« Récits ultimes » Olga Tokarczuk, Noir sur Blanc, 2007
Traduit du polonais par Grazyna Erhard
Héroïnes de ce roman fascinant, Ida, Parka et Maya sont les maillons d’une même chaîne. Normal, puisque Maya est la fille d’Ida, elle-même fille de la vieille Parka, chacune ayant légué à la génération suivante un peu de son sang, un peu de son histoire.
L’hiver dans le sud-ouest de la Pologne. Sur une route peu fréquentée, surtout de nuit, Ida perd le contrôle de la petite voiture qu’on lui a prêtée. Le véhicule vole littéralement par-dessus une congère et se plante contre un arbre. Le nez dans les étoiles, les phares fouillant le ciel glacial. Hébétée, choquée sûrement, blessée peut-être – mais elle aurait pu mourir -, la conductrice qui voulait tant revoir la maison de son enfance finit par trouver refuge, dans un village perdu, auprès d’un vieux couple. Avec la complicité d’un petit-fils vétérinaire, cet homme et cette femme vouent leurs soins à toutes sortes d’animaux en fin de vie, abrités dans une grange. La mort rôde partout, jusque dans la cuisine rudimentaire où agonise la chienne Ina. De quoi faire le point de sa propre existence.
Paraskewia, dite Parka, est doublement exilée : parce qu’elle vit hors du monde et hors du temps dans une maison accrochée au flanc de la montagne d’abord, et parce qu’elle est Ukrainienne en terre polonaise ensuite. La mort de son mari, un dimanche soir de grand froid, ne l’empêche pas de vaquer à ses tâches quotidiennes, chauffer la maison avant tout, tout en ressassant chapitre par chapitre sa longue existence, voluptés, colères, joies et indignations mélangées. Jusqu’au moment où elle trouve suffisamment de forces pour sauter dans l’épaisse et silencieuse couche de neige et y tracer de ses pieds en grands caractères « Petro est mort ». Vraiment mort, que ceux d’en-bas en soient informés.
Maya, quant à elle, est mère d’un garçon d’une dizaine d’années, qu’elle emmène avec elle parcourir le monde pour, théoriquement, réaliser des dépliants touristiques… à moins qu’un autre levier la pousse à prendre le large. Durant un long séjour sur une île malaisienne, Maya croisera un vieux magicien en partance…
Finalement banales, ces trois histoires de femmes, portraits-bilans de trois vies à trois âges différents, constituent une trame idéale pour se pencher lucidement sur un sujet encore majoritairement tabou, la mort. Pour évoquer avec une grande subtilité – le mythe des trois Parques en filigrane – la fuite inexorable du temps, le flux et le reflux de la vie, la déchéance de la chair. En toile de fond, les désastres de la guerre, déplacements de populations, des frontières territoriales de la Pologne, les déportations.
L’écriture d’Olga Tokarczuk est clinique, la somme de ces trois existences ne s’encombre d’aucun pathos ni falbala, c’est clair comme un diagnostic, précis comme un chronographe, les descriptions des êtres et des choses ont la netteté des photographies. Du tout grand art, récemment récompensé par le Prix Nike 2008 équivalant, en Pologne, au Prix Goncourt français, pour « Bieguni » (Les randonneurs) dont on attend avec impatience la traduction.
Olga Tokarczuk est née en 1962. Elle est psychologue de formation et, en Pologne, un des jeunes auteurs les plus lus.
(Sonia Graf Stawarz)
« La maison au bord de l’Oniégo »
Mariusz Wilk, éd. Noir sur Blanc, 2007
Traduit du polonais par Robert Bourgeois
Ecrit de septembre 2003 à l’été 2005, ce « Journal du nord », partiellement publié dans les colonnes du quotidien de Varsovie « Rzeczpospolita », a pour cadre la Carélie, une vaste région du nord-ouest de la Russie, percée de mille lacs et adossée à la Finlande. Bien qu’inhospitalière, petit à petit abandonnée par les hommes, en marge du confort moderne le plus élémentaire, la région de l’immense Oniégo a su retenir un auteur qu’un long séjour dans les îles Solovki – désormais trop touristiques – aurait pu pousser à choisir des cieux plus cléments. Mais l’amour du grand nord s’attrape comme une maladie ; et Mariusz Wilk qui en cultive le virus a déjà partagé sa passion dans « Journal d’un loup » (Noir sur Blanc, 1999).
Installé cette fois-ci à Konda Biérejnaïa, l’écrivain ethno voyageur géographe botaniste polonais a d’abord dû batailler ferme pour amener dans son nouveau village l’électricité qui lui permit de se servir de son PC : sinon, point de récit et encore moins de livre. Ensuite il lui a fallu reconstruire dans les règles de l’art, à l’aide de sable et d’argile, un véritable poêle russe pour pouvoir résister au froid. Car là-bas, en hiver, on dort sur le poêle ou on gèle ! Le climat d’en haut n’a en effet rien à voir avec le climat d’en bas, à ras du sol glacé… Pour survivre sur le rivage de la Grande Baie sous le cercle polaire, il faut connaître aussi les petits fruits et champignons abondants de la forêt primaire, et préparer avec Natalia leur conservation durant le bref été brûlant, puis savoir pêcher sous la glace du lac gelé; il convient également de ne pas hésiter à franchir les distances à ski lorsque tout autre moyen de déplacement est interdit par les conditions climatiques extrêmes. Et même, s’il le faut, se prêter au transport inédit sur son dos d’une croix, une vraie croix sortie d’un grenier, afin de réanimer après un long sommeil une chapelle profanée par les bolchéviks… Il y a là des pages et des descriptions d’une inoubliable saveur, d’un exotisme totalement inattendu !
Mariusz Wilk , lorsqu’il s’installe pour quelques années dans un endroit propice à l’écriture, tient à dialoguer avec tous les habitants du lieu ; il nourrit ainsi son livre de vies et de récits très variés, tant de laissés en marge qui se consolent dans l’abus d’alcool que de résistants de toutes les manières possibles face à un sort pour le moins ingrat. L’auteur excelle à restituer les situations et les rencontres les plus singulières, par exemple ses discussions avec le pope Nicolaï de Kijy, né à Paris et parfaitement francophone, ainsi qu’avec sa belle épouse journaliste, si intriguée par cet écrivain polonais passionné par la Sainte Russie et ses régions de mysticisme, de chamans immémoriaux, de vieux-croyants ou de bardes itinérants, tous dépositaires de traditions d’un autre temps et de savoirs en péril. Le grand nord c’est aussi la fascination des étendues infinies, des horizons à perte de vue, qui font dire que « beaucoup d’entre nous, Européens, commencent après un long séjour en Russie à se sentir, en Europe, comme dans une armoire », à l’étroit .
Bien sûr , sur ces chemins méconnus balisés pour nous par Wilk, on pense à un autre grand voyageur, Nicolas Bouvier, sans doute mieux connu en francophonie et par ailleurs salué dans cet ouvrage, ou encore à Ryszard Kapuscinski, tous grands maîtres du voyage dans l’espace, dans la pensée et dans la littérature, des conteurs nés, des esprits libres et capables de porter sur les événements de monde un regard que la distance rend plus lucide, moins partisan au premier degré. Ainsi, contrairement à la majorité des Polonais, Mariusz Wilk avoue avoir des amis russes – mais Andrzej Wajda aussi ! -, il aime la langue qui parfois le fait passer pour un écrivain russe ( !), et il ne dissimule point son ressenti en apprenant la publication de la revancharde « liste de Wildstein » qui a fait trembler la Pologne, un Wildstein autrefois très proche, mais c’était lors de la grande épopée de « Solidarnosc », celle d’ailleurs qui avait envoyé Mariusz Wilk l’opposant très actif en prison !
Fasciné par cette « Maison au bord de l’Oniégo » et tout ce qui palpite dedans et autour, par ce regard critique que porte son auteur sur le monde quelque part entre Occident et Asie, le lecteur emmené dans un univers dont le fonctionnement échappe fréquemment est vraiment comblé !
Sonia Graf Stawarz
« LE CINEMA ET MOI »
Krzysztof Kieslowski
Ed. Noir sur Blanc, 2006,
trad. Margot Carlier-Véronique Patte
La projection du film « Tu ne tueras point », élément très fort du « Décalogue » de Krzysztof Kieslowski (1941-1996), avait tétanisé le Festival de Cannes en 1988 (Prix spécial du jury). Un événement qui fut suivi par un véritable tsunami de louanges à l’adresse d’un cinéaste polonais alors quasiment inconnu du public occidental. Les amateurs du 7e art n’ont pas oublié non plus d’autres titres phares tels « La double vie de Véronique » ou «Trois couleurs. Bleu », ou « Blanc » ou « Rouge ». Unanimes, les critiques qui ont décortiqué son art ont, depuis longtemps, placé KK le modeste parmi les réalisateurs les plus importants du XXe siècle. C’est à l’occasion du 10e anniversaire de sa mort que ce livre a été publié, tandis que partout en Pologne en particulier et dans le monde en général, le public était invité à revoir les films de ce cinéaste que Cannes continue d’honorer en décernant chaque année le « Prix Kieslowski ».
Cet ouvrage original n’est donc pas une étude de plus de l’œuvre de KK, mais bien plutôt, sous ses aspects autobiographiques, l’histoire de la naissance de KK au cinéma, telle que recueillie lors d’entretiens et publiée, dans une première version en langue anglaise en 1993 déjà sous le titre « Kieslowski by Kieslowski », puis en Pologne en 1997, un an après sa mort. Passionnante, car le lecteur a l’impression que KK se raconte pour lui seul, la présente version 2006 a été entièrement revue, augmentée par des inédits très personnels, ainsi que par une série de photographies.
Né dans une famille souvent en manque d’argent et se déplaçant fréquemment d’une ville à l’autre en raison de la tuberculose du père qui fréquente les sanatoriums, KK évoque son enfance plutôt errante, sa passion précoce pour la lecture, le premier film occidental qu’il découvre à l’âge de 7-8 ans, puis ses hésitations adolescentes, son manque d’enthousiasme pour les études. Survient le coup de foudre pour le théâtre, à son plus haut niveau en Pologne à la charnière des années 1950-60. KK est alors inscrit au Lycée technique des métiers du théâtre à Varsovie. Puis, afin d’échapper au service militaire, il s’inscrit à l’Université, « tout le monde trichait », dit-il. Enfin, à sa troisième tentative, il est admis à l’Ecole de cinéma de Lodz. Surtout pour faire plaisir à sa mère, et par amour-propre, précise-t-il! Car la motivation, elle, avait fléchi. Et pourtant ! « L’école bénéficiait d’une excellente organisation (…) je faisais un ou deux films par an. (…) J’en suis sorti en 1968. Elle disposait d’un véritable espace de liberté et employait des enseignants remarquables. Les communistes ont tout sapé ». C’est vrai, KK n’a jamais aimé la politique, préférant rester en marge, observer ; il reproche d’ailleurs à son ami Andrzej Wajda d’avoir consacré quelques années à « une activité qui ne valait pas son talent ». Quoi qu’il en soit, KK débute sa fructueuse carrière en se consacrant au documentaire. Suivront des docu-fictions et des fictions. Les sujets ? Des histoires du quotidien, simples et banales, mais toujours en équilibre instable entre question et réponse, utile et futile, commencement et fin, enthousiasme et résignation, joie et tristesse, en laissant une large place à l’intuition, le pressentiment, avec en filigrane la vie en Pologne à ce moment-là. C’est la vision du monde de KK, pour trouver l’homme, sa force et ses faiblesses, le sens de la vie, jamais pour juger. Le réalisateur explique le contexte et les conditions de tournage de chacun de ses films avec force détails, il évoque ses doutes, ses difficultés, autant d’informations précieuses qui viennent compléter les analyses formelles de l’ensemble de son œuvre et que l’on trouve dans les ouvrages de spécialistes. Que KK ait réussi à filmer les audiences dans des tribunaux de droit commun et des tribunaux militaires en plein état de siège en novembre 1982 et que la seule présence de la caméra ait eu pour effet que toutes les peines furent assorties du sursis étonnera plus d’un lecteur ! « … les juges avaient peur de la caméra », (…) « ils s’angoissaient à l’idée d’être fixés sur la pellicule en train de prononcer un verdict injuste ». Tout aussi injuste fut la manipulation dont KK fut la victime après ce film, mais pour lui chaque chose porte enseignement. Ainsi le fait d’avoir par la suite tourné en Occident, qui lui rappelle combien, en Pologne communiste, il était facile de faire des films, puisqu’il n’y avait point d’enjeu économique…
La dernière interview de KK est également contenue dans ce livre qui le met en lien avec d’autres cinéastes de son temps, de même qu’y est répertorié l’ensemble de sa filmographie. Il n’échappera à personne que le compositeur préféré de KK fut Zbigniew Preisner, dont les musiques n’ont pas fini de bouleverser le public, notamment « Requiem Dla Mojego Przyjaciela », écrit après la mort prématurée de son ami Kieslowski…
(Sonia Graf Stawarz)
Une année et demie après les Polonais, les lecteurs francophones peuvent à leur tour se pencher sur « Balthazar », un livre très attendu, le dernier Mrozek. Cette fois-ci, il ne s’agit ni de théâtre, ni de roman, encore moins de nouvelle, mais bien plutôt de prendre des nouvelles de l’auteur de Cracovie, victime d’un accident cérébral en mai 2002. Actuellement âgé de 77 ans, Mrozek a retrouvé mémoire et langage après une aphasie de laquelle il ne serait sans doute jamais sorti s’il n’y avait eu les encouragements et l’aide de Beata Mikolajko, sa thérapeute, qui l’a poussé à fouiller sa mémoire et à lui faire régurgiter des pans entiers de son existence. Un exercice salvateur, des milliers de pages péniblement écrites, puis de mieux en mieux !
« Balthazar », c'est-à-dire le Mrozek nouveau, l’homme d’après l’aphasie, celui qui écrit « … l’homme d’avant n’existe plus », ce Balthazar surgi dans un rêve parisien, ne se quitte qu’après avoir tourné la dernière page, c’est vraiment le roman d’une vie. Vie commencée près de Cracovie, alors « petite ville provinciale » et qui revient à Cracovie aujourd’hui tentaculaire, où vraisemblablement elle se terminera ; le plus tard possible on le souhaite pour cet immense écrivain longtemps exilé, mais qui ne doute plus de son appartenance à la Pologne.
C’est avec une grande honnêteté que Mrozek fait part de ses années mexicaines, et du retour final en Pologne dans les premières pages, puis de l’enfance au départ de Pologne pour plus de trente ans. Des événements qui l’ont formé dans un pays qui venait de recouvrer son indépendance, un pays arriéré avant qu’il ne traverse une guerre atroce, puis d’être happé par le communisme… Ensuite les premiers voyages à l’étranger, Russie, Autriche, France, Italie… On trouvera dans cette autobiographie qui ménage une large place aux relations familiales, un petit garçon très proche de sa mère, découvrant les réalités de la guerre à 9 ans, une guerre ô combien longue : « C’est en Pologne que la guerre avait duré le plus longtemps : cinq ans, huit mois et huit jours », le tiers de l’existence d’un gars de 15 ans. Puis un adolescent mal dans sa peau, « un décadent », qui cherche sa voie et trouve: «Je commençai à écrire à vingt ans. Le métier d’écrivain était le seul que je savais exercer à peu près correctement ». Et se méprend en s’inscrivant au POUP (parti ouvrier unifié polonais) avant de faire marche arrière, mais il a déjà écrit un long reportage pour vanter sur commande la nouvelle ville de Nowa Huta.
Mrozek ne dissimule rien de ses souvenirs, par exemple comment, pour laisser la place aux Allemands, les Polonais de Cracovie, « les vivants », remplacèrent dans le quartier de Podgorze les « anciens à jamais absents… Nous savions que l’extermination des juifs y avait été perpétrée (…) les habitants venaient d’être envoyés à la mort ». Ni comment, évoquant l’hiver 1952 et la guerre civile entre Polonais et Ukrainiens, « nous, les journalistes, et donc nos lecteurs, vivions dans une douce inconscience de ce qui se passait » : il y eut des milliers de morts… L’auteur nous présente ses amis et connaissances, dont Wyslawa Szymborska (Prix Nobel de littérature qui vit toujours à Cracovie), sa voisine à la Maison des écrivains avec nombre d’autres confrères, puis ses fréquentations de l’intelligentsia polonaise en exil tant en Italie qu’en France, les Czeslaw Milosz (encore un Nobel de littérature), Jerzy Giedroyc ou Gustaw Herling-Grudzinski notamment. Le plus extravagant est le premier voyage aux Etats-Unis, en paquebot s’il-vous-plaît, pour participer à la « summer school » dirigée par un certain Henry Kissinger…. Quantités de personnes et de lieux mentionnés dans ce livre intéressent bien entendu plus les lecteurs polonais, qui se sont littéralement rués sur « «Baltazar » dès sa sortie en mars 2006, néanmoins cette traversée du XXe siècle met en lumière nombre de points d’histoire ou de petite histoire parfaitement ignorés par les Occidentaux. Et tout y est écrit et dit dans ce style propre à Mrozek, l’air de ne pas y toucher mais allant à l’essentiel, avec lucidité, limpidité, sans fioritures ni pathos. Du grand art !
(Sonia Graf Stawarz)
"Retour
en Pologne"
Edmond et Alain Szelong
Editions Terre de Nos Racines
Un
livre de 450 pages suivi d'un autre aussi épais pour raconter la vie de son père et grand-père
est une entreprise risquée. Pourtant, c'est l'audacieux devoir
de mémoire qu'ont entrepris les Szelong, père et fils,
qui réussissent, par un travail très fouillé ou
le talent se mêle à l'exigence, à tracer une
passerelle entre passé et futur.
Aujourd'hui, après "Ozarow Les racines polonaises" et " Polonais
en France", deux livres que les Polonais francophones connaissent
bien, le troisième volet de la trilogie, "Retour en Pologne" arrive
enfin.
Cet ouvrage raconte leur retour, trente ans après, dans
la patrie de leurs racines. Pour la circonstance, leur fils
cadet les
accompagne.
Trente ans après… Que vont-ils découvrir
? Que sont devenus leur village, leur famille ?
Munis des passeports et visas nécessaires, ils se lancent
dans l'aventure le 31 juillet 1961, l’année de
la construction du mur de Berlin…
Après des passages de frontières angoissants, truffés
de chicanes militarisées, après des contrôles
humiliants, ils atteignent enfin leur but à l'issue d'un pénible
voyage de deux jours. Ils retrouvent Ozarów et leur famille
avec une intense émotion. Passée la joie des retrouvailles,
ils apprennent les terribles faits qui ont ensanglantés le
village et le pays tout entier au cours de la seconde Guerre mondiale.
Quinze ans seulement après le conflit, les plaies saignent
encore. Dans cette Pologne du début des années 60,
sous tutelle soviétique, tout juste sortie d'une période
de terreur communiste, ils partagent le quotidien d'une population
confrontée aux pénuries, à la censure, aux suspicions
et aux retards économiques.
Ecrit comme les deux premiers volumes, par le fils et le petit-fils
de Michel et Monique, le témoignage de l'épopée
de ces touristes des premiers temps est bouleversant. Il permet
de mieux comprendre la Pologne d'aujourd'hui.
Pour tous renseignements:
Editions Terre de Nos Racines, 2 allée des Violettes, 59
126 Linselles.
mail: szelong@beskid.com
« Le petit Mrozek illustré »
Slawomir Mrozek
Les Editions Noir sur Blanc, 2005
Souriez, vous êtes chez Mrozek ! Vous réfléchirez
après.
Ce qui est bien, chez Noir sur Blanc, c’est qu’il n’est
nul besoin, pour entrer dans l’univers d’un écrivain
de la taille de Mrozek, d’un pavé qui vous démolit
l’épaule lorsque vous le transportez dans votre besace :
un livre au format poche suffit.
Slawomir Mrozek. Un monument de la littérature qui écrit
depuis un demi-siècle.
Son théâtre est joué dans le monde entier,
en Pologne bien sûr, et en France en particulier.
Professionnels, amateurs, tous succombent à l’irrésistible
envie d’interpréter ses pièces au retentissement
planétaire. Cet été, pour citer un seul exemple,
les comédiens-vignerons du petit village de Chardonnay en
Bourgogne donnaient leur version des « Emigrés » dans
leur magnifique Théâtre de Champvent . Mrozek
aurait apprécié !
On connaît moins cependant les romans et les nouvelles de
l’illustre écrivain polonais né en 1930 près
de Cracovie, ville où il vit depuis dix ans maintenant,
après un long exil dans différents pays d’Europe
et des deux Amériques. C’est donc précisément
aux nouvelles qu’invite ce « Petit Mrozek illustré »,
recueil de textes aussi courts que variés, écrits
tant en Pologne qu’ailleurs dans divers pays d’accueil
entre les années 1960 et 1990 ; ils sont pleinement
représentatifs de la veine, de l’esprit mrozekiens,
dont nul ne ressort indemne.
Vous avez sans doute déjà médité, sourire
aux lèvres ou en secouant la tête, devant certains
comportements, certaines paroles, ou, plus grave peut-être,
certains clichés véhiculés autour de vous,
en public ou en privé, articulés par des proches
ou des inconnus. C’est bien là la matière première
de Slawomir Mrozek, qui, tel un entomologiste examinant à la
loupe des insectes grouillant de partout ou tel un épervier
guettant sa proie, scrute ses contemporains, partout où il
se trouve. Et, tel un chirurgien outillé d’un scalpel,
il décortique, analyse, puis passe au crible de la raison
leurs faits et gestes. L’obstination stupide et bornée,
la bêtise, la naïveté, la condescendance, l’égoïsme,
l’orgueil, l’avidité, etc., font ici florès.
On s’y reconnaît, soi-même ou les autres. C’est
décapant à en rire aux éclats, à vous
en glacer le sang. Mais c’est tellement vrai, tellement banal,
qu’il faut qu’on nous le montre pour le voir encore!
Ce « Petit Mrozek illustré » avec
des dessins de Chaval, c’est la grande comédie humaine
en caricatures, l’écriture de Mrozek, pas prétentieuse
pour un sou ni à la recherche d’aucun effet de style, étant
totalement visuelle, au service de tous nos petits et grands travers ;
un catalogue qui commence avec « affaires et ambition » et
qui se termine avec « zèle », en passant
par « bureaucratie » et « culture »,
ou « progrès », « retraite » (ah, « Le
gardien du vase de Chine » !) et « tourisme » (vive
l’archéologie du futur!).
En trois mots, une lecture de notre image parfaitement lucide et
saine, renvoyée par un miroir à peine déformant,
une prose à rire, à se désoler ou à réfléchir.
Pour le néophyte, elle agira tel un hameçon sur le
poisson, lancé par un Mrozek toujours en pleine forme, malgré la
plus inquiétante des alertes voici quatre ans (attaque cérébrale
suivie d’aphasie) et qui, fin mars 2006, dédicaçait
son « Baltazar » ou le livre de la re-naissance, à Cracovie,
où la soussignée a eu la grande chance de lui serrer
la main.
Pour rappel, les Editions Noir sur Blanc poursuivent, depuis plus
de quinze ans, la publication en français des œuvres
complètes de Slawomir Mrozek : de quoi remplir une
bibliothèque ! Qu’on se le dise, en attendant
la traduction en français de la biographie de la résurrection
citée plus haut. Et entre-temps, lisez et souriez, vous êtes
chez Mrozek !
Sonia Graf Stawarz
« L’HIVER »
Andrzej Stasiuk
2006 - Les Editions Noir sur Blanc
Traduit du polonais par Maryla Laurent
Illustrations de Kamil Targosz
Avis aux amateurs de petites perles, « L’Hiver »,
le dernier Stasiuk traduit et publié par Les
Editions Noir sur Blanc les comblera !
C’est en véritable orfèvre qu’Andrzej
Stasiuk tisse de très brèves nouvelles : à peine
80 petites pages pour cinq d’entre elles, mais quels détails
pour camper ses personnages et leur environnement en déliquescence,
quelle force descriptive pour évoquer les confins de la
Pologne (ou d’un monde, la Galicie qui lui est si chère),
quelle poésie pour scruter et dire un univers qui s’en
va et un nouveau qui vient, au moment précis où tous
les deux se télescopent, en ce point défini et perdu
d’Europe centrale, aux flancs d’une montagne, le mont
Magura, théâtre de tant d’événements
déjà ! Une montagne-personnage aussi importante
que les Pawel, Mietek ou Grzesiek, ou encore l’Hiver lorsque, « Par
une nuit silencieuse comme celle-ci, on entend vieillir le monde »,
tous héros et spectateurs de leur propre vie de cet opuscule à mettre
entre toutes les mains et dans toutes les poches.
Chacune de ces cinq miniatures est si dense qu’elle fait
défiler dans la tête du lecteur tout un film, un peu à la
mode de Kusturica : ainsi en est-il de celui qui se contente
d’approcher le luxe dans un magasin de meubles sans pouvoir
rien acquérir et qu’une petite Fiat d’occasion
soulagerait des essoufflements matinaux pour aller prendre son
autocar quotidien; ou de celui qui ne verra jamais la Silésie,
même si sa maisonnette s’effrite et rouille, mais qui
sait mieux que ces Messieurs de Vienne comment débusquer
le gibier dans « un monde qui se meurt » ;
ou de celui qui laisse trotter dans son esprit toutes sortes de
réflexions sur toutes ces choses devenues inutiles et qui
finissent au ruisseau : les tracteurs Ursus ou les moissonneuses-batteuses
Vistula, les pièces de vaisselle émaillées,
les roues, les harnais, les faux … Nostalgique ? Oui,
mais, surtout, vrai ! Et savoureux ! Un tout petit livre,
mais un condensé du grand art de Stasiuk
Pour mémoire, Andrzej Stasiuk a publié chez Noir
sur Blanc, « Journal de bord », essai , dans « Mon
Europe », 2004. Et en octobre dernier, au Salon du livre
de Cracovie, ses admirateurs lui ont fait fête : il
venait juste d’empocher le Prix Nike 2005 (sorte de Goncourt
polonais) pour « Jadac do Babadag », un ouvrage
dont on attend impatiemment la traduction française.
Quelques mots enfin sur Kamil Targosz, illustrateur de Stasiuk,
peut-être son parallèle en matière picturale :
né à Cracovie en 1969, il étudie à l’Académie
des Beaux-arts de cette ville, section gravure, il réalise
des affiches, des peintures murales, il expose dans de nombreux
pays, et obtient quelques prix sur la scène internationale.
Sonia Graf Stawarz
« KALEIDOSCOPE FRANCO-POLONAIS »
Ouvrage collectif sous la direction de
Bronislaw Geremek et Marcin Frybes
Editions Noir sur Blanc/Institut Adam Mickiewicz, 2004
Jeu de miroirs, comme l’indique son titre,
publié pour accompagner « Nova Polska – Une
saison polonaise en France », cet ouvrage à entrées
multiples n’a rien perdu de son actualité en 2006.
Car en 290 pages généreusement illustrées
en couleurs et en noir-blanc, les 600 grammes de ce format oblong
si agréable à la main qui le tient, donnent la mesure
des relations franco-polonaises au fil des siècles passés
et présent, dans des domaines aussi variés et complémentaires
que l’histoire et la politique, le cinéma et les beaux-arts,
la musique et la littérature, ou encore dans le domaine
insoupçonné des publications polonaises en France.
Si l’on y retrouve Tadeusz Kantor sous les feux de la rampe
en Avignon, Andrzej Wajda impliqué dans le 7e art hexagonal,
Nadia Boulanger face à ses élèves polonais,
Roland Topor, Slawomir Mrozek « écrivain français »,
la Bibliothèque polonaise de Paris, Adam Mickiewicz au Collège
de France, une noria de peintres du pays de la Vistule à Montparnasse,
le Nobel de littérature Czeslaw Milosz diplomate à Paris,
Maria Leszczynska dans le lit de Louis XV son mari et Maria Walewska
dans celui de Napoléon Ier son amant, on y trouve aussi
des éclairages fort intéressants, grâce à un
certain recul, sur le communisme, vécu en Pologne, théorisé et
idéalisé en France, sur l’immigration polonaise
en France durant le premier tiers du XXe siècle, sur l’élan
de sympathie et de solidarité français envers « Solidarnosc »,
sur l’impact de l’Institut littéraire Kultura
de Maisons-Laffitte et ses brillants animateurs Jerzy Giedroyc,
G. Herling-Grudzinski ou Jozef Czapski, sur la pape Jean Paul II
interrogeant la France lors de son mémorable voyage en 1980,
sur les relations polono-juives et le ressenti de celles-ci en
France, et j’en passe.
On l’aura compris, ce kaléidoscope fonctionne comme
une mini encyclopédie, dispense des savoirs, en rafraîchit
d’autres, rapproche à l’évidence de la
Pologne toute personne un peu, beaucoup, passionnément intéressée
par ce nouvel entrant dans l’Union européenne. Un
pays qui demeure méconnu ici, qui ne se résume ni
au plombier ni à l’infirmière menaçant
l’emploi en France, mais une Pologne unie à la France
par le passé, et une commune vocation européenne,
quand bien même « Les rapports entre la France
et la Pologne sont pathétiques, aussi bien par la forte
présence des sentiments et émotions que par la persistance
des rancunes et malentendus ». Ainsi Bronislaw Geremek
commence-t-il sa remarquable introduction à cet indispensable
ouvrage, compagnon de découverte pour les uns, outil de
travail facile à consulter et précis dans ses commentaires
pour les autres, toujours à la recherche de ce qui rapproche
et sans jamais tomber dans le piège des clichés.
Sonia Graf Stawarz