Un épisode méconnu de l’Histoire européenne où la République des Deux Nations s’empara du Kremlin.

Au début du XVIIe siècle, un événement extraordinaire se produit : des troupes polono-lituaniennes occupent Moscou pendant près de deux ans. Ce moment unique dans l’Histoire russe, souvent oublié en Europe de l’Ouest, témoigne de la puissance de la République des Deux Nations à son apogée et de l’habileté militaire de son grand hetman, Stanisław Żółkiewski.

La République des Deux Nations, qui exista de 1569 à 1795, fut un État singulier né de l’union du royaume de Pologne et du grand-duché de Lituanie. Cette fédération offrait aux deux nations une égalité politique et un souverain commun, élu à vie par une Diète conjointe. Chacune conservait cependant ses propres institutions, son armée, son administration, et ses dignitaires.

La République en 1618

Ce modèle, reposant sur une monarchie élective à pouvoirs limités, était dominé par la noblesse (szlachta), seule classe sociale détenant des droits politiques. La République s’étendait alors sur un vaste territoire, englobant les actuels Pologne, Lituanie, Biélorussie, Ukraine, une partie de la Russie occidentale, de la Lettonie et de l’Estonie. Considérée comme l’un des plus puissants États européens de l’époque, elle résista durant des siècles aux assauts des empires voisins : Russie, Empire ottoman, Suède ou Ordre Teutonique.

L’apogée de cette puissance se situe au début du XVIIe siècle. Bien que la République ait échappé à la guerre de Trente Ans (1618-1648), elle dut faire face à d’autres menaces. En 1610, dans un contexte de conflit avec la Russie et la Suède, un épisode exceptionnel va marquer l’histoire : la prise de Moscou par une armée polonaise.

Hetman ZolkiewskiEn septembre 1610, les troupes du grand hetman Stanisław Żółkiewski entrent dans Moscou, qu’elles occuperont jusqu’en 1612. Aucun autre État européen ne parviendra ensuite à un tel exploit, pas même les armées de Napoléon ou d’Hitler. La route de Moscou s’était ouverte quelques semaines plus tôt, après une éclatante victoire dans la plaine de Kluszyn, dans la province de Smolensk.
Depuis plusieurs décennies, l’État moscovite représentait une menace croissante pour le grand-duché de Lituanie, qui avait perdu de nombreux territoires orientaux, dont la forteresse de Smolensk. Sa reconquête devient une priorité pour Sigismond III Vasa, roi de Pologne et grand-duc de Lituanie, surtout après que Moscou conclut une alliance militaire avec la Suède en 1609.
Le 21 septembre de cette même année, Sigismond franchit la frontière russe et atteint Smolensk le 1er octobre. Mal équipées, ses troupes ne parviennent pas à s’emparer de la forteresse, et le siège s’enlise. En mai 1610, l’armée russo-suédoise entame un mouvement de regroupement près de Kalouga. Żółkiewski est alors envoyé à sa rencontre.

Dans la nuit du 3 au 4 juillet, il atteint Kluszyn. En infériorité numérique, l’armée polonaise mise tout sur la tactique et le courage de sa cavalerie d’élite : les hussards ailés. Après plusieurs charges, soutenues par une infanterie efficace, l’ennemi se désorganise. Les Suédois passent en masse du côté polonais, le commandant russe Dmitri Chouïski prend la fuite. La bataille est gagnée

Żółkiewski entre alors à Moscou. Gouverneur habile, diplomate expérimenté, et fin connaisseur de la langue russe, il parvient à maintenir l’ordre et à instaurer une relative stabilité. Les villes tombent les unes après les autres. Les boyards moscovites reconnaissent Ladislas IV Vasa, fils du roi, comme futur tsar. Mais Sigismond III refuse cet accord, car la noblesse russe exige que son fils se convertisse à l’orthodoxie pour monter sur le trône. Le projet échoue.
La garnison polonaise restera encore deux ans au Kremlin avant de se retirer à la fin de l’année 1612. Cette victoire spectaculaire, aussi brève qu’étonnante, marque un sommet dans l’histoire militaire de la République des Deux Nations.

Moscou

Ainsi, tandis qu’Henri IV de Navarre déclarait que Paris valait bien une messe pour devenir roi de France, Sigismond Vasa semble penser que Moscou n’a pas grande valeur.

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