Qui écrira notre histoire ? Les archives secrètes du ghetto de Varsovie / Samuel

Démarré par Archives, 21 Novembre 2023 à 15:29:04

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Posté par: Regis (IP Loggée)
Date: 31 octobre, 2011 23:48

Avec "Qui écrira notre histoire ?", l'historien américain Samuel D. Kassow se penche sur le parcours et l'entreprise d'un historien juif polonais, Emanuel Ringelblum, qui est à l'origine de la constitution des archives secrètes du ghetto de Varsovie.

Il lui rend un vibrant hommage, doublé d'une belle profession de foi sur la mission de l'historien, à travers un ouvrage d'une rigueur absolue qui, de manière synthétique, se penche sur le processus d'élaboration, le contenu et la finalité originelle desdites archives, qui sont indissociables de sa personnalité et de ses convictions.
Né en Galicie, région tampon entre l'Autriche-Hongie et la Russie qui a été rattachée à la Pologne, où l'intelligentsia juive baignait dans une culture populaire yiddish empreintes des traditions hassidiques profondément enracinées dans l'Europe de l'Est où elles sont nées, Emanuel Ringelblum est un historien spécialiste de l'histoire judéo-polonaise, militant du parti marxiste révolutionnaire Poaley Tsiyon, qui avait été volontaire au YIVO, l'Institut pour la recherche juive et avait travaillé pour l'organisme de secours aux juifs le Joint Distribution Committee.

Samuel D. Kassow le décrit comme "le produit d'une culture laïque de gauche dans laquelle l'étude de l'histoire juive et de la littérature yiddish était un élément de la construction d'une nouvelle identité juive qui proclamait sa fierté nationale tout en s'ouvrant sur le monde. Ringelbaum était fermement convaincu que l'histoire des souffrances juives, si terribles fussent-elles, relevait de l'histoire universelle, et pas simplement de l'histoire juive."

Il consacre également de larges développements aux essais que Emanuel Ringelblum a rédigé dans le ghetto puis ensuite dans le bunker situé du côté aryen de Varsovie dont notamment celui consacré aux relations entre les Juifs et les Polonais dont il indique qu'il constitue "une synthèse unique, l'immédiateté du témoignage contemporain allant de pair avec le détachement analytique de l'analyse historique rétrospective" attestant d'une grande discipline intellectuelle.

Cet essai apporte un éclairage circonstancié et indispensable qui recadre les jugements à l'emporte-pièce souvent portés sur le comportement de la Pologne lors de la Seconde guerre mondiale. Emanuel Ringelblum constate que ce pays était pris en étau entre des traditions de libéralisme et de tolérance et un antisémitisme atavique ce qui entraînait des relations janusiennes avec les communautés juives et fait la distinction entre le comportement personnel du Polonais face au Juif et le comportement civique de la population polonaise face à la communauté juive, insistant que le fait que les Polonais n'étaient pas des nazis.

Ce qui ne l'empêche pas de constater que les Juifs polonais n'ont pas bénéficié de la protection et de la sollicitude de la Résistance polonaise qui n'a pas été, écrit-il, "à la hauteur des exigences de solidarité et de la dignité humaine la plus fondamentale".

S'agissant des archives secrètes du Oyneg Shabes, elles présentent la particularité non seulement de concerner la vie au quotidien du plus grand ghetto juif - les Juifs de Varsovie constituaient la plus grande communauté juive d'Europe et 350 000 personnes seront parquées en 1940 dans le ghetto - mais de résulter d'une collecte commencée dès octobre 1939 qui s'inscrit dans un dessein plus large que de contribuer à l'historiographie de l'Holocauste.

En effet, même si cette collecte fut réalisée par de nombreux bénévoles, membres comme Ringelblum de l'Aleynhilf, la grande organisation juive de secours à Varsovie qui prenait en charge les 1 600 comités d'immeuble qui constituaient une sorte de contre-pouvoir au Judenrat, le gouvernement du ghetto placé sous l'autorité des nazis et composé de leaders juifs, qui adhérèrent à l'organisation clandestine Oyneg Shabes dont il fut le fondateur, elle s'inscrit dans une entreprise scientifique d'écriture de l'histoire juive in situ menée par Ringelblum pour "rappeler à la postérité que dans la mort, comme dans la vie, les Juifs d'Europe orientale étaient un peuple, non pas un groupe religieux ou une communauté de martyrs".

Elles permettent de suivre quasiment au jour le jour l'histoire du ghetto et le processus de l'extermination élaboré par les nazis qui a commencé par la destruction économique, les Juifs ne pouvant plus exercer d'activité commerciale, suivie de l'enfermement dans le ghetto, un quartier de la ville transformé en camp entouré de murs et de barbelés avec un sous-rationnement méthode radicale d'élimination par la famine (en 1942, la faim avait tué 100 000 personnes) puis la déportation dans les camps d'extermination avec, en outre, la liquidation de la culture juive par la destruction des synagogues, des bibliothèques et des cimetières.

Du fait du nombre des personnes chargées d'alimenter ces archives au jour le jour avec les faits les plus infimes soient-ils sans censure ni hiérarchisation, celles-ci constituent un thésaurus exhaustif et extrêmement détaillé de la vie quotidienne dans le ghetto de Varsovie dans tous les rouages et avec toutes les figures impliquées à quelque niveau politico-socio-culturel que ce soit aussi bien dans son fonctionnement que dans sa pathologie.
Car le ghetto est devenue une entité qui a reproduit le modèle sociétal avec ce que cela implique de cohésion, ce qui a permit de déjouer partiellement le plan d'élimination rapide des nazis, notamment en instituant une économie souterraine basée sur le marché noir avec l'extérieur.

Mais également de turpitudes pour lesquelles Emanuel Ringelblum se montre extrêmement sévère. A savoir la police juive, composée de Juifs instruits, membres de professions libérales, qui s'est chargée des rafles pour le compte des nazis, les exactions du Judenrat qui approvisionnait les camps de travail allemands et la dureté avec laquelle la bourgeoisie juive traitait les masses juives ("la famine actuelle a clairement mis en évidence la face bestiale de la bourgeoisie juive, sa nature de cannibale").

Et surtout, l'égocentrisme des Juifs de Varsovie qui ont "oublié" la priorité absolue que constitue la protection de l'enfance et qu'il tient pour responsable de la mort massive des enfants à l'intérieur du ghetto avant même la début de la déportation en 1942 ("Le sort des enfants juifs du ghetto dormant dans la rue, mourant de faim révélait la faillite morale d'une bonne partie de la société juive. Oui, la responsabilité ultime incombait aux Allemands. Mais cela n'excusait pas les Juifs qui avaient perdu leur sens de la communauté et leurs sentiments de responsabilité mutuelle").

Samuel D. Kassow précise également que l'organisation Oyneg Shabes n'était pas qu'un archiviste de la vie du ghetto mais également un collecteur d'informations en provenance de l'ensemble du territoire polonais qui approvisionnaient la presse clandestine juive et polonaise, puis, à partir de 1942, s'est chargé d'alerter l'opinion internationale notamment par la transmission de rapports au Gouvernement polonais en exil à Londres.

Enfin, il fait état de l'analyse de Emanuel Ringelblum quant à la passivité des Juifs qui, selon lui, d'une part tenait à l'incrédulité des Juifs quant au triomphe du mal radical du fait de leur foi élémentaire en l'humanité, valeur centrale du judaïsme, et d'autre part qu'ils ont livré aussi longtemps que possible une bataille passive basée sur la résilience psychologique, acceptant de mourir pour permettre aux autres juifs de vivre.

Emanuel Ringelblum a quitté le ghetto en août 1943. Réfugié avec sa femme et son fils dans une cache aménagé du côté aryen, a été exécuté le 7 mars 1944 avec tous les autres occupants. Le 18 septembre 1946, les premières boîtes d'archives étaient exhumées du ghetto de Varsovie.

"A travers l'écrit, on pouvait affronter le présent terrible avec la dignité du passé et se resaissir des thèmes et de symboles de la culture d'avant-guerre. Face à l'horreur, le langage pouvait dans le même temps frustrer et consoler. Ecrire, c'était affirmer son individualité précieuse, fût-ce au seuil de la mort. Ecrire, c'était résister, ne serait-ce que pour réduire les tueurs en justice. Ecrire, c'était parachever la défaite des tueurs en s'assurant que les futurs historiens se serviraient des cris des victimes pour changer le monde"
Samuel D. Kassow.


Source : [www.froggydelight.com]

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Posté par: Stéphane (IP Loggée)
Date: 01 novembre, 2011 01:40

Regis a écrit:
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> Ce qui ne l'empêche pas de constater que les
> Juifs polonais n'ont pas bénéficié de la
> protection et de la sollicitude de la Résistance
> polonaise qui n'a pas été, écrit-il, "à la
> hauteur des exigences de solidarité et de la
> dignité humaine la plus fondamentale".

Encore un qui fait semblant d'oublier le peu de moyen dont disposait l'AK en Pologne et que malgré ça le maximum avait été fait, la plupart du temps au péril de la vie des combattants polonais mais aussi de toute leur famille.

Encore une fois un petit oubli de taille, la création de Zegota par les Polonais.



>
> Samuel D. Kassow précise également que
> l'organisation Oyneg Shabes n'était pas qu'un
> archiviste de la vie du ghetto mais également un
> collecteur d'informations en provenance de
> l'ensemble du territoire polonais qui
> approvisionnaient la presse clandestine juive et
> polonaise, puis, à partir de 1942, s'est chargé
> d'alerter l'opinion internationale notamment par
> la transmission de rapports au Gouvernement
> polonais en exil à Londres.


Mais bien avant ça, la résistance polonaise était entrée en action et Londres avait été prévenu de ce qui se passait en Pologne grâce à Witold Pilecki et plus tard à Jan Karski.
Et puis le fameux rapport Grojanowski qui donc a réussi à le transmettre si ce n'est la résistance polonaise ?

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Posté par: Zefir (IP Loggée)
Date: 01 novembre, 2011 07:41

Eternel procès uniquement à charge contre la Pologne clandestine.
Le fait que les personnes qui hébergèrent Ringelblum furent fusillées également sur le champ était la règle pour les Polonais qui aidaient les Juifs.

Facile de bomber le torse en ignorant l'isolement des Polonais sous les bottes russes et allemandes, les Alliés s"en fichant royalement.
Dans la ligne de J.T. Gross.

Pour ceux qui s'intéressent à ce personnage :

[www.wat.tv]
[www.wat.tv]

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Posté par: Paul (IP Loggée)
Date: 01 novembre, 2011 11:46

Zefir a écrit:
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> Le fait que les personnes qui hébergèrent
> Ringelblum furent fusillées également sur le
> champ était la règle pour les Polonais qui
> aidaient les Juifs.

Un simple ajout.

Ringelblum s'est réfugié dans une famille de marchands de légumes polonaise avant la révolte du ghetto.
C'est à la suite de la dénonciation par un ami juif que lui-même, sa famille et la famille polonaise qui l'hébergeait furent fusillés dans les ruines mêmes du ghetto.

Les documents qu'il avait réunis se trouvaient dans trois bidons de lait qui furent cachés dans trois endroits différents. On n'en a retrouvé que deux, en 1946 puis en 1950, qui sont l'objet de ce livre. Le bruit cours, sans preuve, que le troisième se trouverait sous l'immeuble de l'ambassade de Chine à Varsovie.

Les rapports établis par Ringelblum et les membres de son groupe "on été acheminés chez les Alliés, dont le gouvernement polonais en exil à Londres, par l'intermédiaire 'des structures de l'Etat polonais clandestin'" , donc par la Résistance polonaise de l'Intérieur.

[pl.wikipedia.org]

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Posté par: René (IP Loggée)
Date: 03 novembre, 2011 17:01

Je cite :

Samuel D. Kassow le décrit comme "le produit d'une culture laïque de gauche dans laquelle l'étude de l'histoire juive et de la littérature yiddish était un élément de la construction d'une nouvelle identité juive qui proclamait sa fierté nationale tout en s'ouvrant sur le monde. Ringelbaum était fermement convaincu que l'histoire des souffrances juives, si terribles fussent-elles, relevait de l'histoire universelle, et pas simplement de l'histoire juive."


Je ne vois pas trop d'amour de la Pologne ou de projet de construction de l'état polonais.

Après il faut séparer la souffrance humaine des individus dans le ghetto qui est une chose et le message politique, car on se doute qu'il n'y a pas trop de vision commune entre l'AK et les sionistes.

Et se rappeler que l'holocauste est un projet allemand et que l'état polonais est tout aussi victime que ces citoyens juifs ou non.
D'ailleurs il le paira en plus par un isolement de 50 ans après 1945.