A quoi me fait penser Noël ? Ce mot éveille en moi toute une gamme de sentiments et m’évoque l’ambiance des préparatifs des fêtes, le réveillon avec le sapin et les chants de Noël et .... ma grand-mère bien aimée qui nous a quittés la veille de Noël il y a 17 ans. Je pense aux cadeaux, pas forcément à ceux que j’ai reçus, mais aussi à ceux que je cherchais fébrilement pour mes proches, très souvent au dernier moment avant les fêtes. Mais le souvenir qui occupe une place particulière dans mon cœur et que je garderai toute ma vie, c’est oplatki wigilijne, le pain azyme de la veillée de Noël.
Le pain azyme, élément indissociable des souvenirs sentimentaux de l’enfant que j’étais, fille de « Monsieur l’organiste ». Mon père travaillait comme organiste à l’église catholique d’une petite ville proche de Varsovie. Il a exercé ce métier pendant 40 ans et sans aucun doute son travail était sa passion. Une de ses tâches était la préparation et la vente de pains azymes auprès des paroissiens.
Dès la fin octobre commençait « la fièvre des pains azymes ». Il fallait préparer de petits paquets à l’avance pour que mon papa ait le temps de les distribuer dans chaque foyer. Ma maman et moi participions à ce travail. Il fallait prendre deux grands pains azymes, les disposer de sorte que leur face soit visible et les glisser dans un sachet transparent, puis y ajouter deux petits pains azymes et une étoile. Ensuite, je les regroupais par paquets de cinquante. J’adorais faire ça.
J’attendais novembre avec impatience pour aider Papa à ces préparatifs.
Et comme tout enfant j’adorais le goût du pain azyme. Papa m’autorisait à manger uniquement ceux qui étaient cassés et c’était la meilleure récompense pour mon travail.
Je me souviens de mon dilemme d’enfant : « Est-ce que ce serait un grand péché si je les serrais un peu trop fort et qu’ils se cassent, passant ainsi dans la catégorie ‘mangeable’ ? » D’habitude je ne le faisais pas, j’étais une enfant consciencieuse et sérieuse. Aujourd’hui encore je me souviens de mes dilemmes et de mes remords quand je contribuais volontairement à l’augmentation de nombre de pains azymes abîmés.
Depuis l’année dernière mon papa est à la retraite et ne distribue plus de pains azymes pour Noël. Les nouveaux organistes n’ont pas repris cette coutume. Donc maintenant pour les acheter il faut aller à l’église, ou ... au supermarché. Eh oui, on est tellement pressé, on a tant de choses à acheter, des friandises, des cadeaux... Les pains azymes remplissent les rayons des supermarchés. En faisant les courses on passe devant ce rayon, et on pense « Ah! il faut le pain azyme pour le réveillon » et hop on l’ajoute dans le chariot. Qui aurait le temps dans cette ruée des préparatifs, d’aller exprès à l’église ou au bureau d’un prêtre pour les acheter ?
Évidemment je ne veux pas dire par là que tous les Polonais achètent leur pain azyme au supermarché, heureusement nous n’en sommes pas là.
Mais je crains que notre tradition d’acheter le pain azyme chez l’organiste ou le prêtre soit en train de disparaître tout doucement. Et c’est bien dommage. À mon avis l’un des points forts des Polonais c’est justement la tradition, et surtout celle liée aux fêtes.
Je n’habite plus en Pologne depuis sept ans. J’ai d’abord vécu en Hollande, et je vis maintenant en France. Les traditions polonaises me manqueraient toujours à l’étranger. Je dis « manqueraient » et non « manquent » parce que je passe Noël en Pologne. J’ai eu la chance chaque année jusqu’à présent de pouvoir le passer en Pologne, auprès de mes parents et mes proches. Je sais que sinon, cette ambiance de fête me manquerait, ainsi que mes parents, les plats polonais et le partage du pain azyme avec mes proches le 24 décembre. La veillée de Noël, le partage du pain azyme ne sont pas dans la tradition hollandaise ni française. Je m’efforce d’une certaine manière d’introduire cette tradition auprès de mes amis étrangers. La plupart des Polonais vivant à l’étranger cultivent cette tradition. Mais, je reviens avec nostalgie à cette époque de « fièvre des pains azymes » que je ne vivrai plus.

Je profite de l’occasion pour souhaiter à tous les lecteurs de ce site Internet Beskid.com un Joyeux Noël en famille ou entre amis. Arrêtons-nous un moment pour penser avec douceur
aux traditions des fêtes, celles que nous perpétuons et aussi celles que nous ne cultivons plus.
Bonnes fêtes !
Agnieszka Rusinowska