Le mouvement paysan en 1936-37

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Posté par: Paul (IP Loggée)
Date: 04 novembre, 2010 17:21

Le mouvement paysan en Pologne : 1936-37

Par Jacques ANCEL in : Politique étrangère N°6 - 1937 - 2e année pp. 574-578. (texte original)


L'effervescence paysanne

Remarquons tout d'abord qu'il est extrêmement difficile, à moins d'avoir assisté au mouvement même, de se figurer la portée exacte de la « Jacquerie » polonaise de 1937. J'apporte ici quelques faits, puisés soit dans les journaux, soit à des sources qui me paraissent sûres, mais je n'apporte pas tous les faits. La censure, la discrétion ont leur contrepartie inévitable : le grossissement des mystères.

Je suis entré en Pologne au moment où les grèves agraires de Galicie s'achevaient. Personne n'en soufflait mot, au moins devant un étranger. La tâche d'un observateur est difficile, en dépit d'une charmante hospitalité, dans une « démocratie autoritaire », comme les Polonais aiment à appeler leur gouvernement, ou, si l'on veut, dans une « dictature sans dictateur », depuis le 12 mai 1935, date de la mort de Pilsudski.

Préface

Pour comprendre le mouvement de 1936-1937, il faut revenir sur la préface de dix ans (1926-1935) : un gouvernement à poigne et de prestige réussissait à calmer, sinon à étouffer le mouvement. Couvant sous les cendres, le feu reprend dès la mort du Dictateur. Le congrès du « parti populiste », qui se tient à Varsovie le 14 juillet 1935, accueille un message écrit de Witos au chant : « Quand la Nation va au combat ». Mais — caractéristique de la vie politicienne — les chefs quittent le front paysan pour le parti gouvernemental du colonel Koc [1891-1969, fut le dirigeant du Camps de l'Unité Nationale (OZN) de 1937 à 1938 qui soutenait le Maréchal Rydz-Śmigły présenté comme l'héritier de Piłsudski et comme le 2d personnage de l'Etat, après le Président, malgré l'absence de tout fondement constitutionnel – il était marqué par des tendances antisémites, nationalistes, militaristes et même fascistes – il a séjourné aux EEUU de 1940 jusqu'à sa mort], et le mouvement, privé de ses guides, paraît alors avorter. L'opposition se contente d'un boycott électoral : les « élections mortes » à trois degrés, les 31 juillet, 25 août et 8 septembre, amènent, sur 16 millions et demi d'inscrits, seulement 7.676.000 votants, soit 46,5 %, chiffre gouvernemental, voire, affirme l'opposition, seulement 30 % des inscrits. Cependant, démission du ministère Slawek (12 octobre), formation du premier « cabinet présidentiel » Koscialkowski, un des rares amis de Pilsudski, qui ne soit pas colonel, assisté de Kwiatkowski, vice-président du Conseil, ami du Président de la République, partisan de l'économie dirigée. Le 16 mai 1936, dans le nouveau ministère du général Slawoj-Skladkowski entre, comme ministre de l'Agriculture, Poniatowski qui apporte des idées neuves. Maigre, émacié, maladif, les yeux de feu d'un mystique, ancien membre du parti populiste, il apparaît comme un Réformateur qui veut entreprendre à un autre rythme la distribution des terres aux paysans.

1935. La « Pologne écartelée » se demande qui supportera la conséquence de la crise économique : ou les hautes classes conservatrices, ou les paysans révolutionnaires qui prétendent à l'égalité? Le « Parti populiste » est en réalité la fusion de trois partis, le Piast modéré, « l'Affranchissement » intellectuel, le « Parti paysan » radical. Les paysans représentent 70 % de la population et leur misère est grande.

En 1935, le Président du Conseil, Kosciaikowski, lui-même déclarait au Sejm que la facilité d'absorption du paysan était de 30 centimes par jour et par personne, soit pour l'ensemble de la classe le quart de la production industrielle de la Pologne. Telle est la préface du drame.

La campagne « populiste »

L'année 1936 se résumerait ainsi : le « Bloc gouvernemental » joue la carte paysanne. L'appareil bureaucratique est à la recherche d'une « base sociale », d'un point d'appui dans le pays. Rien à faire dans les villes où l'élément ouvrier est travaillé par le communisme. Alors on se tourne vers la campagne : pullulent les partis à étiquette paysanne, afin de disloquer le « Parti populiste ». Mais celui-ci a les reins solides. Il résiste. Il organise d'amples manifestations : 60.000 paysans à Jaroslaw, 40.000 à Zamosc, 30.000 à Tarnobrzeg, 30.000 à Rzeszow, 25.000 à Wielun. L'opposition donne ces chiffres; les agences gouvernementales, y enlèvent chaque fois un zéro. Le plus grand cortège se déroule à Wierzchoslawice, ville natale de Witos : 120.000 paysans défilent devant le maréchal Rydz-Smigly ; un montagnard des Karpates crie devant la tribune : « Vive la République de Pologne, vive le Parti populiste. Nous demandons le retour de Witos » (qui vit en exil depuis le procès de Brzesc-Litewski). Enfin les paysans établissent un programme : constitution démocratique, dissolution des Chambres « discréditées et ridiculisées », élections libres, élimination du régime pilsudskiste, retour des émigrés. Le gouvernement laisse dire que, si l'on abandonne les revendications politiques, il procédera à une réforme agraire plus complète, partagera la terre. C'est le journal conservateur, le Czas, qui critique ainsi la politique des « Machiavels » (18 juillet 1936) : « Cessez de réclamer le retour de Witos, ne demandez pas de nouvelles élections, et nous vous distribuerons la terre des Messieurs ».

Le parti populiste ne se laisse pas séduire. A Varsovie, le 16 janvier 1937, meeting monstre, présidé par l'ancien Premier ministre, Stanislas Thugutt, discours de l'ancien Maréchal de la Diète, Rataj, au nom, dit-il, de huit millions de paysans dans la misère : entre l'Allemagne et l'Union Soviétique, également impérialistes, il faut sauver le pays par le retour des émigrés, le self-government local, un système électoral démocratique; ni fascisme, ni communisme, mais les représentants des paysans au pouvoir.
La résolution du congrès reprend les termes de ce discours, condamne la passivité du gouvernement vis-à-vis de l'Allemagne à Danzig et à l'égard à la minorité polonaise dans le Reich; elle condamne en revanche son activité dans un autre domaine, la tension des rapports avec la Tchécoslovaquie, prône, dit-elle, l'accord des deux peuples slaves, « nécessaire pour le rétablissement d'une situation normale en Europe ».

La « Jeunesse paysanne »

Le second acte du drame se déroule en 1937 et on pourrait le définir : une tentative pour dissocier le mouvement paysan. Des associations se forment. L'une d'elles le « Brasier » (Zarzewie), soumise aux directives
de Kwiatkowski, assez radicale socialement, revendique une self-administration locale, un nouveau système d'élections, mais nulle revendication politique propre en faveur de la rentrée de Witos, demande avant tout une « discipline ». Le congrès de Lwów, en juin 1937, se fait l'écho de ce programme.

Une autre association, le « Jeune Village », subit l'influence du ministre de l'Agriculture, Poniatowski. Son congrès, qui eut lieu à Varsovie du 19 au 28 juin dernier, en présence de Rydz-Smigly, mit en avant la formation d'un nouveau type d'homme, le « travailleur-guerrier », la réalisation de l'Union paysanne au service de la patrie, réclama le respect de la religion, la solution de la question juive par l'émigration ; pas un mot de la minorité allemande ; escamotage de la question ukrainienne dans une phrase creuse : « Nous aspirons à fraterniser avec les minorités slaves de la République ». Les membres de cette association? De nombreux élèves des écoles d'agriculture, dont 60 % de jeunes filles, prétendent les journaux de l'opposition.

Les grèves agraires

Nous parvenons ainsi à l'été 1937. Sont-ce des prodromes d'une révolution « pour la terre »? Le 15 août, anniversaire de la victoire de Varsovie sur l'armée rouge, des manifestations-monstres se déroulent avec un million et demi de participants (chiffre que donnent les correspondants des journaux tchèques). Toujours le même programme : anticommunisme, antifascisme, régime démocratique, réforme électorale, amnistie.

Le parti populiste est particulièrement influent en Galicie. Dès le mois de janvier, il a menacé d'une grève agricole si le gouvernement continuait ses manœuvres tout en faisant la sourde oreille aux revendications paysannes.
Cette grève éclate et dure du 15 au 26 août, surtout dans les wojewodies (provinces) de Lwów, Tarnopol et Cracovie. Barricades sur les routes, fils télégraphiques coupés, destruction des denrées acheminées sur les villes, incendies des fermes paysannes indociles à l'ordre de grève. La gendarmerie intervient : fin août 41 tués, 34 blessés. Des arrestations sensationnelles, comme, le 30 août dans la ville d'eau de Zakopane, au pied des Tatry, celle du professeur Kot, membre de l'Académie polonaise de Cracovie, déjà destitué ; il fut relâché par la suite. Le gouvernement accuse le Komintern.


Cependant la presse en général dénonce de ce mouvement des causes plus profondes. Le journal conservateur, le Czas, quoique organe des grands propriétaires, peut écrire lui-même le 2 septembre : « On passe sous silence les vrais besoins et les aspirations des paysans. Nous avons l'impression que l'on veut, par une formule purement mécanique, comprimer leurs tendances naturelles à l'émancipation politique ». Le Kurjer Warszawski, de la droite modérée, se rend compte de la force du Parti populiste (2 septembre) : « Qui peut se flatter de le détruire ou même de l'affaiblir sérieusement? En Galicie depuis trente ans, dans tout le pays depuis dix-neuf ans, il occupe une place considérable, et rien ne laisse prévoir qu'il ait l'intention de l'abandonner. Le paysan polonais sort de sa passivité et il s'éveille à la vie politique ». Le Kurjer Polski, représentant de la grande industrie, parle aussi (1er septembre) des « énergies accumulées » qui, à défaut d'issue normale, se libèrent par la destruction.

Le drame se noue

La question se pose de savoir si en Pologne, où l'idée de l'Etat a précédé l'idée de la Nation — forte surtout durant les partages, quand il n'y avait pas d'Etat, l'idée de la Nation ne s'efface pas — comme ailleurs — devant l'idée de classe ; les grands propriétaires, polonais ou allemands d'un côté, et, de l'autre, la masse paysanne.

Cette lutte — comme jadis au temps où les nobles s'opposaient à la constitution de 1791, aux efforts de Kosciuszko pour associer la paysannerie à la défense de la Pologne — risque de dissocier à la fois et l'État et la Nation. Ceux qui ont pu admirer sur place le « miracle polonais », le prodigieux effort matériel accompli de l'Ouest à l'Est et du Sud au Nord, qui a dégermanisé Poznan, a créé à Lwów, à Wilno, de neufs foyers intellectuels, a fait surgir de terre une Silésie laborieuse nouvelle et conquis sur les marais la place de Gdynia, premier port de la Baltique, les vrais amis de la Pologne ne veulent pas croire à une crise profonde. Mais caveant consules. Et il n'est pas sûr que les revendications coloniales de la Pologne permettent d'enterrer la réforme agraire.


Jacques ANCEL
[Jacques Ancel (1882-1943) est un géographe et géopoliticien français. Né le 22 juillet 1882 dans une famille juive, il devient agrégé d'histoire et de géographie. Après la guerre, il devient un des grands spécialistes des questions d'Europe orientale et des Balkans. En 1930, il passe un doctorat de Lettres. Il est successivement professeur au lycée Chaptal et à l'Institut des Hautes Etudes Internationales de l'Université de Paris. Il crée, à la fondation Andrew Carnegie, le premier cours de géopolitique en France.
Jacques Ancel, à travers ce cours et son ouvrage sobrement intitulé Géopolitique (1936), est ainsi le véritable fondateur de la géopolitique française.]

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Posté par: René (IP Loggée)
Date: 19 novembre, 2010 16:11

>...La résolution du congrès reprend les termes de ce discours, condamne la >passivité du gouvernement vis-à-vis de l'Allemagne à Danzig et à l'égard à la >minorité polonaise dans le Reich; elle condamne en revanche son activité dans un >autre domaine, la tension des rapports avec la Tchécoslovaquie, prône, dit-elle, >l'accord des deux peuples slaves, « nécessaire pour le rétablissement d'une >situation normale en Europe ».

C'est d'un bon sens absolu, avec une liaison parfaite entre la Tchécosolovaquie et la Pologne, pas de Munich et une cohésion entre ces 2 pays et l'alliée français.
Au lieu de ça Teschen..

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Posté par: Stéphane (IP Loggée)
Date: 19 novembre, 2010 17:15

René a écrit:
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> Au lieu de ça Teschen... Nul


Il faut arrêter avec ce mythe de Teschen détonateur de la seconde guerre. Teschen était une possession des Habsbourg Lorraine qui détenaient d'ailleurs le titre de Duc de Teschen. A une époque le territoire de Zywiec était même rattaché au comté de Teschen. Le comté est passé ensuite à la Silésie

En 1919, les Tchèques attaquent brutalement la Silésie de Teschen en violation complète des traités.

cette attaque empoisonnera les relations entre Tchèque et Polonais et ce durant toute la période de l'entre deux guerres.

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Posté par: Stéphane (IP Loggée)
Date: 19 novembre, 2010 18:50

[www.persee.fr]#

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Posté par: René (IP Loggée)
Date: 22 novembre, 2010 14:05

Je ne parle pas de Teschen comme declancheur de la 2ème GM, lors de l'acte nationaliste obtus polonais de 1938 de reprendre Teschen et ainsi de participer au demembrement de la Tchécoslovaqui alliée de la France comme la Pologne d'ailleurs (alliance arraché par Pilsudski en 1923 sur avis négatif de Foch), les carottes sont déjà cuite pour la Pologne, les polonais rigolent encore à cette époque à montrer leurs maneouvres aux officiers de la Wehrmacht à Rembertow.
La politique etrangère de la Pologne depuis 1926 est incoherente et diablement indépendante pour un pays aux capacités industrielles presque naissantes.

En parlant de la Silésie, on peut aussi discuter sur sa polonité en 1939. La Silésie étant d'ailleurs coupée en 2, et zone de marche entre le monde germain et le monde polonais depuis le 15ème siècle.

Les Tchèques plutôt à gauche ont toujours été reticent aux differents gouvernements nationalistes polonais, et on toujours vu un plus grand alliée en l'URSS et la France qu'en la Pologne, ce en quoi il avait raison et tort, ils se sont en fait retrouvé seuls. Les polonais n'ont jamais réussi (essayé) à discuter avec les Tchèques sauf pour leur acheter des armes, les canons lourd polonais de 220 sont de Skoda. A ce jeu de con tout le monde a perdu. Participer au demembrement est incontestablement une tache dans le sens ou les polonais pensent faire une demonstration à qui nationaliste interne, pour montrer aux allemands leur force ?

Ce qui est écrit dans le texte, c'est que dans le mouvement paysan populiste décrit, on y fait reference à engager des discutions avec les Tchèques, parce que si l'on parle des frontières polonaises, et si on considère l'attaque de teschen comme un coup de couteau Tchèque au pire moment de 1918-19, les prétentions coloniales de la Pologne sur le continent, Ukraine ou outre-mer, discours de Beck, montre bien, non pas le caractère apaisé d'une politique inteligente pour contruire une defence éfficace, mais bien une vision testosteronnée et bigleuse de la puissance polonaise, on pourrait la rapprocher dans une moindre mesure evidemment des prétentions Mussolinienne de réccuperer le monde romain du 4ème siècle.
Avant 1926, le gouvernement polonais en place est beaucoup plus perméable à l'influence franaçaise qui peut se poser en intermédiaire pour conserver le dialogue entre les 2 états.

Janvier 38 Rembertow,

http://www.ww2incolor.com/d/401105-2/1_015

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Posté par: René (IP Loggée)
Date: 25 novembre, 2010 10:21

Lien interessant,

Paragraphe 18 sur la problématique d'une alliance entre la France la Tchécoslovaquie et la Pologne, ou la desunion conduit au drame.

Sinon le texte en entier me fait penser que Beskid est un veritable explorateur et que la plupart des sujets ont été abordé et discuté ici.

Sauf peut être des sujets très anciens d'avant le 15ème 16ème.

La pologne vu depuis la France

J'ajouterais à tout ceal, une reflexion qui peut choquer et que j'assume, et reprise sur la fin du texte, ou l'on parle de concurence mémoriel au sujet de la Shoah entre les juifs et la Pologne.
Sujet particulièrement sensible en France ou les nouveaux chantrent de l'extreme droite fançaise, fatigué comme beaucoup de français de l'insistance sur le sujet, n'hésitent pas à affirmer que la shoah et l'avortement sont les deux religions de la Vème république.
Ou l'on voit aussi dans le sujet que l'on associe maintenant dans un raccourci fulgurant la localisation géographique des camps de la mort allemands avec la nation polonaise.
Ou l'on extirpe la Pologne de la souffrance de la 2ème GM pour faire augmenter la victimisation du peuple juif.

C'est une vision mithyque dangereuse, qui n'apporte rien au peuple juif et aurait même tendance à mon avis, à ne pas les aider à surmonter cet epreuve de l'histoire.