Jacek est mort…
Jacek est mort il y a un an…
le 10 avril 2004 à Gdansk
Jacek Kaczmarski est enterré à Warszawa
au carré Powazki, au carré des poètes
depuis le 24 avril 2004 à midi…
Jacek…
Môssieur Jacek Kaczmarski
… Il… |
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Il est là, il attend quelque chose ou quelqu’un et
tourne en rond. Puis il se lève, part à la cuisine,
cherche ses « clops »… il se marre avec sa voix
rauque et son rire d’enfant. Il se gratte le haut du front,
toujours de la main droite avec la tête penchée… il
fume aussi de la main droite, se frotte la paupière de l’œil
droit, comme pour se planquer d’un regard trop fort… l’hôpital
qui se fout de la charité…
Jacek est gaucher… et s’exprime avec une guitare de
droitier « retournée », parfois la mienne. Le
son particulier qui s’en délivre résonne dans
l’appartement, bien que ce soir, tous les invités
ne soient pas tous arrivés…
Ah, on frappe… j’y vais.
(Paris - rue Marx Dormoy, juillet 83…)… Jacek a 26
ans…
Des flashs montent à ma mémoire, forts, drôles,
des éclats de blagues et de rires, des lambeaux de hargne
et des coups de gueule, des traces de larmes et de douleur, des
morceaux… des milliers de morceaux, éparpillés
par le temps, les distances… Aujourd’hui, les voilà qui
se rassemblent depuis son grand voyage…
J’aimerais vous le présenter sans devoir établir « la » biographie, « la » discographie
alors que d’autres font ça mieux que moi…, même
si certains repères sont nécessaires.
Mais quoi vous dire de l’homme et de cette voix qui bourdonnent
si souvent dans ma tête et dans mon cœur « Encore,
encore jeszcze raz »… ? Bien avant sa mort, mais 20
ans après notre rencontre, il m’arrivait de me demander « qui » ou « combien » pouvait
bien écouter « du Kaczmarski » en cassette ou
CD, à la maison ou en voiture… Larguer au monde entier,
fenêtre ouverte, les mots de ma jeunesse, de ce que fut mon
quotidien, de mes préoccupations de l’époque,
de mes amitiés et de mes amours… vaste programme.
Je n’ai pratiquement jamais cessé de l’écouter… (questionnez
donc mes voisins…). Maintenant, des tas de gens d’autres
générations découvrent cet artiste hors du
commun… quant à ceux de « la mienne »,
aussi dispersée soit-elle, je suis certaine que quelques
accords caractéristiques suffiraient à la ramener
sur la route de cette fabuleuse et tumultueuse épopée… Le
café de la poste faisant foi…
Mal connu en France, bien qu’il y ait résidé pendant
quelques années, Jacek a toujours chanté en polonais
avec un choix de vocabulaire peu commun, précis, et à plus
d’un sens… Demandez aux bilingues franco-polonais de
traduire ses pirouettes linguistiques… mission qui ne peut-être
ni rapide, ni confortable …
Daniel Olbrychski a dit, à propos de Jacek dans une émission
sur Arte (en 94), qu’il était comme « Vladimir
Vissotsky MAIS en polonais »… c’est dire…
D’autres l’associeront à Bob Dylan, Jacques
Brel, Georges Brassens…
Sans doute a-t-il un peu de tous ces génies… mais
il est LUI… et pour ceux et celles qui l’ont approché,
voire accompagné, accros à ses textes, à sa
musique, à sa présence, il est des choses qui lui
soient vraiment particulières : sa voix, son phrasé musical,
parfois athlétique … et ses onomatopées…
Il commencera sa « tournée » française
par le « Printemps de Bourges »… en avril 1981,
période où une grande partie des français
suit de près les événements de Solidarnosc,
des « Accords de Gdansk » du 31 août 1980, aboutissement
des grèves, pendant lesquelles Jacek Kaczmarski chantait…
Le putsch militaire du 13 décembre 81 l’empêchera
de rentrer en Pologne. Il devra choisir, et restera en France,
séparé des siens. Il va consacrer son temps à écrire, à sortir
ses textes qu’on appellera les « après 13 décembre »… textes
redoutables… à la hauteur des événements
dramatiques de Pologne.
Prosba en est l’exemple le plus flagrant et sera écrit
le 27 janvier 82…
Suivront : Linoskoczek, Koncert fortepianowy, Marsz intelektualistow,
Swiadectwo, Kolysanka dla dzieci, Wrozba, Ballada pozytywna, Epitafium
dla Bruno Jasienskiego, Oblawa II, et surtout Zbroja…
Prosba
Mów mi to co dzien : oni góra
Jakbys w twarz raz po raz mi plul.
Chrzest dadza bezimiennym murom
Seriami kul tlum tnac na pól.
Postawia miasta sierocinców,
Nabierze mocy zycia smak.
Nim wyjrzy ludzka twarz zza sinców :
Mów mi, ach mów, ze bedzie tak !
Przy podpalonych bibliotekach
Lud sine rece bedzie grzal
I odnotuje to bezpieka
Kto przy rym plakal, kto sie smial.
Dawnych znajomych nazwiskami
Mignie rubryka – zawód : kat
A nas obwola ktos zdrajcami,
Mów mi, ach mów, ze bedzie tak !
Nasi najblizsi w lapach hycli.
Cosmy robili - sledztwo trwa.
W przedszkolach gwiazdka dla milicji,
Wojsko na placach i we snach.
Starcy mra niepotrzebni swiatu,
Co dotad przeciez krazyl wspak.
Zamiast “Jak sie masz!” – “Dac go katu!”
Mów mi, ach mów, ze bedzie tak !
Bo kiedys moze sie przydarzyc
Ze z któryms z nich powtórze blad
Szukajac uczuc w jego twarzy
Zamiast go zabic z zimna krwia.
Zamiast zacisnac drut na szyi
I krtan w ostatni skrecic krwiak.
Chce slyszec, jak przed smiercia wyje -
Mów mi, ach mów, ze bedzie tak !
Prière de
survie
Rabâche-le moi chaque
jour : Ils jubilent
Fais-le comme un mollard en pleine gueule.
Ils vont balafrer les murs anonymes
En décimant les foules de leurs rafales de balles.
Ils vont bâtir les villes - orphelinats,
La vie va avoir enfin du goût.
Avant de détecter un visage derrière les sales plaies
Dis-moi, oh dis-moi que ça va être comme ça
!
Devant les bibliothèques
en flammes
Le peuple pourra se chauffer les mains
Et la sécurité va noter très soigneusement
Qui a pleuré devant ça et qui s'est marré.
Les noms de nos anciens amis
Dans les rubriques - « profession : bourreau »
Et on nous décriera comme des traîtres,
Dis-moi, oh dis-moi que ça va être comme ça
!
Nos proches aux mains de tortionnaires.
Tout ce que nous avons fait - l'enquête continue.
Des maternelles à l'arbre de Noël de la police,
Les soldats envahissent les rues et nos cauchemars.
Les vieux meurent, le monde n'a pas besoin d'eux,
« Il tournait à l'envers » jusqu'à maintenant.
Au lieu de « Comment ça va » c'est « A l'échafaud
! »
Dis-moi, oh dis-moi que ça va être comme ça !
Car un jour, ça risque
d'arriver
Qu'avec l'un d'eux je commette « l'erreur »
De chercher de sentiments sur son visage
Au lieu de le tuer de sang froid.
Au lieu de serrer le fil de fer sur son cou
Et de tordre sa gorge en un dernier « sale bleu ».
Je veux savourer son hurlement avant qu'il crève
Dis-moi, crie-moi que ça va être comme ça !
(Traduction RS)
Tout va s’enchaîner très vite, et tout s’accélère…
Ce sera donc chez les uns ou les autres, puis au local « Nasza
Wiosna » rue Saint-Sabin qu’il donnera des concerts,
pendant lesquels le public « français » (maîtrisant
le polonais, nécessaire mais pas suffisant) découvrira
les nouveaux textes, ceux de « l’après » particuliers,
offerts sur une musique qui se reconnaît aux premiers accords… D’autres
endroits le recevront, restaurant, librairie polonaise, « Kontakt » bien évidemment à Vanves,
et « Radio Solidarnosc », installée à l’époque,
rue David d’Angers…
Il y donnera également un « concert spécial » en
comité très restreint, le 28 septembre 83 au local
de Radio-Solidarnosc. J’aurais encore la chance d’y être
invitée. Une pure merveille, mais Jacek est très
fatigué voire épuisé. La télévision
française, y viendra prendre quelques images… pour
les utiliser, plus tard, dans une émission intitulée « Exil ».
J’ai un pincement au cœur monumental, il me manque, à moi
et à d’autres.
Quelle chance nous avons eu…
Jacek est né le 22 mars 1957 à Varsovie. Il étudie « les
lettres » à l’université, écrit
ses textes à caractère poétique et politique.
Ses engagements littéraires déclenchent officiellement
la « protestation » de l’ambassade soviétique
contre son anti-soviétisme. Au moins les « voisins » écoutent… cultivés
les voisins… !!!
Il est pour tous « le barde de Solidarnosc » bien
qu’il n’aime pas cette étiquette, il se veut
poète avant tout, mais le symbole est trop fort, c’est
donc ainsi qu’on le nomme dans le monde entier. Il va enregistrer
plusieurs disques (en Pologne, ils seront tous détruits)
mais en France, des cassettes se dupliquent et circulent partout…
Il travaille avec Przemek Gintrowski et Zbyszek Lapinski sur ses
premiers albums… (Ce n’est que plus tard, que je parviendrais à cerner
leurs propres créations, ce qui me permettra de les replacer
dans leur contexte).
Les années passeront avant qu’ils ne puissent se retrouver
tous les trois pour enregistrer des versions retravaillées
de leurs programmes d’origine : magnifique…)
Quelques « 33 tours » verront le jour néanmoins,
dans ce qu’on appelait encore à l’époque « l’Europe
de l’Ouest ».
Jacek reçoit le premier prix au « Festival Étudiant
de la chanson » à Cracovie, et le second, « Le
bâillon d’argent » au Festival de la chanson
interdite à Gdansk en 1981.
Il commence ses aller-retour en
Allemagne pour Radio Free Europe à Munich,
où il travaille à sa propre émission : « un
quart d’heure avec » Jacek Kaczmarski.
Dans les deux liens ci-dessous, outre une belle interview de Jacek,
vous pourrez entendre : « Wojna Postu z Karnawalem » dans
le premier, ainsi que « Lalka, czyli polski pozytywizm » et « Zbroja »
http://www.wolnaeuropa.pl/mp3/rwe_kaczmarski-96-cz-1.mp3
http://www.wolnaeuropa.pl/mp3/rwe_kaczmarski-96-cz-2.mp3
Ses voyages l’emportent des Etats-Unis jusqu’en Australie
en alternance avec la vieille Europe dans laquelle ses chansons
se diffusent et s’impriment…
Pendant cette période, nous nous sommes perdus de vue, mais
j’avais toujours des nouvelles de lui, par l’un ou
l’autre… surtout par l’Autre…
J’avais « vu naître » son fils, devenir
petit garçon, intrépide et sage à la fois… il
est aujourd’hui un homme que je ne saurais sûrement
pas reconnaître… J’ignore où il est, mais
je me rappelle bien son petit visage…
Une battue ne suffirait pas à rassembler mes images, mes
impressions, mes souvenirs pourtant si présents
Je ne me souviens plus combien de jeux de cordes j’ai dû racheter
après « Marsz intelektualistów » ou « Prosba »…
J’aimerais tant devoir encore en avoir de côté… au
cas où… Hummm.
Il va rentrer en Pologne, en 2002, atteint d’un cancer de
la gorge. C’est la Pologne entière qui va se mobiliser
pour l’aider, sous toutes les formes, y compris financière… des
voix pour la sienne…
Un cancer de la gorge pour un barde, merde Jacek, ça fait
désordre…
Krzycze, krzycze, krzycze, krzycze wnieboglosy!
A czy ktos zrozumie to ?
Quand j’ai appris cela, je crois qu’une armée
d’ours et de loups pouvait bien m’attendre au coin
des bois de Paris, du fond des caves de Tolbiac ou la voûte
de Saint-Sabin, pire encore : sur le bord du Pont-Marie, … je
voulais partir à Gdansk, le chercher partout, juste pour
le revoir…
Gdansk était juste un peu moins loin que l’Australie,
2 000 km, je pouvais faire.
Soudain 2 000 km, je devais faire…
Mais quoi lui offrir, si ce n’est mon sourire et mes « bonnes
vannes »…
ç
a n’a jamais guéri personne…
Je me suis mise en quête d’un « jeu de cordes… » (quand
même), d’une « complète de Brel » (Jacek
maîtrisait très bien le français, bien qu’il
s’en soit souvent défendu), et puis soudain, une rafale
de bricoles m’ont fait sourire… donc pas de roquefort,
on avait bien compris, peut-être un peu de miel, ben non
il ne peut rien bouffer de toute façon…
J’ai préparé un tableau inspiré par
l’une de ses chansons « Stracanie aniolów »…
J’étais prête.
J’étais prête à une grande émotion
: revoir Jacek après tant d’années…
J’étais prête à partir : ce sera en mai… 2004… ce
sera à Gdansk, ce sera avec A.
Avril 2004, un matin…
Madame A vient me voir au bureau.
Madame A a quelque chose à me dire
L’horreur
L’horreur de chez l’horreur…
Le monde va s’arrêter sur ces mots dits maudis…
Même pas la mort ne bâillonnera notre Jacek
Il s’éteint le 10 avril 2004 à l’hôpital
de Gdansk… il avait 47 ans.
Madame A et moi irons quand même à Gdansk… de
toutes façons
Pas tout à fait dans le même esprit, ni le même
moral…
Et, de Gdansk, nous reprendrons le train pour Warszawa…
Et, j’irais à Powazki…
Et j’irais voir Jacek
Je l’ai cherché, je l’ai trouvé, mais
pas comme j’imaginais…
Je lui ai parlé autrement, je me suis effondrée.
En sortant de Powazki, il ne restait que l’ombre de moi-même,
des ombres,
des fantômes, et des présences de toutes sortes…
C’est encore le bus 122 qui va me ramasser…
Et je suis rentrée à Paris… « une valise
sur le cœur »…
Il nous laisse un millier de textes, plus de 22 albums, des livres…
Et tant de souvenirs…
Mury (1980)
Raj (1980)
Muzeum (1981)
Krzyk (1981)
Carmagnole 1981 (1982)
Stracanie aniolów (1982)
Live In Chicago (1983)
Litania (1986)
Kosmopolak (1987)
Dzieci Hioba (1989)
Glupi Jasio (1990)
Live (1991)
Mury w Muzeum Raju (1991)
Bankiet (1992)
Wojna Postu z Karnawalem (1993)
Sarmatia (1994)
Szukamy stajenki (1994)
Pochwala lotrostwa (1997)
Miedzy nami (1998)
Dwie skaly (2000)
Dwadziescia (5) lat pózniej
Mimochodem
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Des livres ....
Autoportret z Kanalia
Plaza dla psów
O aniolach innym razem
Napój Ananków ........
Une biographie vient de sortir en polonais :
Jacek Kaczmarski w swiecie tekstów - Krzysztof Gajda
Juste avant de terminer ces lignes et vous laisser découvrir
le site sur lequel on commence à trouver les textes de Jacek
en français, (http://perso.wanadoo.fr/rafal.s/Kaczmarski.htm)
Je voudrais juste lui dire ce qu’il a dit lui-même
mille fois…
Les inscriptions magiques
Personne ne peut les déchiffrer
Mais elle est forgée de mythes
Eternelle comme un mythe
Elle s’est soudée à mon corps
Elle m’empêche de vivre et de dormir
Et la foule se moque du nain
Qui veut jouer les colosses
Mais quoique le heaume et l’épée
soient perdus
Que, pour le corps aucun d’eux ne soit refuge
C’est, en fin de compte, une chose importante :
L’armure
Zbroja
Magicznych na niej rytów dzis nie
odczyta nikt
Ale wykuta z mitów i wieczna jest jak mit
Do ciala mi przywarla, nie daje zyc i spac
A tlum sie cieszy z karla, co chce giganta grac
Lecz choc zaginal helm i miecz
Dla ciala zadna w niej ostoja
Bo przeciez w koncu wazna rzecz
Zbroja |

Ecoutez Zbroja
( Real Audio ) |
Et j’ai compris ce qu’ils veulent faire de moi ici
Et ma gorge est serrée par la peur !
Mon cheval a disparu, et vous, la foule des sept cercles
Vous avez du sable dans les oreilles et dans les yeux !
Personne ne m’attrapera avec ses mains cruelles
Ils n'vont pas me torturer ni même me tondre !
Ils ont pour moi ici un huitième cercle !
Un huitième cercle dans lequel il n'y a rien.
Souvenez-vous de moi, de toutes vos forces !
Même si je suis passé devant vous comme une ombre
!
Chauffes le bain jusqu’à ce que la pierre se transforme
en poussière
Je reviendrai quand le jour se lèvera !
Epitaphe pour W. Wysocki
I pojalem co chca za mna zrobic tu
I za gardlo porywa mnie strach !
Kon mój zniknal a wy siedmiu kregów tlum
Macie w oczach i w uszach piach !
Po mnie nikt nie wyciagnie okrutnych rak
Mnie nie beda katowac i strzyc !
Dla mnie maja tu jeszcze ósmy krag !
Ó
smy krag w którym nie ma juz nic.
Pamietajcie wy o mnie co sil ! Co sil !
Choc przemknalem przed wami jak cien !
Palcie w lazni az kamien sie zmieni w pyl -
Przeciez wróce, gdy zacznie sie dzien !
Epitafium dla W. Wysockiego
Et moi,
Je ne t’oublierais jamais… Jacek K !
Bern L
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