Jeremi Wiśniowiecki (1612-1651)

Démarré par Archives, 21 Novembre 2023 à 14:57:12

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Jeremi Wiśniowiecki (1612-1651)

Personnage presqu'oublié aujourd'hui, il est l'un des héros du roman de Henryk Sienkiewicz "Ogniem i mieczem" et du film du même nom.
En son temps, il fut l'un des magnats les plus fortunés de son époque : il disposait d'un revenu annuel de un million deux cents milles złotys « or » provenant uniquement des taxes (tchynch) que les paysans libres lui devaient selon l'ancien Droit de la Rous', et pourtant il mourut appauvri.
Cette fortune lui permettait d'entretenir une armée privée qui comptait 6.000 et jusqu'à 20.000 hommes.
Son prestige était si grand que son incapable de fils - selon ses ennemis dont Jan Sobieski – Michał Ier Korybut Wiśniowiecki, auréolé par les victoires de son père, fut élu Roi de Pologne et de la Rzeczpospolita en 1669.

Des ouvrages historiques ont évidemment été consacrés à ce personnage tant en Pologne et en Ukraine.

Mais, pourquoi tant d'intérêt en Ukraine alors que son fils fit graver son surnom sur sa tombe : « Terreur des Cosaques » ?
On oublie que le grand intérêt que les Ukrainiens portent à Bogdan Khmelnitski, l'Hetman des Cosaques, chef de la grande révolte des Cosaques de 1648, ne date que du XIXe siècle et de l'apparition du nationalisme qui comme dans d'autres pays, se cherchait des « héros » nationaux.

Lorsqu'on lit des sites comme Wikipedia polonais, on n'apprend presque rien sur cette personne, sinon son parcourt militaire, qu'il était très riche et qu'il fut aussi une personne brutale dans la répression tout en étant un meneur d'hommes hors pair : il n'hésitait pas à utiliser le supplice du pal pour remplir ses ennemis de terreur. On peut en conclure avec d'autres qu'il fut et est toujours un personnage très controversé.
Ça peut paraitre étrange, mais Wikipedia ukrainien est plus prolixe et ne ménage pas son admiration pour ce « tueur de Cosaques » qui contribua à la défaite de l'Hetman Khmelnitski, pourtant héros national.

Ainsi, de cette manière, un Polonais n'apprendra pas grand-chose sur son origine et sur sa vie. Tout au plus signale-t-on en passant, qu'orthodoxe, il se convertit au catholicisme.

Qui était-il et d'où venait-il pour changer ainsi de religion ?

Jeremi Wiśniowiecki comme il est connu en Pologne ou Yarema Vychnevetsky selon son nom de naissance est né la 17 août 1612. Ses ancêtres étaient apparentés avec la dynastie des Grand-Princes de la Rous', des Empereurs byzantins, du Grand-Duc Gediminas de Lithuanie, des princes de Moldavie et un de ses aïeux, Dmytro Vyshnevetsky, fut aussi un des fondateurs de la Sitch des Cosaques Zaporogues. Il portait le titre de prince et faisait donc partie d'une prestigieuse famille noble ruthène du Grand-Duché de Lithuanie. Jeremi Wiśniowiecki venait d'une famille à forte tradition orthodoxe. Sa mère, Raina Mohylianka, fonda des églises orthodoxes et usa de son argent pour faire imprimer de la littérature religieuse. Son oncle, Petro Mohyla, était prêtre orthodoxe. Il fut archimandrite (abbé) du monastère des Grottes de Kyiv (Києво-Печерська лавра) puis Métropolite de Kyiv. Jeremi continua à protéger les églises et le clergé orthodoxe après sa conversion au catholicisme ainsi que, dans la grande tradition de tolérance religieuse des Sarmates, les Juifs et la secte des Aryens qui fuyaient la Pologne alors livrée à la contre-réforme menée par les Jésuites.

Cette conversion/apostasie lui valu d'être maudit par sa mère et anathémisé par son oncle, d'où sa réputation d'homme ayant sciemment imposé le catholicisme sur ses terres bien qu'il continua à faire des dons aux églises et monastères orthodoxes et s'opposa aux tentatives des Jésuites de convertir les moines et le clergé orthodoxe. Il arbitra aussi le différend entre deux de ses parents, dignitaires de l'Eglise orthodoxe, dont l'un voulait garder l'Eglise ruthène sous l'influence du patriarcat de Moscou tandis que l'autre souhaitait la création d'un Patriarcat de Kyiv en contact avec l'Occident : les meilleurs éléments seraient envoyés étudier en Europe occidentale afin d'améliorer le niveau intellectuel du clergé orthodoxe, nettement inférieur à celui des catholiques. Il prit le parti du second.

Orphelin à 7 ans, il hérita d'immenses domaines situés dans la région de Poltava (56 villes et villages) dont il augmenta la taille par des incursions dans les steppes presque désertes, celle de Kyiv, de Tchernihiv et aussi en Volhynie. Pendant 16 ans, il s'employa, grâce à des privilèges, à faire venir des gens sur ses terres, ce qui porta leur population de 4.500 à 230.000 habitants, qui augmentèrent d'autant ses revenus. Il développa le commerce, l'industrie (forges, tissage, bijouterie ...) ainsi que l'exportation de céréales, de potasses et de nitrates vers l'Europe occidentale et la Moscovie. Il encouragea aussi l'implantation de guildes d'artisans en les libérant des taxes exceptionnelles sauf celles concernant la défense des villes et l'entretien des digues.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, grâce à ses activités administratives et économiques, ce prince a mis en place les fondations indispensables à la création de la nation ukrainienne moderne. Les territoires qu'il a dirigés et peuplés sont devenus par la suite les bases de la formation culturelle de l'Ukraine. Les langues de ces régions sont même à la source de l'ukrainien standart.

Il fit son éducation chez les Jésuites à Lwów, la poursuivit brièvement en Italie puis acquis sa première expérience militaire aux Pays-Bas. En 1631, âgé de 19 ans, il revint sur ses terres et en pris effectivement la gestion. Malgré la forte influence orthodoxe de sa famille, il se convertit au catholicisme en 1632. Ses voyages en Europe occidentale ne sont sans doute pas étrangers à ce choix et, ambitieux, il voulait faire carrière en politique.
Le catholicisme ouvrait une porte qu'il devait obligatoirement franchir pour faire partie de l'élite de la Pologne. Cette carrière politique ne fut guère importante mais sans cette conversion (pragmatique ?), il n'aurait jamais été aussi populaire parmi la szlachta. Il faut ajouter que ce "pragmatisme confessionnel» était courant parmi les magnats de la Rzeczpospolita de cette époque.

Il opta finalement pour la carrière militaire et participa à la guerre de Smolensk (1633-1634) et à plusieurs de ses batailles. L'année suivante, il se battit contre les Turcs puis contribua, sous les ordres de l'Hetman Mikolaj Potocki, à vaincre la révolte cosaque de Pavel Pavluk puis celle de Dmytro Hunia.

Entretemps, il s'était opposé victorieusement par les armes à un magnat qui lui reprochait sa quasi indépendance, pourtant chose courante en Ukraine. Ce fut une des raisons de l'opposition de la Sejm, en 1636, au mariage du Roi Władysław IV Vasa avec la sœur de Jeremi, Anna Wiśniowiecki. Par la suite, il fit partie de ceux qui voulaient préserver les titres de la noblesse ancienne (kniazhata starozhytni = les descendants des anciens princes) en annulant les élévations plus récentes, ce qui lui valu l'inimitié d'un autre puissant magnat, Jerzy Ossoliński, Grand Chancelier de la Couronne.

Ce dernier fit tout ce qui était en son pouvoir pour l'éloigner de la vie politique.

De 1640 à 1646, il lutta contre les Tatars avec à ses côté Bogdan Khmelnitski, son futur adversaire. En 1644, il participa d'une manière décisive, sous le commandement du Grand Hetman de la Couronne Stanisław Koniecpolski, à la victoire d'Ochmatowem sur le Khan de Crimée en commandant la cavalerie de l'aile gauche.

En 1646, il fut nommé Voïvode de Ruthénie et comme tel tenta d'étendre sa province sur la rive droite du Dnipro, ce qui entraina des conflits avec les Cosaques Zaporogues.

Il joua un rôle très important dans la lutte contre le soulèvement cosaque de Bogdan Khmelnitski en 1648. En juillet 1648, il fut le vainqueur de la victoire écrasante de Konstantynow qu'il commanda du côté de la Rzeczpospolita. Il fut le véritable chef de la défense de la ville de Zbaraż en 1649. Et, en 1651, il participa d'une manière décisive à la victoire de Beresteczko en commandant la cavalerie de l'aile gauche contre les troupes réunies cosaques-tatares.

Il est certain que pour lui, la révolte de Khmelnitski était vécue comme une trahison personnelle. Il ne pouvait sans doute admettre que ce dernier, après avoir combattu avec lui contre les Tatares, se soit allié aux ennemis qui risquaient de porter des coups sensibles à la République. En fait, une part importante de l'armée des Cosaques était composée de Tatars.
Wiśniowiecki s'est donc en quelque sorte comporté comme un Croisé, ce qui donne une logique à son combat. Pour lui, le soulèvement cosaque n'apportait que l'anarchie et la désorganisation totale de tout ce qu'il avait mis en place sur ses terres pendant toutes ces années.

Lors de la révolte cosaque, il fit de grands efforts pour protéger ses sujets juifs de même que les monastères et églises orthodoxes situés sur ses terres et que certains révoltés voulaient piller.

Si on veut chercher un fil conducteur à ce que fut sa vie, on en trouve un, incontestable : une fidélité absolue à la Rzeczpospolita.

Il est décédé le 20 août 1651 à l'âge de 39 ans dans des circonstances mystérieuses, sans doute empoisonné. On a dit qu'il était mort à la suite d'une épidémie mais jamais il ne s'était plaint de sa santé jusqu'au jour de son décès.

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Posté par: jean pierre (IP Loggée)
Date: 21 septembre, 2011 22:31

merci pour ce sujet.

peut on comparer la conversion de Wiśniowiecki a celle de henry quatre en France?

(paris vaut bien une messe)

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Posté par: jk (IP Loggée)
Date: 22 septembre, 2011 08:16

Merci Paul.
Avec toi, il y a toujours des choses historiques interessantes à lire.

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Posté par: Paul (IP Loggée)
Date: 22 septembre, 2011 09:57

En quelque sorte.
Sauf qu'il n'est pas devenu roi, mais son fils, oui (il était mort depuis longtemps lorsque celui-ci fut élu par la noblesse).

Il y a quelques rois de Pologne qui se convertirent au catholicisme dans les jours qui précédèrent leur sacre. Ils pouvaient être de religion orthodoxe, protestante ou même carrément païens comme Władysław II Jagiełło (1362-1434), Grand-Duc de Lithuanie et premier roi de la dynastie des Jagellon.

Il est dit que la noblesse ruthène s'est polonisée en choisissant d'abord de se convertir au catholicisme.
C'est vrai, mais contrairement à ce qu'on pourrait naïvement imaginer, cela ne se fit pas "en bloc". Il fallut plusieurs siècle avant que les derniers ne renoncent à l'Orthodoxie.
Si la "conversion" de Jeremi Wiśniowiecki fit scandale dans sa famille, il en fut de même pour les autres nobles dont le geste fut aussi très mal vécu par leurs sujets restés orthodoxes.

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Posté par: Zefir (IP Loggée)
Date: 23 septembre, 2011 23:14

Son corps embaumé est exposé avec d'autres dans une crypte des environs de Kielce.