins après mon petit déjeuner j'allais voir notre champs, au fur et a mesure je voyais les tiges et les feuilles sortir de terre, je les voyais grandir, mon père les butait amoureusement. Puis un jour elles fleurissaient, blanches ou mauves et j'étais heureux, heureux tu ne peux pas savoir combien j'étais heureux !

Je le regardais, il avait toujours son sourire, son regard était toujours aussi malicieux, puis soudain une larme coula sur sa joue toute ridée. Il tourna la tète et l'essuya le plus discrètement possible
Oui tu sais quand je parle de cela ça me fait toujours cet effet, je n'y peux rien !
Je ne savais pas quoi dire, était-t-il vraiment nécessaire de dire quelque chose à ce brave homme, je ne sais pas ! J'attendais la fin de son récit avec impatience, je voulais savoir maintenant pourquoi il trouvait la fleur de pomme de terre la plus belle au monde
Il s'essuya le visage, se racla la gorge, continua de me regarder et dit :
Rysiu, j'étais tellement heureux, je faisais des cabrioles dans le pré et je courais vers ma maman en lui criant : Maman, Maman les pommes de terre sont en fleur ! Et nous chantions et nous dansions avec mes sœurs et mes frères.
Je le regardais toujours, il y avait je ne sais quoi dans son regard, les larmes coulaient toujours et pourtant il souriait. Si, je sais, maintenant je sais ce qu'il y avait dans son regard ….du bonheur !


Et maintenant je vais te dire pourquoi c'est la plus belle fleur du monde, c'est la plus belle fleur pour moi parce que lorsque les pommes de terre fleurissaient, je savais que l'on aurait à manger le reste de l'année ! alors tu peux comprendre pourquoi un gamin pouvait être tellement heureux lorsqu'il voyait éclore cette fleur.
Je suis resté bouche bée, je le regardais toujours, lui aussi me regardait, j'ai été incapable de dire quoi que ce soit pendant quelques instants. Il venait de me donner une sacré leçon, moi qui plantais des pommes de terre chez moi dans mon jardin, qui était incapable de savoir comment était cette fleur. Alors que lui gamin ressentait le plus grand bonheur en voyant cette fleur, c'est vrai c'était une autre époque, les familles en Pologne devait souvent compter sur la pomme de terre pour vivre ou certaines années survivre !
Soudain il se leva du banc, se retourna vers moi en me tendant sa main et me dit :
Il se fait tard pour moi, la maman va s'inquiété de mon absence, ça m'a fait très plaisir de converser avec toi et si un jour tu repasse dans le coin, je viens toujours a cette borne pour chercher de l'eau, je serais très heureux de te revoir !
Et moi bêtement je lui ai serré longuement la main, ne sachant toujours pas quoi dire, juste a balbutier des « do widzenia «  des « do zobaczenia «  Et il est partit.
Je le suivi du regard, il se déplaçait lentement avec sa cane et son sac, puis il disparu de ma vue derrière un grand sapin. Je restais encore cinq bonnes minutes assis sur ce banc à penser à ce qu'il venait de me dire.
Je me rendis compte que pas mal de temps avait passé, que peut être mes passagères m'attendaient impatiemment auprès de la voiture. Je me levais, quittait le parc non sans un dernier regard vers le banc, après tout j'ai peut être rêvé tout ceci.
Effectivement on m'attendait depuis un moment, nous montâmes en voiture et reprîmes le chemin de Luzna.

Je dois dire que depuis cette rencontre, je ne regarde plus les pommes de terre de la même manière, chaque fois que j'en plante, je me demande quelle sera la couleur de la fleur, auront- t-elle des maladies, la production sera-t-elle conforme a mes attentes, je les surveille particulièrement et j'attends avec impatience leur fleurissement, chaque fois aussi je repense a ce que m'a raconté le dziadek. Et lorsqu'elles fleurissent je vois toujours un gamin sauter de joie, courir auprès de sa maman, danser avec ses sœurs et ses frères.
Je suis retourné à Wysowa, bien longtemps après cette rencontre, en 2008, bien sur je ne m'attendais pas a retrouver le dziadek, il a du nous quitter depuis bien longtemps hélas. Je me suis promené dans le parc,toujours aussi magnifique, j'ai retrouvé la borne « Wysowianka » mais en face il n'y avait plus de banc. Je suis resté pendant quelques minutes,regardant obstinément dans sa direction la gorge serrée et je suis reparti, au bout de quelques mètres je me suis retourné….il m'avait semblé entendre parler le dziadek , mais non il n'y avait plus rien, rien que le souvenir d'un après midi du mois de juin 1977, ou un vieux monsieur m'a fait comprendre qu'il y a des choses très importantes mais ce n'est pas toujours celles que l'on croit et qu'il est bon parfois de ce contenter de choses simples dans la vie. Après tout le bonheur ….c'est peut etre ça !

Dziekuje bardzo dziadek !

Ryszard





 



 

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