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En 1980, j'avais 20 ans et j'étais étudiante en première
année à Cracovie; fière et contente de l'être.J'ai
tant entendu parler de la vie gaie et joyeuse des étudiants
que je voulais rejoindre le plus rapidement possible ce milieu.
Malgré les difficultés de la vie quotidienne - la
crise économique en 79 - je rêvais de passer cinq ans
d'études dans l'atmosphère agréable et "de
prolonger la jeunesse" . Malheureusement il n'était
pas possible de faire abstraction de la vie de tous les jours. Le
côté existentiel cadrait bien notre vie mais des fois
était trop pesant. Il était difficile d'étudier
quand le ventre criait famine. Il fallait s'organiser. Nous avions
trouvé un système assez simple, mais drôlement
efficace. Nous avions constitué des groupes. Pendant que
les premies suivaient les cours et prenaient bien les notes , les
autres allaient à la chasse à la nourriture. Ce système
fonctionait avec une silencieuse complaisance des enseignants. Il
fallait se lever à cinq heures du matin et faire la queue
dehors pour acheter du beurre et du pain. Qu'est-ce qu'on regrettait
de ne pas être parmi ceux qui suivaient les cours bien au
chaud et qui pouvaient se permettre de dormir au moins jusqu'à
sept heures trente! Seule la solidarité pouvait nous pousser
au dépassement de soi. Les enseignants n'étaient pas
mieux lotis. Je me souviens d'une anecdote. Un jour que nos sacs
poubelles qui nous servaient de frigo à l'extérieur
de la fenêtre étaient complétement vides nous
fûmes obligées de déséquilibrer notre
système de fonctionnement. Ce jour - là deux personnes
sont allées suivre les cours et tous les autres furent mobilisés
à faire la queue. Au bout d'une demi heure nous apercevons
notre enseigante s'apporcher vers nous. Pendant quelques secondes
un vague malaise a parcouru notre rangée, mais c'est très
vite dissipé. Elle était venue nous expliquer ce qu'elle
avait prévu pour la matinée. S'excuser à cette
époque était presque inutile. Elle comprenait très
bien notre situation. D'ailleurs elle le vivait pareil. En discutant
elle avançait et elle en a profité pour faire ses
courses tout en nous remerciant . Voilà il fallait s'entraider.
Pour la première fois,notre cours avait eu lieu dans une
file d'attente.
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