Mythologie slave : le Vampire

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Posté par: Paul (IP Loggée)
Date: 16 décembre, 2010 15:21

Mythologie slave : le Vampire

Extrait du texte de E.E. LEVKIEVSKAJA
Institut d'Etudes Slaves et Balkaniques
Académie des Sciences, Moscou

La croyance aux vampires est fondée sur la conception commune à tous les Slaves de l'existence de deux sortes de défunts : ceux dont l'âme après la mort a trouvé le repos dans "l'autre" monde, et ceux qui continuent leur existence post mortem à la "frontière" des deux mondes. Les conceptions concernant les vampires chez les Slaves sont inégalement réparties : particulièrement développées dans les Balkans, elles s'affaiblissent au nord-est du monde slave, se réduisant presque à néant sur le territoire de la Russie septentrionale.

Déjà les noms donnés au vampire reflètent des différences dialectales importantes. La plupart des noms qu'il porte remontent à la racine opir (ou opyr), qui n'a pas d'étymologie claire. A la racine opi(y)r se rattachent des mots du type : vapir, opyr, upir (ukrainien), vampir (bulgare , serbe), wampir (polonais), upor (kachoube), upir (tchèque), etc., ainsi que des déformations du type : lepir (bulgare), lampijer (serbe), opi (polonais). D'autres noms du vampire soulignent sa possession d'une certaine science : wieszczy (polonais, kachoube). Le vampire peut hériter de noms d'autres personnages zducha (Monténégro), strzygon (Petite Pologne), drakus (Bulgarie). La forme upyr', se rattachant aux termes slaves du sud et de l'ouest, est connue exclusivement dans les régions de Russie mitoyennes avec l'Ukraine, tandis qu'en Russie centrale et septentrionale, les termes construits sur cette racine sont inconnus.

Les croyances concernant l'origine du vampire révèlent également des différences dans les diverses régions slaves. Il y a dans ces croyances un ensemble de motifs communs expliquant la transformation de l'homme en vampire : le fait de n'avoir pas vécu sa vie jusqu'au bout, la transgression des règles du rituel de funérailles, le destin, la transgression de normes de comportement, le poids des péchés personnels. Mais la réalisation, la signification, la fréquence de chacun de ces motifs sont différentes pour les diverses zones slaves. On peut considérer comme commune à tous les Slaves la croyance selon laquelle la raison principale de la transformation en vampire est une mort prématurée et non naturelle (surtout par suicide), signifiant que l'homme n'a pas mené sa vie jusqu'à son terme : "Quand un homme meurt de mort naturelle, il va au ciel ou en enfer, au diable. Mais qui se pend ou se noie, n'ira pas au ciel : il erre sur terre. Comme Dieu ne l'appelle pas, il erre jusqu'à ce que vienne son temps" (Polesie, région de Volhynie). Cette croyance est encore conservée dans mainte région slave, en particulier dans les Carpates ukrainiennes, où à la question "Un défunt peut-il après sa mort errer sur terre, nuisant aux vivants ?", les autochtones répondaient que de tels événements étaient courants dans les premières années après la guerre, quand erraient les pudzala - les soldats morts à la guerre - et qu'à présent il en restait peu étant donné que presque tous avaient déjà achevé leur vie, c'est à dire le temps qu'ils auraient vécu réellement s'ils n'avaient pas été tués. Dans des traditions isolées l'idée de mort injuste peut se concrétiser : on considérait comme vampires des gens morts de blessures, de maladies épidémiques, etc., que l'on n'avait pas pleurés, enterrés pieusement (Ukraine carpatique, Pologne, Yougoslavie), qui étaient morts sans confession (Ukraine carpatique, Pologne), dans l'obscurité (Serbie), à l'étranger (Macédoine), pendant les fêtes de Noël (Macédoine), sans avoir accompli leurs obligations durant leur vie - comme celles d'assurer leur descendance (Macédoine) - sans avoir exaucé une prière (Ukraine carpatique, Macédoine), etc.

La transgression des règles du rituel funéraire comme explication de la transformation du mort en vampire est un motif inhérent, à un degré plus ou moins développé, aux croyances de tous les Slaves. Mais c'est dans la tradition balkanique qu'il est le plus caractéristique et concret, tandis qu'il est très affaibli chez les Slaves de l'est, à l'exclusion de Ukraine carpatique. Les Slaves du sud pensaient que la période entre la mort et les funérailles présentait le plus de danger de transformation d'un défunt en vampire. Cela se produit si l'on fait passer au-dessus du corps du défunt certains objets (Bulgarie, Macédoine, Serbie), si un animal (particulièrement un chat) saute par-dessus, si un oiseau le survole, si la pluie tombe sur le corps (Bulgarie), si les gens qui portent le mort au cimetière se retournent (Bulgarie).

Le Destin (ukrainien : Dolia / Доля – polonais : Dola), un concours de circonstances indépendantes de la volonté de l'homme, mais prédéterminant son "vampirisme" constitue le motif le plus significatif des croyances des Slaves de l'ouest et des Carpates ; ce motif trouve une correspondance chez les Slaves du sud mais, sur le territoire des Slaves orientaux, il se réduit pratiquement à rien. On pensait que si dans une famille, il naissait plusieurs garçons à la suite, le cinquième ou le septième fils deviendrait vampire (Ukraine carpatique) ; on pensait de même d'un enfant né coiffé (Kachoubes), de celui qui était né ou avait été conçu en des temps difficiles (Carpates, Serbie), un samedi ou pendant les fêtes de Noël (Serbie). On considérait que les gens ayant deux âmes ou deux cœurs deviendraient vampires ; ce trait caractéristique des croyances slaves occidentales se rencontre aussi dans les Carpates.

La transgression des normes de comportement est un motif qui rattache la zone des Carpates à celles des Slaves de l'ouest et du sud. Dans ces traditions, la transformation d'un homme en vampire s'expliquait par un comportement incorrect des parents avant sa naissance : si dans l'église une femme enceinte regardait le prêtre portant le calice (Galicie), si elle passait entre deux autres femmes enceintes (Cracovie). Chez les Slaves du sud une femme enceinte ne devait pas manger de viande d'animaux égorgés par un loup sinon l'enfant deviendrait vampire. Un homme pouvait devenir vampire à la suite d'un comportement sexuel incorrect de son fait ou de celui de ses parents. Ainsi, les Serbes pensaient qu'un bon chrétien ne pouvait se transformer en vampire, que seuls le risquaient les chrétiens qui avaient des rapports sexuels avec des représentants d'autres confessions. Un enfant conçu par ses parents pendant le carême ou une fête devenait vampire (Carpates, Slaves du sud).

Enfin, on donnait comme explication du vampirisme le péché personnel, qui fait que la terre "rejette" le mort, un des motifs les plus fréquents dans les croyances slaves orientales au sujet du mort errant, dont le corps ne se décompose pas dans la terre. Ces morts sont des gens qui ont été maudits par leurs parents, qui ont levé la main sur leur mère, des débauchés, des assassins, des avares, des ivrognes et autres pécheurs, mais aussi des sorciers, des mages, des enchanteurs (le dernier trait est très caractéristique des croyances ukrainiennes). Chez les Russes on croit que "si le corps met longtemps à se décomposer dans le terre, c'est un signe certain que le mort était un pécheur et que la terre-mère rejette ses restes".

Ainsi, on peut remarquer que l'idée d'une vie non menée à son terme comme explication principale de la transformation en vampire est permanente et dominante sur tout le territoire slave. L'ensemble des signes restants se manifeste dans les croyances à des degrés divers, toutefois, dans ce cas aussi l'opposition passe entre la tradition slave orientale (à l'exclusion de l'Ukraine carpatique et de la Galicie, qui par certaines positions tendent vers la zone balkanique, par d'autres sont proches des Slaves de l'ouest) et le reste du monde slave. Dans les croyances slaves orientales le motif de la transgression du rituel funéraire expliquant la transformation en vampire est très affaibli, tandis que l'idée du destin transformant l'homme en vampire, indépendamment de sa volonté (caractéristique du reste de la zone slave), est en général absent. En revanche, on trouve au premier plan l'idée que le sort de l'homme après la mort dépend étroitement de son comportement personnel durant sa vie, idée qui ne se rencontre dans aucune zone slave sous une forme aussi catégorique.

Les croyances des Slaves de l'est ignorent également d'autres motifs inhérents à la majorité des traditions des autres Slaves. Ce sont en particulier des conceptions suivant lesquelles des femmes peuvent être vampires (Pologne, Slaves du sud), surtout les jeunes (Bulgarie), mortes en couches (Macédoine), celles qui de leur vivant étaient sorcières et guérisseuses (Macédoine). Les Russes ne connaissaient pas non plus la croyance aux vampires vivants existant dans d'autres traditions (Ukraine, Pologne, Kachoubes, Serbie orientale) selon laquelle ce rôle était rempli par les sorciers et les possesseurs d'âme double, dont l'âme pouvait pour un temps quitter le corps et nuire aux autres personnes. Ce genre de vampire aurait caché son âme sous une pierre et, tant qu'elle s'y trouvait, n'aurait pu mourir (Ukraine). Dans le Podol'e, on pensait qu'un vampire vivant portait sur lui le vampire mort qui, seul, ne pouvait errer et n'était pas dangereux.
Par certains traits les croyances des Balkans peuvent aussi s'opposer au reste de la tradition slave. On peut considérer comme spécifique des Slaves du sud la conception selon laquelle un mort se transforme en vampire pendant les quarante jours qui suivent l'enterrement. Si durant ce temps il n'est pas détruit, le sang qu'il a sucé lui donne des forces et il peut vivre longtemps parmi les hommes, sans regagner sa tombe. Jusqu'au quarantième jour il reste invisible (Bulgarie) ensuite son âme se transforme en corps, mais sans os et enfin, des os lui poussent et il devient réellement vampire.

Les croyances concernant l'aspect du vampire varie aussi suivant les régions. Chez tous les Slaves le vampire est représenté comme un homme mort concret, vêtu de ses habits mortuaires. La particularité du vampire chez tous les Slaves, est son visage anormalement rouge. Dans toutes les traditions, excepté la russe et la biélorusse, on trouve mention de divers signes anormaux inhérents à ce personnage : une taille immense, une tête (Pologne) et des dents énormes (Pologne, Bulgarie), une queue (Ukraine), une excroissance sous le genou cachant un orifice par lequel s'envole l'âme (Carpates) ; il n'a pas de sourcils (Pologne), de nez (Bulgarie, Serbie), de colonne vertébrale, ni de mains (Bulgarie).
Les motifs suivants caractérisant l'aspect du vampire sont typiques des Slaves du sud :
- le vampire est gonflé comme un sac, car en guise de corps il n'a qu'une peau pleine de sang. Il n'a pas d'os, c'est pourquoi il passe facilement par les petites ouvertures, par exemple à travers le trou de la serrure. Souvent on explique son enflure par le fait que ce n'est pas le mort qui sort de la tombe, mais le diable qui s'est glissé dans sa peau (Ukraine, Serbie, Macédoine). Ce motif est bien connu des contes du Poles'e sur la mort du sorcier ou de la sorcière dans la peau desquels se glissent les démons.
- le vampire peut changer son aspect, prendre la forme d'un animal, en particulier de celui qui a bondi par-dessus son corps avant l'enterrement (Bulgarie, Serbie) : chat, chien, poule, plus rarement vache, cheval blanc, agneau, crapaud etc. A sa famille, il se montre sous son aspect humain, aux étrangers, sous l'aspect d'un animal (Serbie, Bulgarie). Il peut aussi avoir l'aspect d'objets : d'une toile qui traîne ou d'une gajda (instrument de musique) pleine de sang (Bulgarie). Les quarante jours suivant les funérailles, le vampire est invisible ou bien se manifeste sous l'aspect d'une ombre, d'un souffle de vent, ayant la silhouette d'un animal ou d'un homme.

L'aspect fantastique de ce personnage est caractéristique des croyances des Slaves du sud et de l'ouest : un homme portant sa tête sous son bras (Ukraine, Pologne), un homme à tête de mort dans laquelle brûle un feu (Kachoubes), un chien à tête d'homme (Bulgarie).

Chez tous les Slaves, le trait caractéristique auquel on peut reconnaître un vampire est l'absence de putréfaction de son corps, en général noir et gonflé, répandant une puanteur, ne se décomposant pas dans la tombe. Mais si pour la tradition des Slaves du sud et de l'ouest ce motif fait partie de tout un ensemble d'autres signes d'après lesquels on peut reconnaître un vampire, pour la tradition des Slaves de l'est l'absence de putréfaction du corps du défunt est pratiquement la seule caractéristique qui distingue l'aspect du "mort en sursis".

Les traditions des Slaves de l'ouest et du sud, ainsi que de l'Ukraine, ont bien développé le complexe des motifs liés à la possibilité de reconnaître un vampire ou de prévoir une transformation en vampire d'un homme en vie, motifs absents de la tradition slave orientale. Deviennent vampires des gens aux sourcils fournis, au crâne à deux bosses (Pologne), qui parlent tout seuls ; ceux qui gardent les yeux ouverts après la mort (Bulgarie), qui gardent un visage coloré après la mort (Ukraine, Kachoubes), qui sont enterrés avec des ongles longs (Bulgarie). La tombe de ce type de défunt se lézarde (Slaves du sud), et les chevaux menant le corps au cimetière ne peuvent plus bouger arrivés à la limite du village (Kachoubes). On reconnaissait un vampire "vivant" aux signes suivants : il ne projette pas d'ombre (Slaves du sud), la nuit son corps est froid (Macédoine), s'il est boucher, les animaux qu'il abat n'ont pas de sang (Macédoine). Ces défunts-là reposent dans la tombe le visage tourné vers le bas (Ukraine, Slaves du sud) ou bien tournés sur le côté, ils fument la pipe (Carpates), ricanent (Pologne). Dans les contes slaves méridionaux un vampire tué laisse une flaque de sang ou d'une matière gélatineuse.

D'après les croyances communes à tous les Slaves, le lieu de résidence d'un vampire est sa tombe, d'où il sort pour visiter sa maison, ainsi que les demeures de ceux avec qui il a eu des rapports durant sa vie. La zone d'action du vampire est le plus souvent limitée à son village ou à quelques villages proches du cimetière, car chaque matin il doit regagner sa tombe - thème commun aux croyances des Slaves occidentaux et orientaux. Les Slaves du sud présentent une particularité : le vampire dont les os ont repoussé peut déménager à une certaine distance de sa demeure passée, afin de ne pas être reconnu, et vivre comme un homme normal.
Dans l'ensemble des croyances slaves, la période d'activité de ce personnage est la nuit, jusqu'au chant du coq. Chez les Slaves du sud (Dalmatie, Serbie du sud) et à l'ouest de l'Ukraine on pense qu'il existe une heure où le vampire doit, malgré lui, nuire aux gens.

L'activité nuisible des vampires

Toutes les traditions slaves considèrent le vampire comme un être nuisible pour l'homme. Le plus grave et dangereux pour toute la communauté est la capacité qu'a ce défunt d'influer sur les phénomènes naturels et atmosphériques, dont dépend directement la vie normale de toute la collectivité ; le vampire est responsable des catastrophes naturelles, entre autres de la grêle, des gelées précoces, de la sécheresse et des épidémies, surtout de la peste (en Ukraine, au XIXe siècle, on signalait des cas de bûchers dressés lors d'épidémies de choléra pour des gens considérés comme des vampires, car on les accusait d'avoir répandu le fléau).

Les morts nuisibles sont dangereux pour les hommes, les bêtes, les cultures. Selon des croyances communes à tous les Slaves, les défunts n'ayant pas trouvé le repos errent sur terre, inquiétant et effrayant les gens, surtout leurs proches et leurs connaissances. Ce sont surtout eux qui sont exposés aux attaques des vampires, les jeunes enfants, les jeunes mariés, les jeunes gens en âge de se marier. L'idée que les vampires étouffent leurs victimes et boivent leur sang est répandue essentiellement chez les Slaves du sud, dans l'ouest elle a une forme affaiblie ; elle est complètement absente dans l'est. Les moyens utilisés par le vampire pour nuire aux gens sont assez nombreux et varient selon les traditions. Invisible, il guette les voyageurs nocturnes (Bulgarie), les attire avec la lumière d'une bougie (Kachoubes), parcourt les villages endormis un grand sabre à la main, tuant les hommes (Serbie). Après sa mort un vampire peut entraîner toute sa famille dans la tombe (Ukraine, Pologne, Kachoubes), ruiner la vie de ses parents, leur ôter la santé (Carpates). Dans la tombe, le vampire ronge son corps, ce qui vaut à toute sa famille de tomber malade et de mourir (Kachoubes). Il tue en sonnant une cloche et en criant les noms : celui qui l'entend meurt (Pologne, Kachoubes). Chez les Slaves orientaux on ne trouve pratiquement pas trace de ces croyances, par contre ils pensent que c'est la rencontre avec ces défunts qui est dangereuse pour l'homme, rencontre pendant laquelle le mort peut rogner, raccourcir la vie, enlever la force, après quoi l'homme mourra rapidement.

Les croyances concernant le mal fait par ces défunts aux animaux domestiques sont caractéristiques des Slaves du sud et des Ukrainiens : il boit leur sang (surtout des jeunes animaux), pourchasse toute la nuit les chevaux et les vaches (Bulgarie), et comme la sorcière, prend le lait des vaches (Ukraine).

Les croyances suivant lesquelles le vampire ravage l'économie domestique, en détruisant la récolte, existent chez tous les Slaves : il éparpille les objets dans la maison, emmêle les fils du métier à tisser, répand l'eau (Slaves du sud, Pologne), brise la croisée des fenêtres, arrache les serrures des portes, perce les barrages (Russie). Pour les Ukrainiens le vampire est souvent associé aux sorcières : il est leur chef (Kharkiv), mène la sorcière au sabbat. En Ukraine carpatique on croit qu'outre le vampire habituel, il en existe un autre qui vit dans l'eau où Il attire les gens.

Les motifs relatifs à la "vie sexuelle" du vampire sont typiques des Slaves méridionaux. Il cohabite avec des femmes, avec sa veuve (Slaves du sud), déflore des jeunes filles (Bulgarie). Le vampire dont les os ont repoussé, part dans un autre village, épouse une femme qui ne soupçonne rien (c'est le sujet de nombreux contes serbes et bulgares). Les enfants nés d'une liaison avec ces défunts deviennent eux-mêmes vampires (Serbie) ou des personnages capables de voir et de tuer les vampires. Ces enfants n'ont pas d'ombre (Serbie), ils ont une grosse tête et pas d'os (Bulgarie). Les Slaves orientaux connaissent le thème des visites nocturnes d'un défunt à sa femme mais il s'agit de croyances isolées.

Il existe des conjurations et des moyens universels de rendre un vampire inoffensif. Chez tous les Slaves, le principal moyen de prévenir les nuisances d'un défunt dangereux après sa mort se rapportait aux règles de funérailles. Dans la tradition balkanique le plus important est de respecter scrupuleusement les nombreuses prescriptions et interdictions lors des funérailles : on ne laisse jamais le défunt seul de jour comme de nuit, on laisse toujours de la lumière dans la maison, on fait sortir les animaux, on évite pendant trois jours de passer sur l'endroit où est posé le mort, etc. On perce la peau du cadavre avec une aiguille pour que le diable ne puisse le faire enfler, on coupe le cadavre en plusieurs morceaux et on l'enterre ainsi (Slaves du sud), on enfonce dans les talons des objets pointus (Slaves du sud), pour que le défunt ne puisse pas marcher. On met de la terre sur la poitrine (Bosnie Herzégovine), un couteau sous la tête (Macédoine), on dessine sur le corps une croix avec de la cire de cierge (Croatie), on jette la chaussure droite du défunt dans la rivière (Serbie, Macédoine, Skopje), etc. On sort le cercueil par la fenêtre ou par un trou percé spécialement sous le seuil (Carpates, Pologne), on fait toucher trois fois le seuil au cercueil (Serbie), et là où était posé le corps, on sème du blé et on verse de l'eau (Serbie), etc.

Un trait caractéristique de la tradition slave orientale est lié aux particularités de l'enterrement des "morts en sursis". Il existait une interdiction sévère d'enterrer au cimetière les morts appartenant au "groupe dangereux" (surtout les suicidés, les ivrognes, les gens maudits par leurs parents, ainsi que ceux qui durant leur vie étaient considérés comme des sorciers), car la transgression de cet interdit entraînait des catastrophes naturelles, des mauvaises récoltes, des maladies, etc. On avait coutume d'enterrer ces défunts à l'endroit de leur mort, aux limites de champs, aux carrefours, dans les endroits marécageux, les ravins, en jetant sur leurs tombes du bois mort, des feuilles, des chiffons, des pierres, etc. Les Slaves de l'est évitaient de mettre ces morts en terre, préférant les jeter dans des endroits fangeux et des ravins, jetant sur le corps du haut de la colline du bois mort, trait permanent qui s'est conservé jusqu'au début du XXe siècle, malgré l'opposition de l'Eglise et des autorités.

Chez les Slaves de l'ouest il y avait peu de moyens préventifs, car on croyait que le sort de ces gens était inéluctable. Toutefois on prenait des mesures dans les cas où le danger de transformation en vampire était visible dès la naissance, c'est à dire quand l'enfant naissait "coiffé", il fallait brûler la membrane, et donner la cendre à boire à l'enfant avec de l'eau de la Passion (Kachoubes).

Le moyen préventif le plus connu consiste à répandre dans la tombe du pavot sauvage ou du millet, et aussi à semer du pavot sur le chemin de la maison au cimetière pendant les funérailles. On pense qu'un défunt ne peut pas rentrer chez lui tant qu'il n'a pas rassemblé toutes les graines. Si néanmoins le mort se met à nuire, c'est à dire si l'on repère des signes de sécheresse, de dégâts par la grêle, de morts en série, d'épizootie, etc., alors font surface des moyens de le détruire communs à tous les Slaves : on ouvre la tombe, on coupe la tête au cadavre et on la place entre ses jambes ou bien on retourne le corps, le visage vers le bas et dans cette position on l'enterre de nouveau, dans un autre endroit. On essaye de détruire un vampire en enfonçant dans son corps ou dans sa tombe un pieu, en bois de tremble (Slaves de l'est et de l'ouest) ou de prunellier (Slaves du sud). Chez les Slaves du sud on utilise beaucoup les conjurations personnelles, ainsi que des recettes pour protéger la maison de ses incursions : ail, petites croix en aubépine, amadou, briquet et autres recettes.


Malgré des différences importantes dans les croyances sur les vampires dans les diverses zones slaves, on peut distinguer un "noyau" de motifs et de croyances concernant ce personnage commun à tous les Slaves. Ce sont avant tout des traits reflétant son appartenance aux défunts "impurs", n'ayant pas trouvé la paix dans l'autre monde, une personne morte d'une mort prématurée et non naturelle : l'état de son corps, qui ne connaît pas la décomposition, le "mode de vie" nocturne, le fait d'habiter une tombe, le danger qu'il représente pour les vivants, et la capacité d'engendrer des catastrophes naturelles, enfin, les moyens employés pour le détruire, symbolisant sa mort définitive. Toutes ces caractéristiques du vampire sont pertinentes pour chacune des traditions slaves, ce qui permet de parler de leur nature commune et de l'identité des diverses variantes de ce personnage dans le cadre de la zone slave.
En même temps, on ne peut pas dire que les croyances slaves concernant les vampires soient homogènes : les diverses caractéristiques permettent de distinguer au moins quatre zones.

La particularité des croyances slaves orientales est d'intégrer un maximum de traits communs à tous les Slaves et un petit nombre de traits propres.

Dans la tradition balkanique l'élaboration des croyances concernant les vampires ont permis que ce soit cette variante balkanique du personnage qui soit utilisée comme étalon auquel étaient comparés des personnages analogues d'autres traditions slaves, et en comparaison duquel le personnage des Slaves de l'est semble "ne pas ressembler" à un vampire. En fait il faut reconnaître que c'est la variante slave méridionale de ce personnage qui manifeste le plus grand nombre de traits distincts, "escamotant" la constante.

Les croyances des Slaves occidentaux possèdent également tout un ensemble de traits spécifiques : croyances selon lesquelles les vampires sont des êtres à deux âmes ou deux cœurs, et dont l'existence sous cette forme ne dépend pas d'eux-mêmes. Les Slaves de l'ouest croient surtout à l'existence de traits distinctifs d'après lesquels du vivant d'un homme on peut augurer de sa transformation en vampire après sa mort.

C'est la zone des Carpates qui apparaît la plus complexe et la plus distincte des autres. On peut penser que le type carpatique du vampire a assimilé de nombreux traits slaves du sud ou de l'ouest et n'est pas autonome.

Ainsi il faut noter la présence chez le type slave du vampire d'un grand nombre de signes et de motifs locaux, ce qui crée une importante "bigarrure" de croyances concernant ce personnage tout en mettant en évidence une constante commune de la mythologie slave.

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Posté par: michelle prostak (IP Loggée)
Date: 27 décembre, 2010 14:55

Merci Paul d'aller dénicher ces articles sur notre histoire et notre culture!

Voici une lecture édifiante, qui nous change un peu du Père Noël et ses rennes!
Exit, le monde des bisounours . Elle vaut bien d'y consacrer un peu de temps!

Je compte dans ma généalogie une Znachora", et je crois savoir qu'elle a fini ses jours tranquille ...enfin sait-on jamais. Maintenant, je vais me méfier des incidents, et chercher "les signes"
Michelle