Eau
Voilà que sur ma main tombe une goutte de pluie,
Répandue par le Gange et le Nil.
Elévation du givre des moustaches d'un phoque,
Fruit des cruches cassées dans les villes d'Ys et Tyr.
Sur la poinnte de mon index
La mer Caspienne est une mer ouverte,
Et le Pacifique coule dans le lit de la Rudawa,
La mmême qui survole Paris en petit nuage
En mille sept cent soixante-quatre
Le sept mai à trois heures du matin.
La bouche n'y suffirait pour décliner
Tous tes noms ondoyants, eau.
Il faudrait te trouver un nom dans toutes les langues
En prononcant ensemble toutes leurs voyelles
Et se taire en m6eme temps - au nom d'un lac
Qui n'a jamais pu obtenir un nom quelconque
Et qui n'existe point sur terre, comme au ciel
N'existe cette étoile qui s'y refléterait.
Un qui se noie, un autre qui t'implore en mourant.
C'était il y a longtemps, et c'e'tait hier.
Maisons tu éteignais, maisons tu emportais
Comme des abres, et forêts comme des villes.
Dans les fonds baptismaux et les bidets des putes.
Sur les langues et sur les linceuls.
Grignotant les rochers, allaitant l'arc-en-ciel.
Sueur et rosée des pyramides, des lilas.
Que c'est léger, tout ca, dans une goutte de pluie
Combien délicat est sur moi le toucher du monde.
Quoi - quand - oú que ce soit passé,
Restera gravé dans l'eau de Babel.
(1962)
Terroriste, il regarde
La bombe sautera dans le bar à treize heures vingt.
Il n'est pas maintenant que treize heures seize.
Certains auront le temps de sortir.
Et d'autres d'entrer.
Le terroriste, lui, est déjà del'autre côté
de la rue.
Cette distance le préserve du mal,
Et puis quelle vue ! Comme au cinéma.
La femme en blouson jaune, elle entre.
L'homme en lunettes noires, il sort.
Les gars en jeans, ils causent.
Treize heures diz-sept et quatre secondes.
Le plus petit, le veinard, il enfourche son scooter,
Et le plus grand, il entre.
Treize heures dix-sept et quarante secondes.
Laa fille, elle arrive, un ruban vert dans les cheveux.
Seulement il y a un bus qui passe, et on ne la voit plus.
Treize jeures dix-huit.
Plus de fille
Est-elle entrée, l'idiote, ou bien non,
On verra quand ils auront sorti les corps.
Treize heures diz-neuf.
Plus personne n'entre.
Il y a juste un gros chauve qui sort.
Mais on dirait qu'il fouille encore dans ses poches et
à treizes heure vingt moins dix secondes
il revient chercher ses misérables gants.
Il est treize heures vingt.
Le temps, qu'est ce qu'il traîne.
Ca doit être maintenant.
Oui, maintenant.
La bombe, elle saute.
(1976)
Tortures
Rien n'a changé.
Le corps est douloureux,
Il doit manger, respirer et dormir,
Il a la peau fine, et du sang qui affleure,
Des réserves d'ongles et de dents,
Os qui cassent, ligaments qui s'étirent.
La torture prend en compte tout cela.
Rien n'a changé.
Le corps tremble comme il a tremblé
avant la création de Rome et après,
au vingtième siècle d'avant et après Jésus-christ,
la torture demeure, la terre seule a rétréci,
et tout s'y passe comme dans la pièce voisine.
Rien n'a changé.
Il y a simplement davantage d'umains,
Aux fautes séculaires s'ajaoutent des fautes nouvelles,
Réelles, supposées, momentanées et nulles,
Mais le cri que le corps fait jaillir
Est toujours en cri d'innocence,
Selon les éternels registres et mesures.
Tout cela sous un ciel par nature incéleste
Oú se couche le soleil sans se coucher du tout,
Se cachant sans l efaire derrière un nuage qui s'ignore,
Agité par le vent, sans raison que le souffle.
Une seconde qui passe.
Une autre seconde.
Une troisième seconde.
Mais il ne s'agit que de nos trois secondes.
Le temps passe tel un messager avec une nouvelle urgente.
Mais cette métaphore nous appartient en propre.
Personnage fictif, empressement factice,
Et nouvelle inhumaine.
(1986)