Pourquoi
en février achète-t-on tant de sous-vêtements
rouges en Pologne ?
L’écrivain polonais Adam Mickiewicz devient-il peu
à peu le patron des sauteurs ?
Quel est le point commun entre des culottes, des jarretelles et
le bac ?
Enfin, que font les lycéens polonais en terminale 100 jours
avant le bac?
Bon, pas la peine de répondre qu’ils travaillent. Parce
que pour ceux qui sont en terminale, janvier et février en
Pologne, c’est la période de „studniówka”.
L’étymologie de „studniówka”
vient de deux mots polonais: „sto” (cent) et „dzien”
(jour) signifiant tout simplement le grand bal donné à
peu près cent jours avant le bac, souvent appelé „l’entrée
dans la maturité” (le bac s'appelle "matura"
en polonais).
C’est une très jolie tradition polonaise,
transmise de génération en génération
(ma grand-mère et ma maman se souviennent encore de ce grand
jour).
On y pense bien avant, mais quand on arrive en
terminale on ne parle plus que de ça. Croyez-moi, c’est
une vraie folie ! Déjà plusieurs mois avant, on peut
entendre les élèves s’interroger fébrilement
: „ou”, „comment” et „avec qui”
ils vont aller au bal.
Les préparatifs commencent en octobre. Parce que plus tôt
on s’y met, plus on a de chances de réussir... à
la chasse.
Prêts
? Partez !!!
Là
il faut bien répondre à quelques questions essentielles
: „comment” „où” et „avec qui”.
C’est très important parce qu’en Pologne, pour
réussir le bac, il faut bien se préparer... au bal.
Alors le plus tôt possible il faut se procurer :
a) un garçon ou une fille
„Recherche un grand brun, c’est urgent!”,
„Je cherche une jolie fille qui voudra m’accompagner
à studniowka”.
Si vous riez, je vais vous dire que je connais
des cas disons hm… encore plus désespérés
: des filles qui passent des heures dans la rue, pancarte au dos
„Cherchons partenaires pour studniowka”. Non, je ne
plaisante pas, ce sont des exemples réels de la chasse au
partenaire pour le bal, parce qu’il vaut mieux être
accompagné ce jour-là.
b) une belle robe, un costume
Comme studniówka est très médiatisé
en Pologne, chaque année, les medias et surtout la presse
féminine proposent aux élèves comment s’habiller.
Franchement ce problème touche surtout les filles parce que
chacune veut être la plus belle. Là il n’y a
pas de règles, sauf qu’il faut être très
élégante.
Traditionnellement les filles mettent de belles robes de soirée
(c’est leur premier grand bal !) ou des jupes longues avec
bustiers.
Ma maman et ma grand-mère se souviennent qu’à
leur époque on les obligeait à porter un chemisier
blanc et une jupe noire ou bleu marine, pas trop courte bien sûr.
Aujourd’hui le bal ressemble à un concours de beauté...
Comme d’habitude, c’est plus simple pour les garçons,
eux portent un costume, comme leurs grands-pères.
c) de la lingerie rouge
Une coutume polonaise dit que cela garantit le
succès au bac. Alors toutes les filles s’achètent
des culottes et des jarretelles rouges, qu’il faut mettre
à l’envers pour studniówka, puis les garder
sans les laver (!!!) jusqu’au bac et enfin les remettre les
jours d’examens.
Franchement je plains les garçons. Les pauvres, puisqu’ils
ne peuvent pas mettre de jarretelles, ils ont moins de chance de
réussir leur bac... Finalement, cette coutume favorise les
filles…
Le snobisme polonais
Si
les choix du partenaire, de la robe de soirée et de la culotte
appartiennent au candidat bachelier, le choix du lieu de studniówka
est l’affaire du directeur ou de la directrice du lycée.
Le temps où on organisait le bal dans la salle de gym du
lycée est dépassé. Maintenant, les lycées
rivalisent par leur snobisme, et le plus souvent, on choisit de
grands hôtels, d’élégants restaurants
ou des châteaux. En effet ça doit être le bal
des bals...
Un, deux, trois, ne te trompe pas...
A
la fin de la célèbre épopée polonaise
„Pan Tadeusz” de Adam Mickiewicz on lit „Poloneza
czas zaczac !” (Il est temps de commencer la polonaise !).
La polonaise est une danse traditionnelle de Pologne, et „Pan
Tadeusz” écrit au XIXe siècle a laissé
une petite touche jusqu’à notre époque.
Aujourd’hui c’est le directeur ou la directrice du lycée
qui annonce : „Il est temps de commencer la polonaise”
au début du bal. C’est pour ça qu’il faut
s’être entraîné pour ne pas se tromper
dans les pas.
Un, deux, trois... Les entraînements et les
répétitions sont de mise dans chaque école.
Et le grand jour arrive
La
précipitation... On passe encore chez le coiffeur, souvent
chez l’esthéticienne. Bon, les chaussures encore (pour
les filles talons hauts obligatoires).
On est prêts, encore une photo faite par les parents avant
de sortir (c’est la tradition). Ça y est. Au revoir,
„bonne fête les enfants”
Cendrillon a tout son temps
On
arrive, c’est un autre monde, tout le monde est élégant,
on a peur de faire un „faux pas”. On a vraiment du mal
à reconnaître la bande des copains, car tout le monde
est „sur son trente et un”. Pas de jeans ni baskets.
On a l’impression d’être plus mûrs, plus
grands.
Le directeur coupe court aux hésitations.
Un petit exposé – aujourd’hui tout le monde l’écoute.
„Mes enfants nous sommes tous rassemblés ce soir pour
fêter votre entrée dans la maturité. Ce bal,
c’est votre premier pas dans la vie adulte. Portons un toast
à votre réussite, votre chance et votre avenir ! Il
est temps de commencer la polonaise ! ”
Un, deux, trois... comme on a appris, deux petits
pas et le troisième plus grand... On fait le tunnel, on passe
dessous, maintenant à gauche, non à droite. Zut !
On se trompe.
Interdit aux garçons
!!!
Heureusement,
après la polonaise, on nous laisse tranquilles, on danse
comme on veut jusqu’à l’aube. On le fait pieds
nus parce que c’est la tradition d’enlever les chaussures
après quelques heures de fête… elles s’alignent
le long des murs en une longue rangée.
Et les filles allez aux toilettes, vous avez toutes votre lingerie
rouge ? Montrez ! C’est bien, on va le réussir ce bac
! Bon, on prend encore une photo pour nos petits enfants !!! Mais
non c’est interdit aux garçons !!!
Comment Mickiewicz devient
patron des sauteurs...
À
cinq heures du matin, tout est fini, peu à
peu les lycéens disparaissent...
Il
y a quelques jours un matin à l’aube (je revenais d’une
fête, moi aussi) j’ai croisé un groupe de futurs
bacheliers revenant du bal. Fatigués mais contents, ils chantaient
: „Le bac ? On n’en a pas peur !”
J’ai dit à mes amis:” Regardez ! Regardez ! Suivons-les,
ils vont sauter !” J’avais raison, ils se sont dirigés
vers la grande statue de Adam Mickiewicz qui se trouve sur la Place
du marché à Cracovie.
Il faisait encore noir, on les observait, ils ont
commencé à sauter à cloche-pied autour de la
statue. Bon, c’est notre tradition cracovienne. Si on veut
réussir le bac, il faut venir à l’aube après
le bal sur la place du marché et sauter autour de notre écrivain...
Bon, c’était bien le bal, on rentre,
on prend la douche. N’oubliez pas! Après le bal il
ne faut pas se faire couper les cheveux jusqu’au bac. Ça
porte malheur !
Et peut-être à partir de lundi prochain on commence
à travailler ?
Bon bac à vous tous partout dans le monde
entier !
Kasia Janus
Pologne
PS1.Le texte a été écrit
sur la base de mes souvenirs et de rencontres avec des bacheliers
polonais.
PS2. Les photos viennent de ma collection privée
et des lycées suivants:
-Lycée n° 1 à Mielec
-Lycée n° 2 à Glogow
-Lycée autonomique à Gdansk
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