Polonais déplacés (DP) Allemagne 1945

Démarré par Genpolerika, 31 Août 2024 à 22:02:29

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Genpolerika

Bonsoir

Les DP (Displaced Persons) Polonais, issus des survivants des Camps de Concentration et du Travail Forcé étaient nombreux dans l'Allemagne vaincue de 1945. Avant de partir émigrer quelque part , ils sont souvent passés de camp en camp.Les Camps de Travail étaient en lien avec beaucoup de Camps de Concentration. Sous l'avancée en mâchoire des Alliés d'un côté et des Soviétiques de l'autre, les Allemands par survie ont déplacé vers le centre de leur pays et sous terre leur industrie de guerre .

En cherchant les nôtres jeunes Polonais, travailleurs forcés déportés depuis la Pologne,  après le pacte Hitler  (Ribbentrop ) - Staline (Molotov) de 1939 puis l'invasion allemande , je me suis attachée à comprendre ce qu'ils avaient vécus, et qui fût loin d'être facile, même après la Libération. Ils ne se sont réfugiés en France que l'Été 1948, et ce fût un choix par défaut. Ils voulaient fuir l'Europe pour les Etats Unis, cette Europe des Alliés européens qui d'une certaine manière avait abandonné la Pologne. Ils n'étaient pas de religion israélite mais catholique. Je le précise car on trouve souvent plus de documents sur les Polonais de la Shoa juive et moins facilement sur le sort en 1939-1945 des citoyens Polonais d'autres religions ou groupes.
Ceux-là des ancêtres Polonais que j'ai cherché n'ont jamais réussi vraiment à surmonter ce grand traumatisme de leur jeunesse.
Lui de Varsovie, elle des Basses Carpates, Ils ne se connaissaient pas avant d'être envoyés en Allemagne, où le destin les a fait se rencontrer.
( Ps je ne sais pas insérer les cartes que je joins dans mon ouvrage personnel, mais c'est sans importance )

Il me semble important d'évoquer cet épisode particulier, qui a concerné beaucoup de Polonais, et qui a été pour beaucoup un épisode très difficile continuant la cruelle période 1939-1945. J'extrait ce récit de mes recherches et archives personnelles (pages 49-52) . Genpolerika.

VII - Chute le 7-8 mai 1945 de l'Allemagne Nazie et libération des jeunes Travailleurs Forcés Polonais déportés, Edmund OLSZEWSKI  et Jadwiga MAZUR.
 

IIème Guerre Mondiale 1939-1945  / Campagne d'Allemagne  28 mars au 7 mai 1945 - Fin du 3ème Reich(1933-1945) et de l'Allemagne Nazie . Carte  partielle limitée par mes soins à l'avancée Anglo-Américaine dans  la Ruhr jusqu'à Minden vers Hanovre, en NRW, pour comprendre le déplacement de nos Refugiés DP Polonais, ex Déportés du Travail Olszewski-Mazur, de la Ruhr  vers Stemwede et Minden-Luebbecke, en fonction des données connues les concernant.  ( Cf. Carte internet intégrale et  magnifique de Bruno RAISIN. Wikipedia) :

Au printemps 1945, craquant sous la pression des troupes, des chars et de l'aviation des Alliés à l'Ouest,  et celles des troupes Soviétiques de l'Armée Rouge à l'Est, l'Allemagne nazie est enfin à genoux. Hitler instigateur raciste du malheur et de la mort de millions d'hommes, se suicide le 30 avril 1945 dans son bunker à Berlin. L'Allemagne Nazie signe sa Rédition sans condition le 7 mai 1945, face aux Alliés à Reims, Rédition effective le 8 mai 1945. L'Europe est en ruines et avec elle des millions de destins mais pour elle, la 2ème Guerre Mondiale est terminée, pour le reste du monde, après la Rédition sans condition du Japon elle s'achèvera le 2 Septembre 1945.

1/ Situation d'Edmund OLSZEWSKI et Jadwiga MAZUR, Polonais toujours Déportés du Travail sur le sol Allemand de la Ruhr, en mars-avril 1945.

Voici par déduction, au milieu des combats et bombardements de la Ruhr de 1944-1945, la situation  plausible en 1945 d'Edmund et Jadwiga, selon les documents de la base AROLSEN de la 2ème guerre mondiale et les enquêtes ultérieures IRO de septembre  1947 ou OFPRA de 1955  les concernant. Début 1945, juste avant la Campagne d'Allemagne des Alliés,  Edmund et Jadwiga  sont toujours dans la région Rhin-Ruhr et il est certain qu'alors ils se connaissent, puisque Julien, premier bébé du couple, va naître dans le dénuement le 18 octobre 1945 (mais plus loin à Gerleve, soit Gerleve-Billerbeck près de Coesfeld et Muenster en Rhénanie-Westphalie.                     

1945. Les combats dans la Poche de la Ruhr.   Ruhr Pocket. Avril 1945. Carte de Kernec.                  

Rappels de documents sur Edmund Olszewski :  Travailleur Forcé Polonais de la Ruhr 1942-1945 :
Carte du personnel de la mine de la compagnie des mines de charbon de Gelsenkirchen et Gladbeck.
Nom : Olschewski Edmund
Date de naissance : 26/05/1921 ( Entrée dans les Mines de Gelsenkirchen : ag 18-12-1942)
Domicile : Gladbeck
Adresse : Steinstraβe 53 (= 53 Rue Stein)
Métier: Herscheur (Mineur qui hersche, qui pousse les wagonnets chargés de minerai, au fond d'une mine)
Date d'entrée : 18/12/42 en tant que herscheur, dernier jour travaillé : 19/10/1943
En relation jusqu'au 25/10/1943
Raison du départ : « volatisé » déserteur
Date d'entrée : 11/05/1944 en tant que herscheur .         
Fiche hospitalisation à l'hôpital Sainte (Sankta) Barbara de GLADBECK (Nordrhein-Westfalen, Ruhr, Allemagne)  des Polonais . Ref F 8-136-LN  - cachet ITS (BZ ). En rouge ITS 140 & Polish -AROLSEN Archives. CICR.(OLSZEWSKI Edmund, en Janvier-mars 1945) Olschewski Edmund  né le 26/5/21 -Domicile Phönixstrasse 44- Entrée 12-1-1945 Sortie 7-3-45

Dans cette séquence minière de Gladbeck ,  il y a,  dans la fiche allemande d'Edmund Olszewski un trou de 6 mois du 19-10-1943 au 11-05-1944. Durant ces 6 mois Edmund Olszewski est dit «  disparu  ou volatilisé », mais de retour le 11 mai 1944. De quoi s'agit-il  vraiment ? Où était-il ? Que faisait-il durant ses 6 mois ? Fugue suivi d'un séjour en camp punitif , bombardements, blessures, maladie, déplacements, autres faits non répertoriés par l'employeur nazi ? En tout cas il est  de nouveau  présent à Gladbeck  le 11 mai 1944 et signalé ensuite  hospitalisé durant deux mois, du 12 janvier 1945 et jusqu'au 7 mars 1945, dans l'Hôpital Santa Barbara de Gladbeck. Les secousses de la guerre, des combats et bombardements, et qui sait....une rencontre d'amour,  ne sont sans doute pas étrangers à tout cela, même s'il manque des documents. Edmund est mort et on ne sait rien de lui ou presque, venu de  lui ou de Jadwiga directement. Il est sûr que divers organismes, Polonais, Allemands Nazis ou au contraire Alliés, détiennent des renseignements que nous ignorons. C'est ainsi que s'affine par la découverte de nouveaux détails, ce que nous appelons  les histoires et l'Histoire, en rectifiant nos erreurs d'approximation et interprétation...

Pour elle Jadwiga, j'ai hélas peu de détails, sinon qu'elle est cette jeune déportée polonaise du travail de 1942 à 1945, à Luellingen près de la Ruhr puis peut-être à Massen, toujours dans la Ruhr. Lui c'est plus varié : Il y a son  passage  de jeune travailleur Polonais forcé déporté en 1941 à Hohendorf-Wolgast  dans le Mecklenburg,  puis de la mi-décembre 1942 à début  janvier 1945  un changement  d'endroit et peut-être de travail  dans la Région industrielle de la Ruhr et dans les mines de Gladbeck. Là,  il y a ceux qui creusent au piolet et au marteau. Là aussi, ce ne sont plus les chevaux qui tirent les wagonnets de charbon mais les hommes, comme des bêtes de somme, qui les poussent ou les tirent. N'oublions pas le systémique mépris nazi pour les Slaves.

2/La libération de 1945 pour tous les Déportés dits DP, survivants des Camps de Concentration  de la Mort et ou de Travail, anciens esclaves et victimes des Nazis.   

A la Libération de 1945, le  chaos est général dans l'Allemagne vaincue et dévastée.
« Plus de 20 millions de personnes sont déplacées en Europe, suite à la politique nazie «  (Laure Humbert) :  survivants des Camps de la Mort, survivants des Camps de Travail Forcé, tous considérés survivants de l'Holocauste, toutes nationalités et religions confondues (le terme Shoa étant réservé aux  seules Victimes  Juives),  sans oublier les Prisonniers de guerre et les Déplacés des nouvelles frontières.  Toutes ces anciennes victimes sont  alors, faute de structures  disponibles, souvent casées  et parquées en urgence dans d'anciens camps nazis, parfois annexes d'anciens Camps de Concentration. C'est le cas des Camps DP de Réfugiés de Stemwede et Augustdorf que vont connaître Edmund Olszewski et Jadwiga Mazur, Polonais redevenus libres.

Les 2/3 des Déportés  et Travailleurs Forcés venaient d'Europe Centrale. Ces travailleurs esclaves, exploités  par les entreprises agricoles et industrielles nazies,  ont  aussi été les victimes  collatérales blessées ou tuées des bombardements Alliés,  ces souffrances s'ajoutant aux humiliations et sévices de leurs exploiteurs allemands. En 1945 la libération brusque de ces millions de personnes affamées de nourriture, de relations amicales, familiales ou sexuelles, toujours  affaiblies et meurtries,  a provoqué selon l'analyse de Katarzyna NOWAK  « Un sombre carnaval de la liberté» (A gloomy carnaval of freedom ). Cette liesse provoquée par l'aubaine enivrante  et suffocante d'une  délivrance soudaine,  a aussi permis  l'irruption  réactionnelle et irrationnelle d'une  licence ensauvagée  d'alcool, de saccages,  vols et  viols, et de vengeances parfois meurtrières. D'une certaine façon la Libération provoqua l'anarchie et un vrai bordel...

Ce fut au début le cas à Augustdorf,  ex Camp nazi de prisonniers slaves libérés en mai 1945 et  vite transformé en 1945-1946 en Camp de Réfugiés DP. Les Camps Polonais de Réfugiés DP, très nombreux en Zone Britannique, incluant la Ruhr,  étaient gérés par des Officiers Supérieurs de l'Armée Polonaise en exil, choisis pour  organiser, encadrer et réguler la vie difficile dans ces baraquements surpeuplés.  On sait qu'à Augustdorf,  suite à l'agitation  devenue dangereuse du Camp, «  la Gendarmerie Polonaise de ces officiers  a rassemblé les ivrognes, les mécontents et les agitateurs pour les déplacer dans un camp disciplinaire distinct. »

« From the time of oppressing, a time of embracing » :  Du temps de l'oppression  au temps de l'étreinte, soit celui de la compensation. C'est le jeune écrivain et journaliste Polonais Tadeuz BOROWSKI (1922-1951), né en Ukraine, qui victime des Bolcheviks comme des Nazis,  exprimera le mieux  cette colère amère et parfois virulente des survivants de tous les Camps : Les  parents  du petit Tadeuz avaient été déportés au Goulag par les Soviétiques dès  la fin des années 1920 tandis qu'avec son frère il est rapatrié en Pologne vers 1932. Hélas, Tadeuz  sera  à son tour déporté par les Nazis en 1943 à Auschwitz puis  à Natzweiler-Struthof et Dachau. Même s'il a survécu parce qu'à son arrivée à Dachau on ne gazait plus les non-juifs dits par moquerie «Ariens », l'univers des  camps restera pour lui «une descente aux enfers grotesque et bestiale». 

Après la Libération de retour dans son pays, avec une lucidité terrible, il perdra définitivement  ses illusions face à la violence coercitive du nouveau Régime Polonais  Communiste qu'il croyait servir et se suicidera en 1951 à l'âge de 28 ans. Voici quelques-unes de ses pensées :

« La faim, c'est quand un être humain regarde un autre être humain en se disant que c'est quelque chose de comestible.  » (Un monde de pierre)
 « Nous volerons de l'or et de la viande, / Nous ne voulons plus mourir de faim,/  Nous écraserons les soldats et les gendarmes/ Nous briserons les bâtons et les baïonnettes / Pour nous - cinémas, théâtres, cafés / Pour nous - nourritures, voitures et femmes.- » (...)
 « La vengeance, même compréhensible, n'est jamais la justice. Quand la victime se fait bourreau, c'est le bourreau qui gagne. »  ( Un monde de pierre ).


Concernant les Camps de la Mort,  où  Tadeuz Borowski a vécu déporté, il faut signaler son texte terrifiant évoquant ces lieux : « Aux douches Mesdames, Messieurs ». Le personnage, Tadek,  est l'esclave gardé en vie par les Nazis pour le sale boulot de l'extermination, tatoué du même numéro 119118  que l'auteur,  il incarne avec  cynisme l'inversion atrocement, surréaliste, folle et inhumaine des valeurs dans le  monde concentrationnaire.  Cet univers n'est policé que par  une seule injonction utilitaire de la  « compassion » : «Une loi du camp veut que ceux qui vont à la mort  soient abusés jusqu'à la dernière minute. C'est la seule forme acceptable de pitié. »

En 1945,  les DP (c'est leur distinction), tous victimes des Nazis, manquaient de documents officiels (confisqués) prouvant leur identité. La production légitime de papiers d'identité par l'UNRRA et l'IRO pour  reconstituer l'identité d'anciens Déportés du Travail Forcé et des Camps de  la Mort, mais aussi par des réseaux  criminels pour  la fuite d'anciens nazis, fût en Europe une industrie majeure.  Après les rapatriements massifs de 1945 de DP Réfugiés vers leur pays d'origine, grâce à l'UNRRA (puis par l'IRO  en 1947), parfois sous  la contrainte,  suite aux accords des Alliés avec le Soviétique Staline à la conférence de Yalta de Février 1945,  il  restera  6,5 à 7 millions de Réfugiés DP dans les trois zones d'occupations occidentales, de l'Allemagne.

La crise du rapatriement vers leur pays d'origine viendra en 1946 des anciens Déportés et Réfugiés Slaves et surtout Polonais qui représentent en 1945, 63% des Réfugiés en Allemagne et 79% des DP Réfugiés dans la seule Zone Britannique.  Ces nombreux Polonais  Déportés à présent DP Réfugiés, ralliés à leur ancien Gouvernement Polonais Résistant toujours en exil  et réfugié à Londres puis Paris depuis l'invasion germano-soviétique de 1939, craignaient à juste titre,  un retour dans leur pays d'origine désormais contrôlé par le Communisme Stalinien. Ces Polonais ressortissants théoriques d'une nation victorieuse avec les Alliés  ont amèrement ressenti l'abandon de leur patrie par des Alliés et surtout  par les Britanniques lors de la guerre polono-soviétique. Le 13 mars 1946, 326000 Polonais, comme Edmund Olszewski et Jadwiga Mazur,   restaient dans les Camps de la zone  britannique, malheureux mais  inébranlables dans leur refus de retourner dans leur Pologne, soumise à l'arbitraire idéologique du Communisme Soviétique. Ce drame des anciens Déportés Réfugiés  Polonais, devenus apatrides après 1946-1947, fut mal compris par les Britanniques, souvent condescendants vis à vis des slaves et parfois plus préoccupés de venir en aide à la population allemande, aussi en souffrance, mais tout de même souvent coupable ou complice de l'ancien racisme nazi.
On ne saurait oublier  ce jugement sévère et dramatique d'un adolescent Polonais de 17 ans,  Réfugié DP, ancien Déporté du Travail  Forcé, libéré de la machine de guerre nazie, comparant en 1946 sa situation actuelle de Réfugié Polonais avec   son ancienne condition d'ancien Travailleur Forcé Polonais :«  Y a-t-il beaucoup de différence entre maintenant et auparavant ? J'étais un numéro, je suis un numéro. J'étais appelé chien de polonais, je suis appelé  misérable Polonais,  avec le même sentiment de mépris. Nourriture la même. Méprisé par la race des maîtres Allemands. Rejeté  par la race des Maîtres Anglais. Je haïssais les Allemands auparavant. Je hais les Anglais à présent. ».

Tous ces DP Réfugiés, affaiblis, souvent victimes de traumatismes physiques et psychologiques liés à la guerre,  vivent encore en 1945-1946 dans des camps cernés de barbelés, surveillés par des gardes militaires, mal nourris et mal vêtus pour cause de pénurie et souffrent de la promiscuité pas toujours fraternelle d'autres Réfugiés étrangers, même si le regroupement par nationalités (et même par religions) s'est assez vite organisé, notamment  dans le cas des Polonais.  Fin 1945,  selon les statistiques de l'UNRRA il y avait 250 Camps de Réfugiés DP , il y en aura plus de 700 fin 1948, chiffre grossi  par les Slaves issus du déplacement des frontières d'Europe Centrale et  fuyant les régimes communistes à la mode stalinienne des pays de l'Est.  Le rêve de tous ces Réfugiés DP étant le plus souvent de fuir L'Allemagne et même l'Europe, symboles de leur malheur,  pour des pays lointains et jugés démocratiques tels les USA, le Canada, l'Australie. Les Réfugiés  n'en peuvent plus des Camps, des gardes, des barbelés et seul un départ, loin, ailleurs, leur permettra peut-être de reconstruire une vie. Ce qu'il feront en se mariant souvent avec un ou une de leur compatriote de même douloureuse expérience, ne serait que pour rompre la solitude et par besoin immense de compagnie. Voici les paroles authentiques d'un Refugié survivant  « Je suis seul, je n'ai personne, j'ai tout perdu. Vous êtes seule, vous n'avez personne, vous avez tout perdu. Soyons seuls ensemble ».

Et quant aux  Polonais, , ils  ont vite été stigmatisés comme une communauté à part. Confrontée au « paradoxe tragique des Polonais » Margaret Mac Neil, travailleuse sociale quaker ,  jugea qu'ils étaient  « un peuple qui ne pourrait jamais être heureux dans un pays autre que le sien, mais en restait  séparé. ».

Ce sera vrai pour Edmund OLSZEWSKI et Jadwiga MAZUR, Polonais devenus Apatrides.