La variole de 1963 en Pologne

Démarré par Archives, 01 Novembre 2023 à 15:22:23

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Posté par: jpaul (IP Loggée)
Date: 11 avril, 2020 02:01

Nous sommes en Juillet 1963, c'est l'été il fait beau, ce sont les vacances et je viens d'arriver en Pologne avec mes parents et ma soeur. J'ai 15 ans. L'accueil est chaleureux dans ce petit village prés de Lodz où habite ma tante, son mari et mes 2 cousines. Des projets pleins la tête, ballades dans la forêt toute proche, parties de pêche, visites de Lodz et pour ma mère revoir sa propre mère, ses sœurs, oncles et parler la langue de son pays, se rappeler son enfance. Bref, le séjour se présente bien. Il fait chaud, très chaud même. La piscine populaire de Lodz près des usines de briques rouges est pleine à craquer et les gens se déplacent en tramway pour prendre d'assaut le plan d'eau qui se trouve dans la banlieue de la ville. J'en profite aussi quand je prend le train de banlieue , type Micheline, pour y aller. On va aussi en forêt avec un autre cousin et sa bande de copains, genre club des 5. Ils se sont construit en plein terrain militaire au milieu des bois, non pas une cabane mais une pièce souterraine, creusée dans la terre sableuse, d'environ 2 m de profondeur sur 2 m de côté. Un cube. Une échelle pour descendre et un toit en branchage qu'ils enlèvent ou remettent au besoin. C'est leur QG, il me l'ont montré, on a fumé 2, 3 clopes dedans, mais on n'est pas resté longtemps. La caserne n'est pas loin et des soldats peuvent passer. Ils avaient évacué la terre au fur et à mesure avec des seaux, qu'ils ont éparpillée bien plus loin, pour ne pas se faire repérer. C'est par bravade qu'ils ont fait cet abri en terre « ennemie » en faisant gaffe de ne pas se faire repérer.
On ne sait pas encore ce qui se passe du côté de Wroclaw.
Quelques parties de pêche avec mon père et des amis polonais pour les poissons, mais surtout la traque aux écrevisses que l'on attrape à la main, en les cherchant au fond des trous ou en soulevant délicatement les pierres des petits ruisseaux, dans le sens du courant pour que la terre soulevée s'évacue au fil de l'eau. L'écrevisse qui ne s'y attend pas reste plaquée au sol, et prestement, il suffit de l'attraper par le dessus en faisant attention, car surprise, elle essaiera de pincer mais ne peut remonter ses pinces au-dessus d'elle. Et hop dans le seau. Le plus marrant, c'est la tête de babcia quand on lui demande de passer au court-bouillon les crustacés, ce qu'elle n'a jamais osé faire. Alors un bouquet de thym, une feuille de laurier, une gamelle d'eau du puits, bouillante et un beau plongeon pour les raki. Prêt pour une dégustation après avoir ouvert un pot de majonez. Enfin pour mon père, ma sœur, ma mère qui avait appris à aimer les crabes en Bretagne, sans oublier le cousin aventurier des bois qui ne voulait pas se dégonfler, de même que pour les cuisses de grenouilles sautées à la poêle, ramenées par la même occasion.
Alors, certains soirs, c'est la fête dans le jardin de ma tante, car sa maison de bois au toit goudronné, n'est pas assez grande. La petite véranda vitrée qui fait sas, servira à préparer les tartines de smalec, les oeufs durs, les zimne nogi, les tranches de tomates, les tranches de kielbasa, de kabanos et autres charcuteries et puis les gâteaux et bien sûr la wodka, ou mieux les wodkas : nature, parfumées, que nous avions été chercher à Lodz, avec le ravitaillement , car dans le petit patelin il n'y avait pas grand-chose en ce temps de République Populaire.
Et évidemment en Pologne, il faut danser avec tout ça. Par chance, ma tante connaît un accordéoniste. Enfin, pas un vrai, mais un beau jeune homme qui tourne un peu autour de ma cousine et c'est l'occasion pour lui de participer à la fête. En fait, c'est aussi le médecin militaire de la caserne toute proche et pour arrondir sa solde et il en a le droit, puisque c'est le seul toubib du coin , il vient faire des consultations à la population du village, ou en pratique à la caserne. Ce n'est pas un militaire de carrière, mais il est en dernière année de médecine et il est plutôt bien gradé. Et il joue bien de l'accordéon. Une partie de la famille est là , les voisins s'invitent et après quelques wodkas conviviales : le bal improvisé peut commencer. Et on s'amuse bien. Il viendra plusieurs fois.

Mais voilà que l'on apprend bientôt par le poste de TSF, qui ne comporte qu'une station d'écoute, celle émise par la radio d'état, qu'il se passe des choses anormales du côté de Wroclaw Le 3 Juillet
Lonia Kowalczyk, infirmière en formation est atteinte d'une maladie inconnue, emmenée d'urgence à l' hôpital, avec des signes de pneumonie, saignements internes, leucémie... on ne sait pas encore qu'elle a contracté la variole. Maladie qui n'avait plus court en Pologne depuis longtemps et le diagnostic n'est pas immédiat. Aucune mesure de précaution n'est prise au départ. Mais , les cas se multiplient et on est bien obligé de prévenir la population.

On saura plus tard que c'est en mai que Bonifacy Jedynak , officier des services de sécurité et lieutenant- colonel venait de rentrer au pays pour rejoindre Wroclaw. Il arrivait d'un voyage fait au Vietnam en Birmanie et en Inde. C'est le patient 0. Celui qui ramena la variole en Pologne a son insu.
Nous pour le moment on n'est pas trop inquiet, la région de Lodz n'est pas si près que ça, après tout. Mais ça se gâte, on signale des cas à Gdansk à l'autre bout du pays...

Et cela va vite : Un service anti-épidémique est mis en place à partir du 15 Juillet. Les 10 000 premiers vaccins arrivent à Wroclaw.
Les rumeurs vont vite, et à l'époque pas d'internet, pas de multiples chaînes de télé, ou de radios. Les journaux, n'en parlons pas, et on est à la campagne. Il paraîtrait même qu'à Wroclaw les gens meurent massivement dans les rues et que des cadavres jonchent les rues, c'est ce qui se disaient, parait-il.

La radio envoie des mises en garde, interdit à la population de se baigner, le virus circulant aisément dans l'eau, au demeurant . Et je me met à penser qu'il y a à peine une semaine je barbotais, avec des centaines d'autres personnes à la piscine ou bien au plan d'eau. Cela devient sérieux, mais on n'y pense pas trop malgré tout, sauf que...

Il devient obligatoire pour toute la population polonaise de se faire vacciner dans les plus brefs délais et qu'un certificat leur sera remis après inscription sur un registre. La Pologne ferme ses frontières avec interdiction de sortir du territoire sans ce certificat de vaccination. On apprend par je ne sais quelle voie officielle, que la France ne laisse plus rentrer sur son territoire les personnes rentrant de certains pays de l'Est, s'ils n'ont pas un tampon sur leur passeport prouvant qu'ils ont bien été vaccinés. Les vacances semblent bien compromises et comme nous ne tenons pas à choper ce virus, il faudrait bien se faire injecter la piqûre, ne serait-ce que pour revoir Paname.
Et il faut que cela soit le médecin du village où l'on habite qui fasse le vaccin. Pas question d'aller voir ailleurs pour éviter la propagation éventuelle.

Problème administratif : on n' habite pas le village, on ne peut pas s'inscrire sur les registres, il n'y a pas de docteur en ville et les vaccinations doivent avoir lieu au cabinet du toubib. Le cabinet du toubib, ici, c'est la caserne, vu qu'il n'y a que ce médecin militaire. Et comme dans tous les pays, et surtout pendant la guerre froide, les étrangers étaient bien sûr interdit sur les terrains militaires sous peine d'aller mal.

Mais, on connaît l'accordéoniste au stéthoscope, qui comprend bien la situation, mais qui ne peut venir à domicile nous injecter la potion magique ... On convient donc avec lui que nous irions quand même à la caserne, avec toute la famille, passant en groupe devant les sentinelles de la porte d'entrée, avec aussi des gens du village. Le contrôle étant moins strict vu que les bidasses devaient avoir la consigne de laisser passer la population pour cause majeure. Le seul truc, c'est qu'il fallait que l'on ne parle pas pour ne pas se faire repérer. Ce qui fut fait, et en silence, celui-ci nous ayant reconnu. Il en profita pou apposer sur nos passeport le tampon officiel certifiant que nous avions bien été vaccinés. C'était en polonais et je me demande encore maintenant si le douanier français au sortir de Kehl, savait ce que c'était. En tout cas, il le fallait déjà pour ressortir de Pologne.
Tout c'était bien passé, sauf que  : la cousine pour faire son intéressante, sortit les 3, 4 mots de français qu'elle connaissait pour dire un truc à la frangine , dans la cour d'honneur. Bingo ! Damned ! On est repéré, mais aucune réaction militaire, sur le coup.

Mais l'information remonta certainement au commandant de la caserne qui convoqua mes parents, si je me souviens bien, qui durent prouver leur bonne foi et justifier du fait que nous ne pouvions nous faire vacciner ailleurs et que c'était obligatoire selon les directives des autorités polonaises. Il allait quand même pas nous mettre en prison ou nous condamner pour espionnage, mais allez savoir !

Par contre, le beau jeune homme bien sympa, médecin par obligation militaire fut dégradé, devant la caserne entière réunit dans la cour d'honneur. Lui au garde-à-vous, on lui décrocha ces insignes et autres barrettes pour avoir enfreint les réglements dans un cérémonial grandguignolesque. Ce qui ne le brima guère, car il ne lui restait que peu de temps à faire et il fut muté à l'intendance et au stockage des entrepôts.
Ainsi en un temps record, la Pologne vaccina toute sa population, qui était d'environ 30 millions d'habitants en 1963. Nous, nous pûmes rentrer en France et l'on appris alors que l'épidémie avait touché 115 personnes, et en avait tué 7.
A la date du 10 Août, aucun nouveau cas n'avait été enregistré et les autorités ont annoncé dans la foulée officiellement que l'épidémie était considérée comme éteinte. Les quarantaines ont été levées, sauf à Wroclaw et dans le district de Wieruszow.

Ce fut l'une des dernières épidémies de variole avant sont éradication planétaire.

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Posté par: Vendôme (IP Loggée)
Date: 11 avril, 2020 03:04

Bigre ! J'ignorais complètement cette affaire.
Par contre je me souviens qu'a la fin des années 60, quand on allait à l'étranger (hors Europe)
il fallait avoir un carnet international de vaccinations. Je dois encore l'avoir quelque part.
On est presque de la même génération, et si ma mémoire est bonne il me semble que, gamins,

on était vaccinés contre la variole ? Si tel était le cas, tu ne risquais rien.

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Posté par: Mik (IP Loggée)
Date: 11 avril, 2020 07:58

Eh ben ! quelle aventure ! J'ai quand même de la peine pour le médecin qui a été humilié injustement. Les consignes étaient contradictoires : obligation de vacciner toute la population, interdiction de laisser pénétrer des étrangers dans la caserne... et bien sûr, pas de guichet où un haut fonctionnaire pourrait vous trouver une solution légale.

Vendôme a raison : dans l'enfance nous avons été vaccinés contre la variole. La marque du vaccin ressemble à un cachet de la poste qui fait foi. Certains l'ont sur le bras, d'autres sous le pied (souci d'esthétique).

Question : "zimne nogi" qu'est-ce que c'est ? Tu en parles quand vous faites la fête dans le jardin de ta tante.

Mik

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Posté par: jpaul (IP Loggée)
Date: 11 avril, 2020 11:22

" Zimne nogi" qu'est ce que c'est ? demande Mik : un début e réponse ici : avec un filet d'ocet ( vinaigre ) si l'on veux :
[www.google.com].

Certes, on était vacciné contre la variole, et on en gardait la cicatrice ronde comme une pièce de 5 frs sur le bras, mais va expliquer çà, alors que le monsieur te dit qu'il faut le papier sur le formulaire et le tampon sur le passeport. Double vaccination ++, sans compter les triple et quadruple BCG ( vaccin bilié Calmette Guérin , que l'on te refaisait à chaque fois que tu changeais d'école.) et qui pourrais avoir de l'effet sur le corona. Quoique cela fait longtemps pour certains d'entre-nous, ou presque. Avec en prime la fameuse " cuti" obligatoire en début d'année scolaire, pour voir ta réaction à la tuberculine qui permettait de savoir si tu avais eu la tuberculose ou que le vaccin BCG était bien actif. Ce qui fait que tu avais une cloque plus ou moins rouge sur le bras, 2,3 jours après et plus ça grattait mieux que c'était .


Lien en polonais sur l'épidémie de virus, dont j'ai tiré quelques éléments pour étoffer mon texte : ( voir sur la photo la protection des personnes atteintes ou les soignants, çà rigolait pas)

[magnifier.pl]

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Posté par: jpaul (IP Loggée)
Date: 11 avril, 2020 13:30

Quand je dis que ça rigolait pas, çà rigolait pas ( isolement des malades à Wroclaw, lors de l'épidémie de 1963 ).

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Posté par: Mik (IP Loggée)
Date: 11 avril, 2020 13:40

Alors, zimne nogi c'est n'importe quelle viande (de porc sûrement) en galaretka...
Merci.
Quant aux vêtements de protections, oui, c'est impressionnant ! Mais bon, il vaut mieux être prudent.

Mik

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Posté par: Vendôme (IP Loggée)
Date: 11 avril, 2020 14:40

    Citation:
    Mik
    Alors, zimne nogi c'est n'importe quelle viande (de porc sûrement) en galaretka...


Oui ; c'est à peu près notre galantine.

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Posté par: Mik (IP Loggée)
Date: 11 avril, 2020 16:25

Ah oui, galantine, j'avais oublié ce mot. Ça remonte à l'enfance !
Ça existe encore ? On l'appelle encore galantine ? Pourquoi je ne rencontre jamais ce nom ?

Mik

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Posté par: jpaul (IP Loggée)
Date: 11 avril, 2020 16:45

Peut-être bien Parce que l'on ne rencontre plus non plus le mot galant ! et que la galanterie se perd. eye rolling smiley

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Posté par: Vendôme (IP Loggée)
Date: 12 avril, 2020 17:09

Franchement !...