A propos de Jonathan Littel / Les bienveillantes.

Démarré par Archives, 21 Novembre 2023 à 17:14:01

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Posté par: ubik83 (IP Loggée)
Date: 04 février, 2012 14:36

Bonjour,

Il me semble que très sincèrement, la thématique de la seconde guerre mondiale a commencé à me hanter en 2001, lorsque j'ai vu le film de Jean-Jacques Annaud, "Stalingrad" ( Ennemy at the gates ). J'étais, à cette période de ma vie, dans une situation extrême, ma vie était menacée, je traversais des épreuves très dures et déstabilisantes. J'ai puisé, trouvé du courage dans l'héroïque résistance du peuple Russe, je comparais mon sort à celui de tous ces combattants et je me disais, « tu as fini de te plaindre » ?

Je ne dis pas que ça a démarré en 2001. J'avais depuis longtemps pris le pli de m'acheter des livres, de temps en temps. En fait, j'alternais des périodes où je laissais cette thématique de la guerre et de la Shoah m'envahir. A d'autres, je rejetais tout ça. Il faut dire que j'avais déjà d'autres centres d'intérêt. Musique, arts plastiques, roman noir... Mais bon, c'est surtout Stalingrad. En plus, ça a correspondu à un moment où chez moi je n'avais plus les moyens de me chauffer, il faisait 5 ou 6 degrés l'hiver, je me sentais moi-même, avec raison, en état de siège.

Plus d'une fois, l'idée m'a traversé l'esprit. Ecrire une saga montrant l'enthousiasme d'une personne qui partait se battre, et qui se retrouvait, en fait, à décimer des civils. Dans un camp, ou au bord des fosses. Cela restait vague mais l'idée trottait et chaque fois, je la rejetais. « Non, pas ça, je souffre déjà assez dans ma vie, si je plonge là-dedans, ça va me détruire ».

Le second élément déclencheur fut le documentaire de Guido Knopp sur "Les complices d'Hitler", consacré à Baldur Von Schirach. Le film montrait comment la jeunesse Allemande était manipulée, dévoyée, utilisée, canalisée. Comment on se servait de son potentiel d'enthousiasme, d'énergie, de foi, pour l'amener à s'identifier à un système barbare, basé sur la loi du plus fort, le racisme, le désir d'hégémonie.

Et là, est née l'idée : montrer un Allemand, un gamin. Partir de quelqu'un d'innocent.

Innocent, comme je l'étais moi-même quand, un matin de je ne sais plus quelle année, je devais avoir dix ans tout au plus, on nous a emmenés "voir un film". Souvent, c'était du théâtre filmé, des pièces de Molière, etc. Et là, on ferme les rideaux, on met en route la machine, noir complet... Bruit du projecteur, premières images... Nuit et brouillard, de Resnais. J'avoue que j'en suis sorti différent, marqué à vie. Je ne soupçonnais absolument pas que de telles choses aient pu exister, soient possibles.

La thématique était abordée. Tout le reste de ma vie, j'allais tourner autour, avec des phases d'évitement, et des phases d'affrontement.

Donc, prendre un innocent. Un gars comme moi, timide, rêveur, introverti, pas très physique. Et là, introduire un élément moteur. Un autre gamin, dur, brutal, qui deviendrait le chef, le mentor. Wolfgang rencontre Franz. Franz le protège et le prend en amitié, dans un premier temps. Puis, peu à peu, il prend l'ascendant, le modèle, l'influence, l'amène à penser comme lui. Toute l'histoire du roman est là, dans le mot INFLUENCE. Wolfgang est soumis à trois influences :

- Ses origines sociales, son milieu, et son père, membre du parti nazi.
- Franz, anticommuniste, antisémite, qui le socialise par la violence. Et ce avec d'autant plus de facilité qu'ils entrent ensemble dans l'adolescence.
- La propagande nazie, la séduction mise en place par Von Schirach en direction de la jeunesse Allemande.

Ceci étant posé, à un moment donné, Littel a sorti son ouvrage, et je me suis dit, « tu vois mon joli, pendant que tu hésites, d'autres le font » ! Par curiosité je l'ai lu... Voilà ce que j'en pense :

Il y a une incontestable qualité littéraire. Il y a un récit, et un désir de tenir le lecteur. Il y a aussi des connaissances et je pense quelqu'un qui lui aussi, a eu un vécu, a été choqué, a ressenti le besoin d'expurger. Reste que, hormis des critiques purement littéraires ( problèmes de longueurs, de digressions inutiles qui cassent le rythme ), je distingue quand même quelque chose qui me chagrine dans l'histoire : le personnage principal, Max Aue, entre dans la SS d'une façon tout à fait improbable. Ce n'est pas vrai, on n'entre pas dans la SS comme ça, surtout après avoir failli être arrêté.

Ensuite, Max Aue n'est pas un produit de son époque : c'est un opportuniste, cynique, qui se glisse dans le système et s'en sert. En ce sens, ce serait tout à fait un personnage contemporain. Mais il ne correspond pas à un Allemand des années quarante. Du tout, même. A cette époque, les gens étaient enthousiastes, fanatiques.

Littel me parait en rajouter dans l'horreur, puisque Aue tue ses propres parents. Une sorte de Serial Killer à la sauce nazie. Blasé, il tue, en agrémentant ce qu'il fait de commentaires érudits. Passons sur son homosexualité, qui rend la chose encore plus improbable ( jamais un homosexuel n'aurait pu entrer dans la SS et quand bien même l'aurait-il fait, il se serait tenu à carreau et aurait tout fait pour la cacher )... Bref, pour diverses raisons, Aue ne me parait pas crédible, en tant que personnage.

Maintenant, les différences :

Mon personnage, Wolfgang, est un idéaliste. Ce n'est pas un cynique à la Max Aue, dont on ne sait rien et qu'on ne connaît qu'à l'âge adulte. Wolfgang, je le montre à partir de l'âge de neuf ans, rêveur, timide, introverti, craintif, et je montre comment il change au contact de Franz. Très directement, concrètement, je mets en lumière les petits passages clés, qui font que, sur un plan, sur l'autre, Wolfgang grandit, prend confiance en lui, apprend à devenir méchant à son tour. Comme le roman n'est pas simpliste, je prends plaisir à rajouter des intrigues secondaires, mille et un petits détails, et notamment sur la peinture ( à propos, j'indiquais un lien quelque part, sur une scène avec le peintre Ernst Khol. Quelqu'un a lu ? Je le remets en bas et j'aimerais bien lire une réaction ou deux, enfin, sans forcer personne. )...

Le roman s'ouvre sur cette rencontre entre ces deux garçons, ce processus d'influence, de sujétion. On me demandait si ce personnage était un héros. Non, il n'est que narrateur. Mais il a un héros, son ami Franz. Il l'admire, il ferait n'importe quoi pour lui. En même temps, lucide, il en a peur et n'ose jamais le contrarier. Je pense qu'en réalité, au début il tire avantage de cette protection, puis peu à peu tombe en admiration devant Franz. Puis, il y a une autre phase où il découvre le côté insensible, dur, de son ami, et se rend compte de choses qu'il ne soupçonnait pas. Mais c'est déjà trop tard. Ensuite il y a la phase d'engagement, ils entrent ensemble dans la Schutzpolizei, puis dans la SS...

Bref, Wolfgang ne se retrouve pas au bord des fosses comme ça, par hasard, ou par sadisme. Il s'est fait piéger par sa relation avec Franz, et il s'est laissé berner par la propagande nazie, qui laminait les esprits intensivement à l'époque, et ce depuis l'âge le plus tendre.

Sa réaction au bord des fosses ? Il va chercher à éviter ces situations, mais ne le pourra pas complètement. Il va faire comme beaucoup : tenir le coup grâce à l'alcool.

Je pense même qu'il va sombrer dans l'alcoolisme et la dépression.

A ce stade des choses, je pense inutile d'en dire plus. Mais vous voyez que Wolfgang et Max Aue n'ont pas grand-chose en commun. Vous voyez aussi que le projet de Littel a certes des points communs avec le mien, mais j'en perçois, moi, surtout les différences. Littel met en place un personnage cynique, qu'on prend tel quel, à l'âge adulte, et qui traverse tout ça avec mépris et indifférence. Moi, je saisis Wolfgang à l'âge de neuf ans, et je montre comment sous la triple influence dont je parlais, il est pétri, modelé, manipulé, emberlificoté, conditionné. Et au contact avec la réalité et l'horreur, il sombre peu à peu, se perd, se détruit.

J'espère avoir, par cet exposé, clarifié ma démarche, pour ceux qui se demandaient quelle en était la teneur. Je vous remercie.

Ubik.

http://www.vosecrits.com/t5880-ist-das-kunst

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Posté par: René (IP Loggée)
Date: 06 février, 2012 11:48

Aue souffre psychologiquement de ce qu'il vit, il vomit, il fait des cauchemars, il cherche la salissure de lui et de son corps, mais il a aussi l'instinct de vie qui est plus fort, que la souffrance que son psychisme lui fait subir.

Il y a aussi une histoire d'amitié avec Thomas un opportuniste carrieriste, personnage classique de tout temps.
Homosexuel, j'ai trouvé que l'approche était crédible.

PAr contre l'histoire n'est pas possible, Stalingrad, ou encore le professeur obèse infirme et ces amazones.
Il y a certaines diggressions qui sont à mon avis des sujets à reflexions qui éclairent souvent un récit parfois creux et longuet.

Ce que vous ressenter avec les evenements de la 2ème GM, j'ai le même sentiment avec la première guerre mondiale et l'épreuve subit par les troupes françaises, j'ai moins de compassion pour les casques à pointe, même si ils sont aussi subit, mais je leur reproche leur absolutisme et jusque boutiste que l'on va retrouver à Berlin ou les combats des ardennes,

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Posté par: ubik83 (IP Loggée)
Date: 06 février, 2012 13:51

Bonjour,

De ce que je sais, même avant Hitler, les Allemands avaient tendance à être fanatiques, férocement nationalistes et très disciplinés. Donc, pas du genre qui recule ou hésite.

On le voit, vous avez du lire Littel plus récemment que moi. J'en garde un souvenir qui, avec le temps, devient flou ( ce qui est normal je suppose ).

En tous cas, tel est mon projet... Je me sens dépassé par son ampleur. Je me vois contraint de continuer. En plus, j'ai déjà écrit des passages excellents. Bref... Quoi faire d'autre ?

Merci à vous,

Ubik.