Le doute s’insinuait pourtant : Rosalie ne se dérobait-elle pas, seulement parce que je ne la voyais pas ? Mon crucifiant casse-tête n’était-il en fin de compte … qu’affaire d’optique ? Graviter, à l’infini, autour de toutes les familles GRODZICKI de Pologne et de Lituanie, dans l’espoir d’en décrocher un jour la pauvre étoile susceptible de finir prisonnière du canton de Koźmin, cela pouvait tenir d’ailleurs du rêve, en aucun cas passer pour un programme pratique d’action généalogique,

 

 

Au lieu de « broyer du GRODZICKI », peut-être fallait-il se mettre à « penser Rosalie ». Combien étaient-elles, dans les registres de Koźmin, ces Rosalie, auxquelles je n’avais nullement prêté attention, sous prétexte qu’elles ne portaient pas le bon nom de famille ?

Pourquoi ne pas leur accorder enfin un regard et laisser celle qui, parmi elles, pourrait briguer la qualité d’ancêtre présomptive, nous adresser d’elle-même… un signe de reconnaissance ?

Notre méthode d’approche peut surprendre : oublier (un temps) le nom, et se fier au seul prénom. Il va de soi qu’on ne saurait la recommander en ces pays, et à ces époques, où le patronyme est au dessus de tout soupçon, c’est-à-dire impératif, héréditaire, intangible. Ce qui n’est pas encore absolument le cas de la Pologne de la première moitié du XIXe siècle, du moins pour une part appréciable de la population, principalement rurale, qui vit au plan de l’identité selon des normes coutumières éloignées de toute froideur abstraite.

Sans vouloir ici explorer toutes les modalités d’un système de désignation sans doute séculaire, mais qui vit au siècle passé son chant du cygne, on ne peut pas ne pas évoquer ces cas nombreux, très nombreux, où un individu porte, tantôt un nom, tantôt un autre : cas qui affleurent spontanément au cours d’une lecture même hâtive des documents paroissiaux dès qu’un acte associe deux ou trois noms à l’aide d’un « alias » ou d’un « dictus« , et que la méthode HENRY de reconstitution des familles, qui exige plus de temps et d’efforts, révèle le mieux, en profondeur.

Le propre mari de Rosalie, et après lui leur fils Mathias n’ont-ils pas utilisé plusieurs noms, notamment RZEPKA et ORPEL, ce dont le souvenir a perduré chez les descendants du couple, puisque moi-même né en 1956, je pouvais encore l’entendre conter de la bouche de mon père ? La tradition familiale (orale, mais certainement nourrie de ces documents d’état civil de la fin du XIXe siècle qui enregistraient prudemment, et sèchement, cette pluralité de noms) me fournissait, en somme, la clef du problème, pour peu que je voulusse bien admettre que ce que je croyais au départ une exception possédait un caractère de haute fréquence.

Mais, alors que pour les ORPEL, je disposais d’un fil d’Ariane c’est-à-dire précisément d’équivalences posées par les actes eux mêmes, le malheur voulait que j’en fusse privé dans le cas de Rosalie dénommée de manière univoque GRODZICKA. Par delà ce nom, tenter d’en deviner un autre, c’était un pari sans doute téméraire, mais aussi bien avait-il le mérite de nous affranchir d’un attentisme et d’une passivité stériles.

Victoire … à la Pyrrhus ?