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La France et l’insurrection polonaise de 1863

Par Aymeric Kurzawinski

Article tiré d’une Maîtrise sur l’aide française à l’insurrection polonaise de 1863
Dirigé par Gérard Baal et soutenue en 2000 à l’Université de Poitiers

Toutes personnes intéressées par la publication d’articles sur cette thématique est la bienvenue et peut rentrer en contact avec l’auteur. aymeric.kurzawinski@libertysurf.fr



I) La situation polonaise

Dans la nuit du 22 au 23 janvier 1863 se déclenche la troisième insurrection polonaise du XIXe siècle. Très vite la société française dans son ensemble va se passionner sur le sort de cette «pauvre Pologne ». Les soulèvements de cette nation deviennent la seule expression possible pour leurs revendications. Celles-ci restent d’ailleurs constantes tout au long du XIXe siècle et ne visent qu’à la recherche de l’émancipation.
Le congrès de Vienne cèle en 1815 les trois partages de la Pologne effectués en 1772, 1793 et 1795. Son territoire est désormais sous domination autrichienne, prussienne ou russe. Les termes du traité issu du Congrès de Vienne laissaient une certaine autonomie aux territoires polonais (une armée nationale, un gouvernement et une administration propre...). L’une des revendications des insurgés reste justement l’application des termes du traité. Ainsi nous ne traiterons ici que du royaume de Pologne rattaché à la Russie et qui comprend la plus grande portion de l'état originel polonais de 1772.
Les tzars ont réagit brutalement aux autres insurrections notamment celle de 1830. La répression fut à chaque fois très importante (exil des personnalités plus ou moins nationalistes notamment vers la France, exécution ou déportation de ceux arrêtés par les forces russes). Le ressentiment était donc important vis-à-vis de l’autorité russe. La tension semble s’être calmée dans les années 1850 : la défaite de la Russie lors de la guerre de Crimée semble y être pour beaucoup ; de plus, le nouvel empereur Alexandre II fut bien accueilli en Pologne. En effet celui-ci permit quelques concessions : allégement de la censure, création d’une société agricole et d’une Académie de Médecine...
Ces libertés concédées permirent la formation de nouveaux camps politiques. Trois courants peuvent êtres dégagés:
_Tout d’abord celui qui se forme autour de la société agricole et qui regroupe quelques milliers de propriétaires fonciers, surtout composé de conservateurs et d’aristocrates, on les surnomma ainsi les «blanc». Ils cherchent, en plus d’élever le niveau agricole, à supprimer graduellement les corvées tout en préservant leurs intérêts. Ils sont donc condamnés à obtenir le soutient du gouvernement russe contre les paysans. Toute revendication politique est ainsi mise de côté.
_La bourgeoisie grande et moyenne constitue le deuxième groupe. Elle avait pleinement profité de l’intégration du territoire polonais a la zone douanière russe, et du chemin de fer (la reliant à Berlin, Vienne et Saint Petersbourg). Ses buts étaient donc l’élargissement de l’autonomie polonaise, et l’égalité des droits pour les Juifs. Toute insurrection était rejetée ce qui les fit surnommer les “millénaristes ” (remettant à dix siècles la lutte pour la libération).
_Les éléments révolutionnaires forment le troisième groupe et se recrutaient essentiellement parmi les étudiants et les ouvriers, mais également dans la petite bourgeoisie. Ils sont surnommés les “rouges ” du fait de leurs idéaux socialistes. Ils se divisaient en une multitude de sociétés secrètes qui visent le rétablissement pur et simple de l’indépendance de la Pologne.
Les revendications pour la “cause nationale ” sont ainsi encore bien présentes chez la plupart des Polonais. Tout était en place, il ne restait que le facteur déclenchant. La tension monta d’un cran en juin 1860, lors de l’enterrement de la veuve du général Sowinski (héros de la révolte de 1831). Sous l’instigation de “rouges” et de “millénaristes” sympathisants, de grandes manifestations sont déclenchées. Puis, c’est à la fin du mois de février 1861 que des émeutes font suite à la commémoration de la bataille de Grochow (1831). Le tzar tenta de calmer la rue en accordant des concessions (corvées convertibles en redevance pécuniaire...) et en nommant Wielopolski au poste de chef du Conseil administratif. Mais comme les manifestations furent toujours férocement réprimées (200 morts le 8 avril), toute réconciliation était désormais impossible. On peut considérer qu’à partir de cette date la décision d’une insurrection était prise dans les milieux de gauche et du centre. Désormais, on tente de la préparer (par l’achat d’armes et en se conciliant les bonnes grâces des chancelleries étrangères...). Le Tzar et Wielopolski tente de désarmer l’insurrection en nommant conscrits de l’armée russe les jeunes les plus nationalistes. Ceux-ci seront réquisitionnés chez eux dans la nuit du 14 au 15 janvier. Prévenus, les conjurés s'enfuient la veille dans les bois mais mis au pied du mur, ils ne peuvent que déclarer l’insurrection qui est officialisé le 22 janvier.


II) Le gouvernement français et la Pologne

Les prises de positions de Napoléon III quand il n’est encore que Charles Louis Napoléon, simple prétendant, sont très marquées par leur soutien inconditionnel à la cause polonaise. Par contre sa position fut loin d’être très claire pendant toute la durée de son règne. A partir du début de sa présidence en décembre 1848, et plus encore après l’instauration du Second Empire, en décembre 1852, ses discours sont aussi rares que redondants. Il est donc délicat de tenter de cerner la position de l’Empereur à ce sujet.

Le traité de Paris, signé le 30 mars 1856 et qui met fin à la guerre de Crimée, marque le retour en force de la France dans la politique internationale. D’autant que la Russie, désormais consciente de ses faiblesses, recherche désespérément un allié parmi ses anciens vainqueurs. La France, soucieuse de consolider son ascendant et d’éviter une dépendance trop importante à l’égard de la politique anglaise, ne tarde pas à y répondre. Ce rapprochement amorcé dès l’année 1856 est effectif dans le courant de l’année 1858.
Mais cette entente est une arme à double tranchant dans la modification de la carte européenne souhaitée par Napoléon III. En effet, la Russie donnera assez facilement sa bénédiction à l’intervention française pour la réunification italienne, au moins au début. Elle apporte même un concours actif dans la guerre contre l’Autriche. Cependant, la suite des événements d’Italie refroidit l’empereur Alexandre. Celui-ci y voyait un mouvement révolutionnaire. Le Tzar ne pouvait cautionner ces événements du fait de leur similitude avec le mouvement nationaliste polonais. Ceci altéra quelque peut les liens entre Russie et la France. L’insurrection polonaise de 1863 ne pouvait pas plus mal tomber : la France du second empire ne peut se passer du seul véritable allié puissant dont elle dispose à savoir la Russie, mais les références constantes au premiers empire la rapproche des polonais, ces « alliés de toujours »…

La France désapprouve dans ses courriers diplomatiques vers la Russie les troubles qui agitent la Pologne depuis 1860, mais aucune condamnation officielle n’est publiée. Après l’insurrection générale polonaise déclenchée dans la nuit du 21 au 22 février, l’empereur reste dans un silence gêné. La pression de l’opinion publique ce fait de plus en plus sentir. Mais le 8 février, l’offre de Bismarck aboutit à la convention d’Alvensleben. Celle-ci instituait la collaboration militaire de la Prusse et de la Russie contre les insurgés polonais.
La France est en train de perdre son principal allié, pire la Prusse prend les devants et deviens de plus en plus menaçant. L’empereur se doit de réagir. Il essaye de maintenir des relations de confiance avec le Tzar. D’ailleurs celui-ci n’est jamais attaqué dans les déclarations françaises qui préfèrent reporter leurs griefs sur la Prusse. Tout est encore fait pour ménager l’entente franco-russe. Mais parallèlement, l’Empereur renoue des contacts avec l’Angleterre et surtout l’Autriche. Dans sa situation en effet, la France risque de se retrouver à tout moment sans réel allié. Le couple impérial va ainsi à tour de rôle solliciter l’alliance autrichienne en vue d’une reconstitution de la carte européenne dès le début mars. Trop « révolutionnaire » cette alliance échoue à la fin de l’année 1863.


III) L’opinion publique et la Pologne


Cette sympathie française pour la cause polonaise, dont la solidarité d’armes lors des guerres impériales, la haine de la Russie contre-révolutionnaire et l’intérêt croissant pour les nationalités forment les principaux pivots, s’exprimera dès lors tout au long du XIXe siècle. Bien sûr, c’est surtout dans les moments de crise que cet intérêt est le plus frappant. Les deux principales insurrections polonaises de 1830 et 1863, qui ont éclaté dans le territoire russe en sont un brillant exemple.
A chacune d’elles on assiste à la mobilisation de la population française et d’une partie de la classe politique. La question est cependant de savoir si l’on ne s’est pas contenté des discours de principe et si l’aide a été substantielle. Par extension, les réactions sont loin d’être uniformes, et on se doit donc d’analyser tous les différents types de soutien à l’insurrection polonaise.
Ce qui surprend, c’est l’importance de la question polonaise en France tout au long du XIXe siècle et lors de l’insurrection de 1863 en particulier. La quantité des sources est énorme : articles, discours, opuscules, réflexions politiques, ouvrages de présentation historique et géographique, pétitions, souscriptions, etc... Les auteurs sont d’horizons multiples : hommes de lettres, publicistes, politiciens…Bref, c’est un enjeu qui se doit d’être vu par bon nombre de personnages publics de l’époque.
Par opposition, on ne peut que s’étonner de l’aridité de la bibliographie contemporaine. Aucun travail d’ensemble n’a été effectué sur l’aide française aux insurrections polonaises.

Rares sont les ouvrages s’intéressant à la Pologne, mais aucun ne s’est réellement penché sur l’engouement de l’opinion publique française. Celui-ci a-t-il été aussi important qu’on le mentionne ? Touche-t-il toutes les strates de la population ?
Personne n’a répondu jusqu'à maintenant à ces questions. Au point que maintenant la thèse inverse est parfois mentionnée : ainsi dans une très bonne étude sur la France et la Pologne dans la première guerre mondiale, Ghislain de Castelbajac rejette complètement l’intérêt de la population française .
En effet on aurait bien tort de considérer des discours politiques ou journalistique comme une juste représentation de l’opinion publique. Pour cerner celle-ci et pour savoir qui soutient réellement l’insurrection polonaise, il nous paraît intéressant d’analyser en détail une vaste souscription nationale qui a été effectuée en sa faveur.
J’ai donc recensé les souscriptions pour la Pologne et ce avec le plus d’exhaustivité possible soit 21.070 dons de particuliers, d’associations ou de groupes d’individus qui s’étendent sur l’année 1863 et plus sporadiquement sur 1864. Moins de 16.000 ont une mention supplémentaire sur les donateurs. Ce sont donc eux qui permettent une étude approfondie.

L’intérêt pour les nationalités n’est pas nouveau au XIXe siècle. On se passionne pour la reconquête de la souveraineté grecque, irlandaise, hongroise… Mais c’est uniquement avec les questions d’Italie et de Pologne que la France a réagi activement. Cependant la mobilisation pour la Pologne revêt un caractère exceptionnel. Ainsi le versement de 250 000 francs or pour l’insurrection polonaise n’a pas d’équivalent.
D’abord si la somme versée est le plus important soutien financier que la France ait apporté à une nationalité en difficulté, il n’en est pas moins vrai que le montant de cette souscription est bien moins important que celle réalisée pour des intérêts français à la même époque.
D’autre part, toute la population française ne soutient pas unanimement l’insurrection. Les plus actifs sont des urbains, soit principalement des ouvriers, des artisans, des boutiquiers, et une bourgeoisie moyenne de tendance progressiste. Les agriculteurs, la haute bourgeoisie financière et commerciale sont complètement absents. Les premiers sont indifférents, alors que les seconds sont carrément hostiles et œuvrent pour limiter l’implication française.
On manque également d’études comparatives. Des pays comme le Portugal ou l’Espagne lancent également quelques souscriptions qui semblent de moindre importance. Mais il n’en est pas de même en Angleterre, en Suède et surtout en Italie. On y tient de nombreux meetings, des collectes nombreuses sont effectuées, et des volontaires s’en vont rejoindre les insurgés. Mais encore, des travaux d’analyse nous manquent pour donner des chiffres précis.

Mais les dons d’argent n’ont pas été les seules actions de la population française. Celle-ci va d’abord directement interpeller le Sénat et l’Empereur durant toute l’année 1863 et le début de l’année 1864, pour demander un soutien énergique de la France à la nation polonaise. Parallèlement plusieurs dizaines de Français vont partir rejoindre les insurgés et vont participer activement à la lutte armée. Enfin, après l’écrasement définitif de la rébellion, c’est encore la France qui recevra ce nouveau flux de réfugiés et qui tentera de les secourir encore une fois.

Conclusion :

Pour les Polonais, l’échec de l’insurrection de 1863 marque la fin de toute revendication indépendantiste d’importance. La Russie lance de 1864 à 1876 une vaste campagne d’unification administrative. Ce qui fait que le royaume polonais perd toute marque d’autonomie. Au point que le nom même de Pologne est officiellement supprimé au profit de “ région de la Vistule ”. Celle-ci est dès lors contrôlée par un gouverneur général, cumulant des fonctions civiles et militaires, au même titre que dans les autres provinces russes. Désormais, la prudence prévaut, d’où la mise au point du travail “ organique ”. Cette politique professe le développement de toutes les activités légales mais non politiques. De cette manière on vise à promouvoir l’économie et la culture polonaises . Ce “ profil bas ” consiste à protéger la nation polonaise des foudres de l’autorité tsariste tout en préservant la conscience nationale notamment parmi les masses.
Pour la France l’insurrection polonaise de 1863-1864 lui a définitivement fait perdre le soutien de la Russie qui s’est désormais tournée vers la Prusse. Pour la diplomatie française, c’est le début d’un long déclin qui s’achève le 1er septembre 1870 avec la défaite de Sedan.

En fait, si ces aides n’ont jamais été étudiées, c’est tout simplement parce qu’elles n’ont joué qu’un rôle mineur dans le conflit. La valeur numérique de tous ces dons est certes importante, mais elle est bien inférieure aux coûts que représente l’entretien d’une guerre de guérillas. Le financement de l’insurrection est d’abord constitué par le pillage de biens russes, et la levée d’un impôt auprès de la population polonaise. De plus, une partie non négligeable de l’armement acheté à l’étranger est arrêté par les polices prussienne, russe et plus sporadiquement autrichienne. Ces souscriptions sont donc surtout intéressantes pour mesurer le soutien de l’Europe occidentale à la cause polonaise. A ce titre là elle mérite toute notre attention…


aymeric.kurzawinski@libertysurf.fr





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