Exemple de l’aveuglement de certains intellectuels français envers l’URSS

Démarré par Archives, 18 Novembre 2023 à 17:52:55

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Posté par: Paul (IP Loggée)
Date: 25 octobre, 2009 11:31

Pour information.


Romain Rolland

Pacifiste, il était aussi attiré par ce qui se passait en URSS (il considérait Staline comme le plus grand personnage de son siècle). Il effectua un voyage à Moscou en 1935, à l'invitation de Gorki. Il s'agissait de rencontrer Staline pour essayer d'agir un peu comme un ambassadeur officieux des intellectuels français admirateurs de l'Union soviétique. Il est l'un des fondateurs du mouvement pacifiste Amsterdam-Pleyel dominé par le parti communiste et surtout l'Internationale Communiste.
Son aveuglement à l'époque des procès et des "Grandes Purges" est symptomatique : aucun doute n'apparait sur la "culpabilité" des accusés et des accusés lambda.
Les répercutions négatives parmi les sympathisants et la défense d'amis sont en fait les seuls soucis qui motivent ses lettres.
Quelle naïveté aussi lorsqu'il met sur le compte de la Poste le fait de n'avoir reçu aucune réponse à ses courriers !


Quelques lettres adressées à Staline :


1er octobre 1935

Cher camarade Staline,

J'apprends par une lettre de Boukharine [Nikolaï Boukharine (1888-1938), à partir de 1934 rédacteur en chef du journal Izvestia du Comité exécutif central de l'URSS.] que vous n'auriez pas reçu une lettre de moi, que je vous ai expédiée, recommandée, par avion, le 26 août dernier [La lettre de R. Rolland du 28 août 1935 ne fut pas conservée.]. Voudriez-vous avoir l'obligeance de me faire confirmer ce fait, après recherches dans votre courrier. Je ferais une réclamation à la poste de département. J'ai gardé le récépissé de Montreux .

Je vous demandais, dans cette lettre du 26 août, si vous m'autorisiez à publier en France le texte de notre entretien du 28 juin [R. Rolland rencontra Staline dans son bureau du Kremlin le 28 juin 1935 (Bulletin des Archives du président de la fédération de Russie).], revu par vous, - ou quelles suppressions vous désireriez que je fasse en vue de cette publication. Depuis longtemps, nos amis de Paris me la demandent pour leurs journaux et revues. Vous me rendrez service, en me donnant une réponse, à ce sujet [Rolland ne reçut pas l'autorisation de publier le texte de l'entretien. Ce texte fut publié en 1996 dans le n° 1 des Nouvelles des Archives du président de la fédération de Russie.].
J'espère que votre santé est toujours bonne, et je vous prie de croire à mon cordial souvenir.

Romain Rolland
________________________________________

27 décembre 1935

Cher camarade,

Je profite du passage d'A[rossev] [Alexandre Arossev (1890-1938), écrivain, président de la Société pour des relations culturelles avec l'étranger (BOKC), accompagna R. Rolland lors de son séjour en URSS en juin/juillet 1935. Il servait d'interprète pendant l'entretien avec Staline. Le 16 janvier 1936 il transmit cette lettre à Staline.] pour vous faire remettre ce qui suit. Car je ne suis pas sûr que les lettres que je confie à la poste vous arrivent. Je vous en ai écrit deux, depuis trois mois, sans réponse.

Vous vous souvenez que dans l'entretien que vous avez bien voulu m'accorder, j'avais insisté sur les graves malentendus causés dans l'opinion d'Occident par le manque total d'informations exactes, même parmi les amis de l'URSS, et l'impossibilité pour eux d'obtenir de l'URSS des renseignements précis et sûrs pour répondre aux accusations dont celle-ci est constamment l'objet. Vous aviez reconnu le sérieux de mes observations et la nécessité de remédier au mal. Vous m'aviez dit (je cite textuellement) : « Certainement, si nos amis en Occident sont mal informés des motifs qui dirigent les actes du gouvernement soviétique et s'ils ne savent pas souvent quoi répondre à nos ennemis, cela signifie que nos amis ne savent pas aussi bien s'armer que nos ennemis. Cela signifie aussi que nous n'informons pas et n'armons pas assez nos amis. Nous tâcherons de corriger cela. »

Et plus loin : « II est possible que vous ayez raison. Certainement on pourrait réagir de façon plus énergique contre les bruits absurdes. »
Cher camarade, il s'est passé depuis ces paroles cinq mois. Rien n'a été fait pour « corriger cela » et pour « réagir ». Et le mal a considérablement grossi.

Vous ne pouvez imaginer la quantité et la gravité des questions dont nous, les amis de l'URSS, nous sommes presque journellement assaillis, et qui travaillent l'opinion publique du monde. Ce serait une dangereuse erreur de les sous-estimer et de se persuader que si l'on n'y répond pas, elles tombent dans l'oubli. Rien ne s'oublie, tout s'accumule, et cela finit par former une infection qui ronge les sympathies, même de centaines de gens qui semblaient le plus attirés par l'URSS. J'assiste, depuis six mois, à une désaffection croissante pour l'URSS parmi cette partie des intellectuels français, du corps enseignant, des instituteurs, des petits-bourgeois honnêtes, que nous avions réussi à gagner à la cause de l'URSS. Ils sont inquiets et désorientés parce qu'ils n'obtiennent pas d'explications à beaucoup de questions troublantes et de bruits calomniateurs contre l'URSS. Et nous, qu'ils interrogent anxieusement, nous ne pouvons leur répondre que par notre conviction personnelle - (ce qui est insuffisant pour convaincre les autres) - et non par des renseignements précis et sûrs.

Je ne reviendrai pas sur la question de la publication de mon entretien avec vous. Vous ne m'avez pas répondu à ce sujet ; mais, d'après ce que je crois savoir, vous ne jugez pas cette publication opportune. Je n'insiste pas. Mais si la publication de l'entretien est écartée, il n'en reste pas moins que les questions qu'il avait touchées, restent posées devant l'opinion publique, la tourmentent plus que jamais, et réclament impérieusement une réponse. Que cette réponse soit calculée soigneusement et mitigée, s'il le faut ainsi, mais de toute façon, il faut une réponse qu'on puisse opposer aux accusations et publier.

Je reprendrai ici deux de ces questions tourmentantes, et j'y ajouterai plusieurs autres qui agitent l'opinion.

Prime : en premier lieu, la loi sur le châtiment des enfants à partir de l'âge de douze ans. J'avais prévu l'émotion qu'elle soulèverait en Occident. Cette émotion dépasse mes prévisions. Les bruits les plus atroces sont mis en circulation. J'ai du écrire, en vain, une douzaine de lettres à des amis, pour m'efforcer de les tranquilliser. Leur inquiétude n'a pas été apaisée, et le flot de protestation monte. Les ennemis de l'URSS ont beau jeu. Un prélat très connu et malheureusement estimé, Monseigneur D'Hervilly, fait en Belgique et en France, dans les provinces, une série de conférences où il est allé jusqu'à dire que d'après la loi du 7 avril dernier, les enfants de douze ans étaient condamnés à mort pour « obstination religieuse » ! - II faut répondre. Je ne le puis pas avec termes de notre entretien : on me ferme la bouche. Mais, d'une façon ou de l'autre, que l'on réponde ! Sans dire les vrais motifs de la loi, n'est-il pas bien des moyens d'étouffer de si honteuses calomnies ! Et d'abord, qu'on fasse savoir que (comme vous me l'avez affirmé à la fin de juin) pas un enfant n'avait à cette date été condamné à mort !
Deuxièmement : pour le procès qui a suivi le meurtre de Kirov, je vous disais combien il serait essentiel de faire connaître au public étranger les charges écrasantes qui fait châtier les conjurés. On ne l'a point fait. Le résultat est qu'en Occident s'est répandue l'opinion que, selon les expressions de Léon Trotsky dans un récent article du 31 octobre, paru dans son organe de Paris La Vérité, « on s'est servi de l'affaire Kirov pour anéantir des dizaines de gens, manifestement dévoués à la Révolution, mais qui réprouvaient l'arbitraire et les privilèges de la caste dominante ». On ajoute que les accusations portées contre Zinoviev et Kamenev sont absolument sans fondement. Et Trotsky se fait le promoteur d'une demande de « Commission internationale, au dessus de tout reproche par sa composition, qui serait chargée d'enquêter sur les arrestations, procès, fusillades, déportations, en liaison avec l'affaire Kirov ». Trotsky, qui me prend à partie dans cet article, intitulé : « Romain Rolland remplit sa mission », me somme d'accepter cette proposition [[N.B. : Dans une lettre-circulaire de Nathalie Trotski en date du 1er juin, on demandait que « Romain Rolland, André Gide, Bernard Shaw et d'autres amis de l'Union soviétique prissent sur eux l'initiative de créer une telle Commission, d'accord avec le gouvernement soviétique » RR].] et pensant que je m'y refuserai, insinue que mon refus sera la preuve de la peur que les amis du régime soviétique ont de faire la lumière sur cette affaire.

Troisièmement : (autres questions) : Je reçois de Tel-Aviv une lettre signée d'un écrivain Israélite, qui se dit révolutionnaire et admirateur de l'URSS, et qui lutte en Palestine contre la classe bourgeoise israélite, mais qui s'indigne contre un prétendu antisémitisme régnant en URSS et se traduisant par des reprécutions [sans doute répression N.d.l.R.] contre « les Juifs qui veulent parler leur langue ! » Cette langue hébraïque [Il s'agit non pas de l'hébreu mais du yiddish, langue parlée par les Juifs d'Europe centrale et en Russie [N.d.l.R.].] serait décrétée par le gouvernement « contre-révolutionnaire » et pour cette raison, prohibée. J'ai entendu la même plainte de la part de jeunes juifs en Suisse.

Quatrièmement : Barthélémy de Ligt, l'antibelliciste hollandais connu, qui jouit d'un grand public international, m'a adressé une lettre ouverte où il parle de persécutions atroces contre les Doukhobors [Les Doukhobors (du russe Dukhobortsi, « lutteurs de l'esprit ») sont membres d'un groupe de chrétiens fondamentalistes né en Russie au XVIIe siècle, adepte de la non-violence et d'un socialisme agraire. Plusieurs milliers d'entre eux ont émigré au Canada à la fin du XIXe siècle [N.d.l.R.].], soi-disant innocents de toute action antisoviétique, et simplement poursuivis pour leurs convictions religieuses et leur refus de service militaire. (J'imagine que si des villages de Doukhobors ont été exilés, ce doit être plutôt pour activité antisoviétique, résistance et sabotage à la politique agraire, mais je n'ai pas de faits précis pour répondre).

Cinquièmement : je reçois des lettres d'antifascistes italiens, se répandant en clameurs d'indignation, parce que, prétendent-ils, le gouvernement soviétique aurait livré un de leurs compagnons antifascistes, Pétrini, à la police mussolinienne.

Sixièmement : on ressort de l'oubli un ancien procès qui aurait eu lieu à Moscou contre des prêtres polonais, dont un évêque, qui a été fusillé ; et les journaux répètent que ce fut amplement parce qu'il « croyait en Dieu » ! Il m'est évident que c'est absurde ; mais il faudrait pouvoir répondre par les vraies raisons de cette condamnation, qui sous la forme où elle est présentée, indigne même des libres-penseurs.

Septièmement : on ressort aussi de sa fosse Makhno [Nestor Makhno (1889-1934), anarchiste ukrainien qui combattit les bolcheviks après avoir contribué à la défaite des armées blanches. Ses troupes étaient connues pour se livrer à de sanglants pogroms, mais Makhno lui-même a affirmé plusieurs fois combattre tout antisémitisme. Émigré en France, il meurt en 1934 [N.d.l.R.].] ; et depuis sa mort, une quantité de journaux, non seulement anarchistes, mais de lutte contre la guerre, d'objecteurs de conscience, même de tendances religieuses libres (comme le Journal de Marc Sangnier, qui est catholique antifasciste, très énergique dans le combat contre Mussolini et contre Hitler) vont répétant que Makhno était un héros, presque un saint, qui se sacrifiait pour le peuple, qui jamais n'a provoqué de pogromes, ni professé d'antisémitisme, mais qui était la victime des calomnies des bolcheviks. - J'ai demandé à plusieurs reprises à Moscou des documents sur Makhno (livres, brochures, etc.) ; je n'ai rien reçu. Huitièmement : la femme de Trotsky lance de tous côtés des lettres circulaires, au sujet de son fils Serge, professeur dans une école technique de Moscou, qui vient d'être arrêté ainsi que sa femme. Elle proteste qu'ils sont absolument innocents, et que leur condamnation est un acte de vengeance contre leur père. Il faudrait encore ici pouvoir répondre par des faits.
J'arrête ici la liste de questions, qui me sont posées. Il en arrivera d'autres. Il faudrait pouvoir y répondre au fur et à mesure : car je le répète, elles font un mal extrême. Je vois quantité de braves gens, qui se détournent de l'action commune pour la défense de l'URSS et qui se rallient aux groupements divers, de plus en plus nombreux, qui, tout en combattant la réaction fasciste, attaquent en même temps la politique de l'URSS. Je reçois nombre journaux de cette tendance (il s'en fonde sans cesse de nouveaux) ; et j'ai le regret d'y voir les noms d'amis que j'estime et que je sais sincèrement révolutionnaires de cœur. Des couches très larges d'instituteurs, et par eux, de fils d'ouvriers, sont touchés par ces plaintes et ces accusations. Et, de l'autre côté des mers, les journaux des États-Unis et de l'Amérique de Sud presque entièrement gagnés à l'opposition anarchiste ou trotskyste, font un bruyant écho à ces nouvelles. - Il serait inconcevable qu'on laissât faire, sans réagir énergiquement.

Cher camarade, je ne demande pas être renseigné et informé personnellement. Il ne s'agit pas de moi ; et d'ailleurs, je suis trop âgé et éloigné de Paris, pour pouvoir assumer le rôle de centre d'informations. Mais ce centre d'informations reçues de l'URSS doit exister, doit être fondé, à Paris, en sorte que tous les amis actifs de l'URSS (et moi parmi eux) puissent y puiser et s'y armer, pour répondre par des faits aux attaques inlassables contre l'URSS. Les ennemis de l'URSS sont incomparablement mieux organisés et mieux armés. Ils sont munis d'informations de toutes sources, ils ont une presse nombreuse, des écrivains de valeur, mille moyens d'agir. Nous, vos amis, nous sommes complètement livrés. On ne répond pas de chez vous à nos appels. Les plus dévoués finissent par se lasser et par laisser atteindre par le découragement. Je ne citerai pas ici de noms ; mais je le pourrais, et parmi les meilleurs amis de l'URSS. Je vous presse instamment d'agir dans le sens même que vous avez dit que j'ai rappelé au début de cette lettre : « Nous n'informons pas et n'armons pas assez nos amis, m'avez-vous dit. Nous tâcherons de corriger cela. » Informez-les donc et armez-les ! Il faut fonder à Paris un centre permanent d'informations.

Romain Rolland
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Villeneuve (Vaud), villa Olga, 18 mars l937

Cher camarade Staline,

Une fois encore, je m'adresse à vous, usant de la permission que vous m'avez donnée, quand j'ai pu vous parler, il y a deux ans.

À la veille du procès contre Boukharine [Nikolaï Boukharine avait été arrêté le 27 février 1937. Son procès et celui du « Bloc des droitiers et des trotskistes antisoviétiques » dura du 2 au 3 mars 1938. Condamné à mort et exécuté, il a été réhabilité en février 1988 [N.d.l.R.].], et sans aucunement contester les charges amassées contre lui, je fais appel à votre haut esprit d'humanité et de compréhension des intérêts supérieurs de l'URSS.

Une intelligence de l'ordre de celle de Boukharine est une richesse pour son pays ; elle peut et doit être conservée, pour le profit des sciences et de la pensée soviétiques. Si elle a pu faillir d'une façon coupable, par le fait de détestables idéologies, il faut châtier ces idéologies, mais épargner l'homme de valeur scientifique, égaré par elles, qui, le reconnaissant et le regrettant, pourra aider à les démasquer et à les combattre énergiquement.

Depuis un siècle et demi que le Tribunal révolutionnaire de Paris condamna à mort le génial chimiste Lavoisier, nous avons toujours en France, nous les plus ardents Révolutionnaires, les plus fidèles au souvenir de Robespierre et du grand Comité du salut public, un amer regret et un remords de cette exécution.

Permettez-moi aussi d'évoquer une mémoire qui nous est chère à tous les deux : celle de notre commun ami Maxime Gorki. J'ai souvent vu chez lui Boukharine, j'ai vu l'affectueuse amitié qui les liait. Que ce souvenir puisse sauver Boukharine ! Au nom de Gorki, je vous demande sa grâce. Quelque coupable qu'il ait pu être, un tel homme n'est pas de l'espèce de ceux du procès précédent [Allusion ici au procès de Zinoviev et Kamenev, deux dirigeants historiques du PCb de l'URSS, accusé d'activités « antisoviétiques et trotskistes », condamnés à mort et exécutés en 1936, réhabilités en 1988 [N.d.l.R.].]. Il pourra faire encore honneur à la pensée soviétique, et témoigner dans l'histoire de votre esprit de magnanimité.

Je vous prie de croire, cher camarade Staline, à mon sincère dévouement.
Romain Rolland
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4 août 1937

Cher camarade Staline,

J'apprends par les journaux l'arrestation d'Alexandre Aroseff et de sa femme. Naturellement, je n'ai aucun moyen d'en connaître les raisons, et je ne me permets pas de les apprécier. Mais je tiens à vous dire ceci : depuis plusieurs années que j'ai eu avec Aroseff des entretiens fréquents et des lettres, il m'a toujours témoigné à votre égard une fidélité et un attachement absolus. Pas un seul mot de réticence ou de réserve. Il parlait de vous, avec affection et avec fierté. Or, vous savez que Aroseff n'est pas homme à pouvoir cacher ses sentiments, pour ou contre.

J'ajoute que je viens de recevoir une lettre anxieuse de la mère de sa femme, Thera Freund, de Prague, qui n'a pu obtenir aucune nouvelle de sa fille et de son gendre. Elle met en garde contre l'imputation qui aurait pu être faite de relations épistolaires entre Aroseff et le fils de Thera Freund, qui est, paraît-il, un écrivain marxiste oppositionnel, mais, assure-t-elle, ennemi déclaré du trotzkisme, contre lequel il a publié beaucoup d'ouvrages. Elle assure que Aroseff était en mauvais termes avec lui, et qu'il ne lui écrivait jamais.
Permettez-moi, en terminant, d'attirer votre attention sur les enfants d'Aroseff, dont l'un a seulement trois ans, et qui sont sans parents, à Moscou. Aroseff et sa femme sont, tous les deux, atteints de maladies de cœur. Ayez la bonté de leur faire savoir qu'on s'occupe de leurs enfants.

Croyez, cher camarade Staline, à mon fidèle dévouement.

Romain Rolland
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Villeneuve (Vaud), villa Olga, 16 septembre 1937

Cher camarade Staline,

Je vous ai plusieurs fois écrit, ces mois derniers, mais c'était au sujet d'hommes plus ou moins mêlés au mouvement politique et qui n'avaient avec moi aucune intimité.

Aujourd'hui, c'est au sujet d'un ami, que j'estime et que j'aime : le docteur Oscar Hartoch [Oskar Hartokh (1881-1942), microbiologiste, immunologue et épidémiologiste, très célèbre pour ses recherches parmi ses collègues européens. Arrêté le 2 août 1937, il fut libéré le 20 mai 1938, grâce à l'intervention de Romain Rolland auprès de Staline, mais aussi d'autres personnalités soviétiques. Arrêté à nouveau le 31 mai 1941 à Leningrad comme « agent allemand », il sera exécuté le 25 décembre 1942, en plein siège de la ville. Réhabilité en 1956 [N.d.l.R.].] de l'Institut de médecine expérimentale à Leningrad. Il a été arrêté, au début d'août, sous le chef, m'a-t-on dit, d'« agitation et propagande ». Rien n'est plus éloigné de son caractère. Il est un homme uniquement absorbé par ses travaux et par ses tâches scientifiques (fort importantes, particulièrement dans le champ de l'épidémiologie), il a toujours vécu retiré de toute agitation politique, modeste, timide, maladif ; et cet isolement s'est encore accentué depuis la mort de sa femme, qui l'a accablé, il y a trois ou quatre ans. Il vivait à l'écart avec une sœur, venue de Suisse, de nationalité allemande, qui veillait sur sa santé. Je connais la sœur et le frère, depuis vingt ans ; j'ai pour eux une amitié fraternelle : je garantis la loyauté et le désintéressement absolus du docteur Oscar Hartoch [Romain Rolland écrit ici la note suivante : « Voici un trait de ce désintéressement : il y a une douzaine d'années, quand la situation en URSS était encore des plus gênées, le docteur Hartoch, qui avait obtenu de faire en Allemagne et en Suisse un voyage de quelques semaines, reçut d'Allemagne une offre d'emploi scientifique très avantageuse et honorifique. Il la refusa pour retourner en URSS et rester à son poste. J'ai été témoin de l'offre insistante et du refus » [N.d.l.R.].].

Il y a déjà une huitaine d'années, il avait été arrêté avec beaucoup d'autres médecins, dans une affaire des bactériologues. Mais on avait vite établi son innocence, et il avait été relâché. Je ne doute point qu'il n'en soit de même, encore cette fois. Mais il est à redouter que la santé très atteinte du docteur Hartoch n'ait beaucoup à souffrir d'une détention prolongée, sans parler des nombreux services médicaux qu'il dirige et que son absence risque de laisser désorganisés. Permettez-moi, cher camarade Staline, de vous demander d'intervenir, d'un mot, pour que l'enquête au sujet du docteur Hartoch soit hâtée et qu'il puisse, comme j'en suis convaincu, démontrer l'inanité de l'inculpation qui pèse sur lui.

Veuillez croire à mon fidèle dévouement.

Romain Rolland.

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Posté par: Stéphane (IP Loggée)
Date: 25 octobre, 2009 13:56

Je trouve cette présentation un peu réductrice, il faut se remettre dans le contexte de l'époque. Ces lettres date de 35 et 37.

Romain Rolland c'est avant tout un pacifiste. Comme plein d'intellectuels de l'époque et compte tenu de la monté du fascisme en Europe, il pense que le communisme est la solution aux problèmes.
Romain Rolland est mort en 1944. Il n'a pas connu la suite. Il faudrait étudier les dernières années de sa vie (période 39/44) pour se faire une opinion plus précise de son évolution.
Beaucoup de ces intellectuels ont claqué la porte du communisme à la sortie de la guerre

Archives

Posté par: Paul (IP Loggée)
Date: 25 octobre, 2009 15:59

Stéphane a écrit:
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> Je trouve cette présentation un peu réductrice,
> il faut se remettre dans le contexte de l'époque.
> Ces lettres date de 35 et 37.


Bien sur que c'est réducteur. Mais à l'époque, les prises de positions étaient tranchées et c'était surtout les pros et les antis qui tenaient le haut du pavé. Ceux qui voulaient conserver un esprit critique envers les idées d'extrême droite et d'extrême gauche étaient plutôt rares ... ou se taisaient.

Romain Rolland, en acceptant de jouer le rôle de porte parole officieux des « défenseurs de l'Union soviétique » auprès de Moscou mais aussi en rapportant les points de vue officiels, avait nettement pris parti.

Ses contacts avec les futurs communistes russes, Lénine en particulier, dataient d'avant le coup d'Etat de 1917 et il « collaborait » avec la troisième internationale bien que n'appartenant à aucun parti.

Il fut pourtant un « compagnon de route » des communistes et soutint ouvertement le régime soviétique à partir de 1927. Son voyage à Moscou en 1935 et sa rencontre avec Staline l'a profondément marqué.
Il se maria avec une princesse russe, Maria Pavlova Koudatchova, qui fut successivement sa secrétaire, sa maîtresse, son épouse puis sa veuve. Il n'en pouvait rien, mais il était bien entouré car cette femme faisait partie des « Dames du Kremlin », c-à-d qu'elle était agent des services secrets soviétiques.
> Romain Rolland c'est avant tout un pacifiste.
> Comme plein d'intellectuels de l'époque et compte
> tenu de la monté du fascisme en Europe, il pense
> que le communisme est la solution aux problèmes.


Ce qu'on peut lui reprocher, c'est son aveuglement. D'autres intellectuels, comme Gide, ont fait machine arrière. Si Romain Rolland s'est rendu compte de son erreur, il n'en a jamais rien dit. Il s'est réfugié dans le silence de 1939 jusqu'à sa mort. On peut supposer que l'alliance de l'extrême gauche et de l'extrême droite rendue publique par le Pacte germano-soviétique fut un choc pour lui, mais on ne peut que supposer.
La correspondance qu'il entretint avec nombre d'intellectuels jusqu'en 1944 pourrait lever le voile. On ne connait que "L'indépendance de l'esprit" qui reprend sa correspondance avec Jean Guéhenno de 1919 à 1944.




> Romain Rolland est mort en 1944. Il n'a pas connu
> la suite. Il faudrait étudier les dernières
> années de sa vie (période 39/44) pour se faire
> une opinion plus précise de son évolution.
> Beaucoup de ces intellectuels ont claqué la porte
> du communisme à la sortie de la guerre


C'est vrai, mais le mal était fait auprès de leurs disciples et de ceux qui les lisaient. D'autres ont pris même plusieurs années pour s'en remettre. Les révisions sont toujours déchirantes !

Ce manque de discernement m'a toujours étonné ... même en tenant compte de l'état d'esprit de l'époque qui était plutôt manichéen. Beaucoup de gens qui se basaient sur leur simple bon sens plutôt que les grandes envolées de l'esprit ont souvent eut beaucoup plus de jugeote.

On croit trop souvent que les méfaits du communisme n'ont été « découverts » qu'à partir de 1956, avec le rapport Khrouchtchev, ou alors en 1968, ou avec la publication de "l'Archipel du Goulag" de Soljenitsyne, voire avec la chute du communiste.

Cela est pourtant faux. Dès l'entre deux guerre, de nombreux livres souvent écrits par des dissidents ont paru qui dénonçaient l'Etat policier qui régnait en URSS, les camps, les déportations, la terreur journalière .... Les journalistes n'étaient pas en reste et de nombreux articles ont paru sur ce sujet non seulement dans la presse du centre et de droite française mais aussi dans des journaux pluralistes suisses, américains, britanniques....

Ces livres et articles furent systématiquement et sans examen accueillis par les intellectuels de gauche comme autant de mensonges. Staline était devenu un dieu « qui ne pouvait se tromper » et qui ne pouvait agir que pour le bien du peuple.
Plus près de nous, il y eut l'affaire Kravtchenko du nom de l'auteur de « J'ai choisi la liberté » dont le procès contre les « Lettres française », journal proche du PCF, eut lieu à Paris en janvier 1949. On a peine à imaginer les passions et la somme de mauvaise foi et de bassesses qui furent produites au cours des audiences. Malgré la condamnation des « Lettres Françaises », les intellectuels prosoviétiques ne furent guère ébranlés à cette époque.

Archives

Posté par: Stéphane (IP Loggée)
Date: 25 octobre, 2009 18:46

Paul a écrit:
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>
> Bien sur que c'est réducteur. Mais à
> l'époque, les prises de positions étaient
> tranchées et c'était surtout les pros et les
> antis qui tenaient le haut du pavé. Ceux qui
> voulaient conserver un esprit critique envers les
> idées d'extrême droite et d'extrême gauche
> étaient plutôt rares ... ou se taisaient.

A l'époque, c'était relativement difficile d'être critique vis à vis de la gauche et vis à vis du communisme. Personne ne connaissait encore réellement les dégâts.
La France sortait de l'affaire Dreyfus et d'une guerre. Il y avait de quoi se poser beaucoup de questions ....

Pour ma part, je reste persuadé que si Romain Rolland avait connu l'après guerre, il aurait fait comme les autres, il aurait pris ses distances avec le communisme

Archives

Posté par: Paul (IP Loggée)
Date: 25 octobre, 2009 19:26

Stéphane a écrit:
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> A l'époque, c'était relativement difficile
> d'être critique vis à vis de la gauche et vis à
> vis du communisme. Personne ne connaissait encore
> réellement les dégâts.


S'il avait lu les articles et les livres parus dans l'entre deux guerre ...

Mais si, il les a lu ! Ses lettres à Staline en font foi, mais c'est pour se désoler que les "antisoviétiques étaient mieux armés car mieux informés que lui !"
Seul les sourds et les aveugles ignoraient les famines, les déportations, les massacres, les "lois" d'exceptions ou les exécutions sommaires d'après la guerre civile. Tout cela était dénoncé avec force, et particulièrement en Suisse où il a résidé de 1914 à 1937.
Pas le moindre doute ne l'effleure : il n'a que des certitudes que rien ne peut ébranler, pas même les arrestations de ses amis.

Il est certain que sa princesse secrétaire/maîtresse/épouse était bien membre des services secrets soviétiques. Dans quelle mesure joua-t-elle un rôle dans les choix de son amant/mari ? Il semble que la question contient la réponse mais peut-être n'a-t-elle fait que renforcer et diriger "correctement" des convictions latentes.
Avec moins de preuves, certains affirment le même rôle joué par Elza Triolet auprès d'Aragon.

Ajoutons qu'en 1917, Romain Rolland a publié le livre "Salut à la révolution russe" qui marque au minimum une certaine attirance ... et c'est parce qu'il voulait rester 'au-dessus de la mêlée' (?) qu'il refusa l'invitation de Lénine, alors en Suisse, pour l'accompagner en Russie dans son 'wagon plombé' dès avant sa prise de pouvoir. De plus, sa collaboration avec l'Internationale Communiste débute en 1920 par le biais de rencontres d'intellectuels.



> La France sortait de l'affaire Dreyfus et d'une
> guerre. Il y avait de quoi se poser beaucoup de
> questions ....
>
> Pour ma part, je reste persuadé que si Romain
> Rolland avait connu l'après guerre, il aurait
> fait comme les autres, il aurait pris ses
> distances avec le communisme


Peut-être que oui, peut-être que non. Et après combien de temps ?
Aragon n'a, lui, pas bougé d'un millimètre alors qu'il était proche du sérail et donc au courant de ce qui se passait.

Archives

Date: 25 octobre, 2009 19:56

Paul a écrit:
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> S'il avait lu les articles et les livres parus
> dans l'entre deux guerre ...

Autre époque !!!! Aujourd'hui, on regarde la télé et la vérité sort de la boite. Avant guerre, il fallait combien de temps pour se rendre compte de la vérité ?
Un article dans un journal est-il synonyme de vérité ? Aujourd'hui, pn passe parfois des jours à se demander qui fait quoi alors à l'époque ?


>
> Mais si, il les a lu ! Ses lettres à Staline en
> font foi, mais c'est pour se désoler que les
> "antisoviétiques étaient mieux armés car mieux
> informés que lui !"


Bien sûr qu'il devait savoir certaines choses. Mais on ne peut pas reprocher à un intellectuel de réfléchir.


> Seul les sourds et les aveugles ignoraient les
> famines, les déportations, les massacres, les
> "lois" d'exceptions ou les exécutions sommaires
> d'après la guerre civile.


Là, il ne faut quand même pas exagérer. Ce n'est pas parce que nous, on sait en 2009 que tout le monde savait en 1930



Tout cela était
> dénoncé avec force, et particulièrement en
> Suisse où il a résidé de 1914 à 1937.
Dénoncé par qui ?




> Avec moins de preuves, certains affirment le même
> rôle joué par Elza Triolet auprès d'Aragon.

Non, on ne peut comparer, c'est quand même un autre niveau et une autre époque.La barrière, c'est la guerre et l'après guerre. Romain Rolland a du se poser beaucoup de questions pendant la guerre et n'a pas connu la fin.
En plus et sauf erreur de ma part, il n'a jamais fait parti du PCF ni d'aucun parti politique

Archives

Posté par: Paul (IP Loggée)
Date: 25 octobre, 2009 22:15

Stéphane a écrit:
-------------------------------------------------------
> Un article dans un journal est-il synonyme de
> vérité ? Aujourd'hui, pn passe parfois des jours
> à se demander qui fait quoi alors à l'époque ?


Mais lorsque plusieurs articles paraissent pendant des années en relatant le même genre de faits dans des journaux et des pays différents, on peut au moins s'interroger.




> > Tout cela était
> > dénoncé avec force, et particulièrement en
> > Suisse où il a résidé de 1914 à 1937.
>
>
> Dénoncé par qui ?


Pour les années 1932-33, voici quelques extraits d'articles parus dans Le Journal de Genève, Le Citoyen (Genève), La Tribune de Genève, Le Peuple Genevois.
Le Travail (journal socialiste mais alors sous-marin communiste) et le Drapeau Rouge (communiste) ne manquaient pas de chanter les louanges du paradis des travailleurs y compris en annonçant triomphalement (en 1935 !!!) la fin des tickets de rationnement comme une grande victoire du peuple soviétique !

[www.hiboox.fr]
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[www.hiboox.fr]
[www.hiboox.fr]
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Les Archives du CICR : [www.fonjallaz.net]

La Géorgie, un peuple qui ne veut pas mourir : [www.fonjallaz.net]

La «Grande Terreur» en URSS (1937-38) : [www.fonjallaz.net]




> Romain Rolland
> a du se poser beaucoup de questions pendant la
> guerre et n'a pas connu la fin.

On n'en sait rien ... ou alors, sa veuve a fait le ménage dans ses affaires.




> En plus et sauf erreur de ma part, il n'a jamais
> fait parti du PCF ni d'aucun parti politique


Exact.

Ce n'était d'ailleurs pas recommandé pour ceux qui ne devaient pas apparaître ouvertement comme des soutiens de l'URSS. Tous les « compagnons de route » ne pouvaient adhérer à un quelconque parti communiste ou alors en secret.
Malraux, compagnon de route notoire pendant l'entre deux guerre, se vit refuser l'adhésion au Parti.

André Ullmann, « agent d'influence » (c-à-d agent chargé de la désinformation) pour les services de renseignements soviétiques et polonais de l'après seconde guerre, était membre secret du PCF ! Il devint rédacteur en chef de l'hebdomadaire « La tribune des Nations » (« Ecole » pour le KGB ) qui était distribué dans tous les ministères, aux principaux décideurs et dans les ambassades.
Il a même un square qui porte son nom dans le 17e arrondissement de Paris !

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Posté par: Paul (IP Loggée)
Date: 25 octobre, 2009 23:04

Un petit plus :

Que faut-il penser de l'auteur de cet article destiné et paru dans l'Humanité du 18 janvier 1937 ? [www.gidiana.net]

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Posté par: Stéphane (IP Loggée)
Date: 25 octobre, 2009 23:51

Le problème est de savoir si Romain Rolland lisait la Tribune de Genève et s'il avait eu connaissance de tous les documents que l'on peut consulter maintenant sur le net. Personnellement j'ai des doutes.

Que des pacifistes, des intellectuels en France se soient tourné du côté de Moscou et du communisme entre les deux guerres n'a rien de choquant si l'on se replace dans le contexte de l'époque.

Cela devient problématique au début de la guerre et à la sortie de la guerre.

Or Romain Rolland est devenu silencieux dès le début de la guerre se qui peut quand même nous interpeler, surtout après 41.

Concernant cette période d'entre les deux guerres, les pacifistes français militaient pour ne plus avoir de guerre. Le pacifisme mène à tout, même à la collaboration (et à l'extrême droite pour certains.)

A cette période, il devait être difficile de se situer.

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Posté par: Stéphane (IP Loggée)
Date: 25 octobre, 2009 23:58

Paul a écrit:
-------------------------------------------------------
> Un petit plus :
>
> Que faut-il penser de l'auteur de cet article
> destiné et paru dans l'Humanité du 18 janvier
> 1937 ?
> [www.gidiana.net]
> 5.pdf


Nous sommes en 1937. Peut-on juger et condamner un homme qui pense sincèrement que demain, l'avenir sera meilleurs et que la paix sera là ?

Le 10 mai 1981 en France, combien de millions de personnes ont pensé que leur avenir aller changer et qu'il allait être meilleur ?

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Posté par: Paul (IP Loggée)
Date: 26 octobre, 2009 00:38

Stéphane a écrit:
-------------------------------------------------------
> Le problème est de savoir si Romain Rolland
> lisait la Tribune de Genève et s'il avait eu
> connaissance de tous les documents que l'on peut
> consulter maintenant sur le net. Personnellement
> j'ai des doutes.


Il lisait certainement la presse suisse et française puisqu'il se plaignait de ne pas disposer d'informations pour réfuter les "attaques" bien informées des anticommunistes.



> Que des pacifistes, des intellectuels en France se
> soient tourné du côté de Moscou et du
> communisme entre les deux guerres n'a rien de
> choquant si l'on se replace dans le contexte de
> l'époque.


La politique de l'URSS ne s'était alors jamais orientée vers le pacifisme, cela aurait été contraire à la doctrine de la révolution.
Mais les choses ont changé lorsqu'elle a ressentit une menace militaire (Guerre Froide) ...

D'ailleurs Romain Rolland a rompu avec le "rollandisme" en 1931 lorsqu'il s'est engagé "dans l'armée de la Révolution" (sic), selon ses propres dires.

C'est aussi à cette époque qu'il rompt avec son ami Panaït Istrati, également compagnon de route du communisme, lorsque ce dernier écrit après un voyage en URSS et publie en 1929, malgré les "conseils" de son ami et 7 ans avant Gide, une trilogie, Vers l'autre flamme, dénonçant l'arbitraire du monde communiste.



> Cela devient problématique au début de la guerre
> et à la sortie de la guerre.
>
> Or Romain Rolland est devenu silencieux dès le
> début de la guerre se qui peut quand même nous
> interpeler, surtout après 41.


Il semble que le pacte Molotov-Ribbentrop l'ait particulièrement perturbé au point de renoncer à toute action politique ... qu'il ne pouvait de toute façon plus mener à cause de l'occupation.




> Concernant cette période d'entre les deux
> guerres, les pacifistes français militaient pour
> ne plus avoir de guerre. Le pacifisme mène à
> tout, même à la collaboration (et à l'extrême
> droite pour certains.)


Le pacifisme était surtout financé à cette époque par des pays comme l'Italie et l'Allemagne, de préférence aux partis ou mouvements affichés d'extrême droite. C'était moins voyant et servait davantage les intérêts de ces pays. Il suffisait de placer à sa tête des "idiots utiles" aussi sincères que naïfs et de laisser les décisions aux mains des sympathisants du fascisme ou du nazisme.



> A cette période, il devait être difficile de se situer.


Sans doute, mais nous avons ici affaire à des intellectuels de haut vol et non pas à des individus lambda peu informé et a priori, manquant d'esprit critique.

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Posté par: Paul (IP Loggée)
Date: 26 octobre, 2009 00:49

Stéphane a écrit:
-------------------------------------------------------
> Nous sommes en 1937. Peut-on juger et condamner un
> homme qui pense sincèrement que demain, l'avenir
> sera meilleurs et que la paix sera là ?


Il faisait en tout cas partie de ceux qui préféraient qu'on se taise ou que l'on mente plutôt que de faire du tort "au pays défenseur du prolétariat" en dénonçant publiquement ses travers.

Combien de supplications et de ruptures avec ses anciens "amis" (Istrati, Victor Serge ...) qui avaient eut le tort d'ouvrir les yeux et de dénoncer dans des articles ou des livres la vérité nue du système communiste de l'URSS et la dictature de l'intouchable Staline ?



> Le 10 mai 1981 en France, combien de millions de
> personnes ont pensé que leur avenir aller changer
> et qu'il allait être meilleur ?


Sans doute, mais combien d'intellectuels, en principe plus à même d'analyser la situation, se sont également trompés.

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Posté par: Stéphane (IP Loggée)
Date: 26 octobre, 2009 02:05

Romain Rolland était un écrivain, pas un politique donc il n'avait pas de pouvoir décisionnaire.

On va mettre à une même table, 3 grands écrivains.

Romain Rolland, Charles Peguy et Anatole France.

Si tu cherches bien, tu vas trouver quelque chose pour chacun d'eux comme par exemple le Salut aux Soviets d'Anatole France. Et pourtant, une discussion entre ces trois personnages cela devait être quelque chose de fort.

Je dis juste que cette époque était formidable car, il y avait du débat, des idées, des combats et des polémiques.
Chacun a eu sa propre évolution, ses propres doutes. Se ne sont que des écrivains, des humanistes, des pacifistes et surtout des grands hommes. Ils ont tous commis des erreurs de jugement, mais aucun n'a de mort sur la conscience.

On ne peut pas faire payer à des écrivains les crimes des autres. C'est valable pour Romain Rolland, c'est aussi valable Pour Celine

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Posté par: Zefir (IP Loggée)
Date: 26 octobre, 2009 07:06

Paul a écrit:
-------------------------------------------------------
> Stéphane a écrit:
> --------------------------------------------------
> -----
> > A l'époque, c'était relativement difficile
> > d'être critique vis à vis de la gauche et vis
> à
> > vis du communisme. Personne ne connaissait
> encore
> > réellement les dégâts.
>
>
> S'il avait lu les articles et les livres parus
> dans l'entre deux guerre ...
>
> Mais si, il les a lu ! Ses lettres à Staline en
> font foi, mais c'est pour se désoler que les
> "antisoviétiques étaient mieux armés car mieux
> informés que lui !"
> Seul les sourds et les aveugles ignoraient les
> famines, les déportations, les massacres, les
> "lois" d'exceptions ou les exécutions sommaires
> d'après la guerre civile. Tout cela était
> dénoncé avec force, et particulièrement en
> Suisse où il a résidé de 1914 à 1937.
> Pas le moindre doute ne l'effleure : il n'a que
> des certitudes que rien ne peut ébranler, pas
> même les arrestations de ses amis.
>
> Il est certain que sa princesse
> secrétaire/maîtresse/épouse était bien membre
> des services secrets soviétiques. Dans quelle
> mesure joua-t-elle un rôle dans les choix de son
> amant/mari ? Il semble que la question contient la
> réponse mais peut-être n'a-t-elle fait que
> renforcer et diriger "correctement" des
> convictions latentes.
> Avec moins de preuves, certains affirment le même
> rôle joué par Elza Triolet auprès d'Aragon.
>
> Ajoutons qu'en 1917, Romain Rolland a publié le
> livre "Salut à la révolution russe" qui marque
> au minimum une certaine attirance ... et c'est
> parce qu'il voulait rester 'au-dessus de la
> mêlée' (?) qu'il refusa l'invitation de Lénine,
> alors en Suisse, pour l'accompagner en Russie dans
> son 'wagon plombé' dès avant sa prise de
> pouvoir. De plus, sa collaboration avec
> l'Internationale Communiste débute en 1920 par le
> biais de rencontres d'intellectuels.
>
>
>
> > La France sortait de l'affaire Dreyfus et d'une
> > guerre. Il y avait de quoi se poser beaucoup de
> > questions ....
> >
> > Pour ma part, je reste persuadé que si Romain
> > Rolland avait connu l'après guerre, il aurait
> > fait comme les autres, il aurait pris ses
> > distances avec le communisme
>
>
> Peut-être que oui, peut-être que non. Et après
> combien de temps ?
> Aragon n'a, lui, pas bougé d'un millimètre alors
> qu'il était proche du sérail et donc au courant
> de ce qui se passait.

Je reprends, après le plantage rituel.

Le terme "noyade" fut remis en vogue par le charmant Carrier, organisateur de régates facétieuses sur La Loire, "fleuve purificateur" ; il était souvent procédé, pour distraire les passagers, aux "mariages républicains" ; l'ancêtre des mariages express de Las Vegas ...
Quant à "arrière-pensée", de la même époque, c'était le nouveau motif pour traquer et détruire les ennemis du bonheur universel, en instaurant une stratégie du soupçon, maladroitement employée ici par Igor Moleskine.
Voir la Loi des Suspects, qui a laissé une emprinte durable chez nos Fouquier-Tinville au petit pied.