Le
camp de l'Armée polonaise de Veluché.
Le
16 novembre 1939, fut décidé le choix de l’implantation
d’un camp près du village de Veluché (Deux-Sèvres),
avec comme appellation officielle ‘’Camp de circonstance
de St Loup-sur-Thouet’’. Il a été implanté
sur le territoire de la commune des Jumeaux à la lisière
d’Airvault, sur des terrains boisés et isolés,
appartenant aujourd’hui à la société
Calcia, et qui furent réquisitionnés à l’époque
auprès de particuliers pour la circonstance. L’autorité
de ce camp a été confiée au général
Chateignon, Commandant d’Armes de la place spéciale
d’Airvault.
L’objet de ce camp fut de permettre l’incorporation
des recrues et la formation des unités combattantes des 2ème
et 4ème Divisions polonaises. Il servait également
à l’accueil et à l’intégration
des combattants et réfugiés polonais en provenance
de Hongrie et de Roumanie. Dès que les unités étaient
formées, elles étaient réparties dans les fermes
des localités avoisinantes alentours pour y subir l’instruction
et l’entraînement militaires nécessaires et laisser
la place aux nouveaux arrivants. Pour ces unités ainsi délocalisées
en Gâtine, Veluché servait de camp de base et de dépôt
de guerre. Il offrait toutes les prestations logistiques nécessaires
à la formation, l'entretien, l'armement, l'hygiène,
et la vie de deux divisions. Les fermes et les habitations utilisées
étaient louées aux habitants de la Gâtine par
la place d’armes d’Airvault.
La conception et l’élaboration de ce camp ont été
réalisées par les troupes des unités du Génie,
du Train et des responsables civils. Tout ce monde était
basé à Saint Loup et dépendait de l’autorité
militaire. La main-d’oeuvre ouvrière était constituée
de professionnels civils et de travailleurs espagnols mobilisés
pour la circonstance. Les vestiges de ce camp sont encore visibles
dans les bois de Valendin, de Desmoulines, de St Loup, des Places
et de la Chauvière. Deux types de baraquements y furent identifiés.
Le premier type reposait sur une plate-forme en ciment avec des
murs montés en briques, dont la face extérieure était
enduite. L'autre type de baraque reposait sur un vide sanitaire
en pierres maçonnées de 20 à 60 cm de hauteur,
avec un plancher et des murs en bois renforcés par des structures
extérieures. Dans les deux cas, les baraques étaient
grandes de 20 m par 7 m et étaient recouvertes d'ardoises
(débris retrouvés sur place), ou de plaques en fibro-ciment
selon le témoignage de M Larrick, qui, adolescent en 1941
a participé à leur démontage.
L’ensemble des bâtiments de ce camp, qui n’était
pas clos, s’étendait sur une zone triangulaire d’une
longueur de 3 km et d’une base de 1,5 km. L’étude
faite par l’Association Historique de Thouars, et publiée
dans sa revue ‘’Mon Pays’’, mentionne qu’il
avait été également nécessaire d’aménager
une voirie permettant les liaisons intérieures au camp, de
le viabiliser grâce à la construction du château
d’eau de Potifi, et de procéder à son électrification.
Une logistique importante concernant la maîtrise des eaux
usées et sanitaires a certainement dû être mise
en place pour son assainissement. Les baraquements des bois de la
Chauvière semblaient être dédiés à
l’hébergement des chevaux destinés à
la traction hippomobile pour les transports et pour les batteries
antichars. (5)
L'emplacement du camp de l'Armée polonaise
à Veluché.
Un champ d’exercices a été
aménagé dans la plaine d’Assais entre Migny
et les Jumeaux. Un champ de tir occupe un vaste emplacement entre
Availles, Irais, Noizé et St Jouin. De nombreux petits ouvrages
bétonnés, blockhaus miniatures utilisés comme
postes d’observation à proximité du réceptacle
des tirs, y ont été élaborés, et quatre
d’entre eux sont encore visibles sur la route de St Jouin
à Oiron. Les paysans locaux ne pouvaient travailler dans
leurs champs que selon un horaire bien déterminé et
réduit. La route d’Availles à Irais était
interdite dans les plages horaires des tirs.
Les travailleurs espagnols
affectés à la construction du camp provenaient de
quatre compagnies de travailleurs. Les compagnies 152, 172, 173
et 174 qui étaient composées chacune de 250 hommes
et placées sous les ordres d’un officier. Les Espagnols
impliqués dans ces compagnies étaient des réfugiés
politiques et d’anciens soldats républicains venus
trouver refuge en France après les événements
d’Espagne de 1936. A leur arrivée en France ils sont
d’abord internés dans plusieurs camps sur le pourtour
de la Méditerranée. Le décret du 12 avril 1939
du ministère de l’Intérieur stipule que les
Espagnols de France bénéficiant du droit d’asile
et âgés de 18 à 48 ans doivent fournir aux autorités
militaires, des prestations, c’est-à-dire des travaux
exécutés dans des formations analogues aux unités
militaires. Les Espagnols ainsi incorporés comme prestataires
sont traités à tous égards, comme des militaires,
notamment en ce qui concerne la solde, le logement, l’entretien,
les permissions, et que les allocations militaires. Le décret
ajoute que les personnes refusant de signer les fiches de prestations
seront invitées à regagner l’Espagne...
Un des quatre blockhaus d'observation sur la route
de St Jouin à Oiron.
En
octobre 1939, les Compagnies d’Espagnols arrivèrent
à Saint Loup, encadrées par un détachement
de gardes mobiles. Elles séjournèrent dans les fermes
de Louin. Ces Compagnies avaient leur infirmerie et leur cuisine
roulante. Leur tâche serait dédiée à
l’aménagement de la voirie du camp et ils exploiteraient
à cet effet les carrières à Nuze. Ce furent
environ 1.000 hommes courageux qui ne rechignèrent pas à
la besogne, qui accomplirent dans les délais, les tâches
qui leur étaient assignées. Il est important de mentionner
que, sensible à leur implication, le ministère de
la Défense dans une note de service du 19 mai 1940, demanda
au chef des Forces terrestres d’attribuer une prime de bon
rendement de 5 francs par jour aux Espagnols des Compagnies employés
dans la zone des armées.
Le 18 décembre 1939, les premières unités polonaises
arrivèrent au camp. Trois bataillons d’instruction
divisionnaire et une compagnie de pionniers venant du camp de Coëtquidan,
soit 3.147 hommes, vont oeuvrer à la préparation du
camp et à l’instruction des futures recrues. L’encadrement
des unités était polonais. Des officiers français
étaient présents également parmi l'encadrement
pour assumer le fonctionnement d'activités spécifiques.
Rapportée à l'échelle de la population locale,
cette masse de militaires subitement transplantée dans la
région d'Airvault qui atteignit plus de 15.000 hommes, était
très impressionnante pour les autochtones. Les Maires des
communes ont dû leur trouver des cantonnements dans des maisons
inoccupées, des granges, des greniers... L'hiver de 1939
fut très rigoureux et rendit difficile les conditions d'habitation.
Les officiers, quant à eux, étaient logés dans
des chambres libres réquisitionnées chez l’habitant.
Les officiers apprenaient la langue française avec des bénévoles
comme l’évoque M Billy, qui, adolescent à l’époque,
et de surcroît bon élève du cours complémentaire
de Thouars, avait en charge un groupe d’officiers venant régulièrement
dans les locaux du cours complémentaire suivre des répétitions
de Français. A Saint Loup, M Lavenat, instituteur du village,
procédait aux mêmes répétitions.
En
février 1940, le général W. Sikorski , chef
du gouvernement polonais en exil et Chef des armées, effectue
une tournée d’inspection des combattants de la 2ème
Division polonaise. Il est accueilli le 27 février par l’état-major
de la division installée à Parthenay sous le commandement
du général Prugar-Ketling, et par la municipalité
(avec paraphe du livre des audiences). Il rend visite le lendemain,
aux militaires stationnés à Thenezay, ainsi qu'à
ceux du camp de Veluché. Le 8 Mars 1940 est inauguré
au "Family-Palace" le Foyer du soldat polonais de Thenezay
par le général Prugar-Ketling en présence des
personnalités locales. Le 3 mai 1940 c'est au tour du Foyer
du soldat polonais d'Airvault d'être inauguré solennellement
au Ciné Val d’or.
En complément à ce camp, de nombreux officiers et
sous-officiers polonais étaient à l’instruction
dans des centres spécialisés de formation (100 à
150 élèves par centre), dispersés dans la région:
Thouars pour le Génie, Bressuire et Niort pour l’artillerie,
Parthenay pour les officiers d’état-major et de groupe.
Le 16 juin 1940, le camp de Veluché fut converti en dépôt
de guerre commun à toutes les unités de l’armée
polonaise de France
La composition de l'Armée
Polonaise reconstituée.
En juin 1940, l’effectif
de l’armée polonaise en France était de 80.326
hommes. Les soldats portaient l’uniforme français.
L’encadrement était polonais et arborait l’uniforme
de l’armée polonaise. C'était une armée
alliée, rattachée au commandement français,
qui combattit sous ses propres drapeaux. 50.000 de ses hommes étaient
issus de la mobilisation des Polonais immigrés en France,
et 30.326 des recrues provenaient de Pologne.
Cette armée se composait des unités et des effectifs
suivants :
1re Division de Grenadiers (formée à Coëtquidan)
16165 H
2ème Division de Chasseurs (formée à Parthenay)
16112
1re Brigade du Nord (formée à Coëtquidan) 4612
10ème Brigade blindée (formée en région
parisienne) 5305
Centre d’instruction 6745
3ème Division (en cours de formation à Coëtquidan)
8320
4ème Division (en cours d'instruction à Parthenay)
11807
Brigade du Levant (en Palestine Française, Beyrouth) 3270
Aviation (Lyon et Montpellier) 7990
La 2ème Division polonaise de Chasseurs à pied.
Le premier contingent
d'officiers polonais arriva à Parthenay le 31 octobre 1939.
Ils procédèrent à l’installation d’une
école d’instruction pour officiers dans les locaux
du collège. Un deuxième contingent constitué
de quelque 200 officiers suivirent le 2 décembre 1939. Ils
sont conduits par le colonel Halocinski et sont accueillis par le
Maire de Parthenay avec un discours de bienvenue . Ces officiers
constituaient l'encadrement de la future division. Ils logèrent
chez l’habitant, le prix de location de la chambre était
fixé à 90 F par mois. Ils prendront pension à
20 F par jour au Café-Restaurant ''Le Castille'' et au ''Boeuf
Couronné''. Des cours de français sont inscrits à
leur programme,
A partir du 1er janvier 1940 et jusqu'à la fin de février,
les soldats polonais appelés sous les drapeaux arrivent à
Parthenay où l'on procède à leur incorporation.
Ils passent à la cadence de 300 à 400 par jour la
visite d'incorporation, touchent leur habillement et repartent aussitôt
dans des camps d'entraînement dispersés dans la Gâtine.
Ils logent dans les fermes et les granges avoisinantes.
Les hommes de troupe portent l’uniforme français des
Chasseurs à pied qui provient du dépôt de Parthenay
avec, comme signe distinctif en écusson l'aigle polonaise
sur le béret ou le calot. Les officiers, eux, arborent l'uniforme
polonais, avec la casquette carrée.
Les combattants étaient armés du fusil ''Berthier''
de 1916. Ce fusil long, (1,32 m), et lourd (4,2 kg) avait cependant
un tir précis.
Cette division est placée sous le commandement du général
Prugar Ketling, qui installe son quartier général
à Parthenay dans plusieurs maisons sises dans les rues Jean
Jaurès (n° 82), Passier, Louis Aguillon (n°6) et
du 14 Juillet (n°23). (14)
Le plan de stationnement des unités de la 2ème Division
se présentait ainsi: (14)
Unités
4ème Polonais d’Infanterie
5ème Régt. Polonais d’Infanterie
6ème Régt. Polonais d’Infanterie
13ème Cie de Pionniers du P.P.I
Cie Divisionnaire anti-chars
2ème G.R.D.I. Polonais
2ème Régt. Pol. d’Artil. légère
202ème Régt.Pol.d’ Art. lourde
Batterie de 47 anti-chars hippo
PAD2 E.M. Cie d’ouvriers n°286
PAD2 Section muni. Auto n° 386
Cie Auto du Train n° 386/49
1er Groupe d’exploitation n° 186
1er Groupe Sanitaire Division N° 186
|
Stationnement
Irais
Maucarriere
Gourgé
Airvault
Airvault
Chapelle Bert
Thenezay
La Ferrière
Oroux
Parthenay
Parthenay
Le Tallud
Le Tallud
Le Tallud
|
Commandement
Lt.Col. Cieszkowski
Lt.Col. Kowalczewski
Lt.Col. Bien
Lt. Pizarski
Cap. Brewinski
Lt.Col. Swiecicki
Lt.Col. Kus
Lt.Col. Maliszewski
Cap. Szczeptrowski
Cap. Juszerynski
Cap. Nowak
Cap. Zwierzchowski
Lt. Czaikowski
Dt Szweryn
|
L'Armée polonaise et les habitants de la
Gâtine.
Concernant
la présence de l'armée polonaise en Gâtine,
ce qui transparaît dans la plupart des témoignages
émis par les habitants de l'époque, c'est la notion
de masse, de nombre très important de soldats et de leur
omniprésence. Pour Parthenay, des documents relatent ''Ce
sont, à chaque instant des défilés dans les
rues, ponctués de chants virils et rythmés par le
pas rude des soldats'', ''ils sont si nombreux en ville qu'ils représentent
75% de l'activité du commerce de Parthenay'', ou encore ''un
passant sur deux est polonais'', ''les Polonais, nos défenseurs
de demain''.
Les contacts avec la population sont informels et chaleureux d'après
ce témoignage du 2 janvier 1940 à la poste de Parthenay
'' Premier cours aux 18 officiers polonais présents sur le
thème, comment utiliser la poste? ils sont de tous âges,
aimables, polis, corrects. Ils comprennent en général
ce qu'on leur dit, à la condition de parler lentement et
nettement. Nous avons chanté ensemble La Marseillaise dont
ils connaissent l'air mais vaguement les paroles''. (20)
A Airvault les Polonais font grande impression: " Ils sont
arrivés chez nous par le train, le lundi de la foire juste
avant Noël", "ils sont partout'', ''les soldats polonais
encombrent les rues, à tel point qu'on ne peut plus circuler'',
ou "ils sont très pieux, boivent sec et font beaucoup
d’achats chez les commerçants", ou encore "que
leurs chants étaient beaux lors de l’animation des
messes et notamment de celle de la Noël". Ces souvenirs
sont toujours dans les esprits. (5)
Des comités
franco-polonais parrainés par des personnalités locales
de Parthenay, Bressuire et Thénezay organiseront de nombreuses
manifestations publiques, à caractère caritatif. Elles
favoriseront les échanges entre les deux communautés
et resserreront les liens d'amitié. Les élus locaux
assisteront régulièrement aux nombreux concerts, soirées
théâtrales, cérémonies religieuses, dépôts
de gerbes, prises d'armes, célébration de la fête
nationale polonaise. On retrouve les comptes rendus enthousiastes,
ainsi que les noms des personnalités présentes, dans
les différents journaux régionaux.
Une analyse du quotidien ''La Petite Gironde'' fait état
de 22 manifestations franco-polonaises publiques organisées
de décembre 1939 à mai 1940. Les localités
les plus citées sont Parthenay avec 8 manifestations, Bressuire
7, Thénezay 4, Niort 2 et Thouars avec 1 manifestation. (4)
"Le Petit Courrier" est encore plus prolixe dans ses rapports,
et fait mention de 33 manifestations. Il offre en outre ses colonnes
pour une chronique quotidienne en polonais! (23)
Le charme slave fait aussi parler de lui... ''La sollicitude féminine
s'exerce à leur égard avec sympathie et vigueur, et
un groupe de femmes franco-polonaises de Parthenay - ce qui signifie
qu'on ne sait pas très bien ou, commence la France et finit
la Pologne - organise le 10 mars, une soirée en leur honneur!.
Ce sont évidemment les officiers logés à Parthenay
qui sont les plus en vue''.(20)
Des drames aussi surviennent... Le 16 février 1940, neuf
soldats polonais du centre d'instruction de Bressuire sont tués
à 6 heures du matin aux Sicaudières sur la route de
Nantes, par un camion fou dévalant la pente verglacée
et fauchant une vingtaine d'hommes. Ils sont inhumés au cimetière
de Bressuire, et une stèle du souvenir a été
érigée en leur mémoire en décembre 1988
sur la route de Nantes.
Les Polonais laissèrent également des témoignages
simples mais hauts de signification de leur passage dans la région.
La Vièrge de Czestochowa dans l'église
St Pierre d'Airvault.
- à Airvault avec le tableau de la Vierge
Noire de Czestochowa exposé dans la collégiale St
Pierre, témoignage de reconnaissance offert aux habitants
d’Airvault le 4 avril 1940 par les militaires du 4ème
régiment d’infanterie basé à Assais.
- à Bressuire où un tableau de la même Vierge
Noire fut offert le 30 mars 1940 à l'église Notre-Dame
par les soldats polonais ''touchés par l'accueil particulièrement
chaleureux des habitants de Bréssuire, matérialisant
ainsi le sentiment de reconnaissance des Polonais''.(4)
- à l 'emplacement du camp de Veluché, une croix fut
érigée sur le bord de la route de Veluché à
Airvault-gare, à la lisière du bois de Valendin, et
appelée depuis la Croix des Polonais
Jean Medrala |