INVITATION AU VOYAGE
Christian Michel ORPEL

L’héroïne à laquelle j’ai choisi de consacrer les pages qui suivent figure au rang des petits, des obscurs et des sans-grade de l’ Histoire ; elle n’a mérité d’être arrachée au silence sépulcral des archives que parce qu’elle compte au nombre de MES ascendants. (Eh oui, généalogique, ça débute forcément égocentrique).

Celui qui aura la patience de s’intéresser au destin et à la famille de Rosalie GRODZICKA sera invité à pénétrer dans le laboratoire où le généalogiste, cousinant ici un peu avec le détective (parce que généalogique, c’est forcément logique et méthodique), collectionne les indices, teste les hypothèses, explore les pistes :j’ai voulu ne rien gommer de la complexité du travail, qui est l’obole exigée et le prix à payer d’une passionnante remontée dans le temps. Au demeurant, si belle soit la destination, où serait le plaisir s’il n’y avait le départ, le trajet et les projets, la route et ses détours, les vagabondages de l’ « itinérance », en un mot la magie du voyage ?

En généalogie aussi, on part pour découvrir, on cherche pour trouver; on finit par « gagner » quelques trophées d’ancêtres supplémentaires mais, en chemin, que n’a-t-on appris, (parce que généalogique, c’est culturel mais forcément ludique), que ne s’est-on enrichi, bien au-delà de l’objectif visé ! Les « résultats » promis, et je l’espère acquis, n’ occuperont de toute façon au final que peu de place .

L’intérêt de cet opuscule, si toutefois le pari est tenu de le rendre intéressant, se voudrait à la fois d’offrir une initiation aux méthodes de la généalogie appliquée au terrain polonais, et de constituer un document de référence gardien et fondateur d’une mémoire familiale : mon ambition s’est située quelque part à la confluence d’un manuel de pratique généalogique et d’une chronique de souvenirs pieux.

Mon honorable lecteur, qu’il soit cousin issu des GRODZICKI ou chasseur d’ancêtres polonais confirmé ou apprenti, ne sera évidemment pas convié à éprouver un sentiment de dépaysement analogue à celui qui saisit le touriste à la vue de je ne sais quels cocotiers insulaires : mais Rosalie qui nous servira de guide dans la Pologne des aïeux nous garantit un voyage à travers des réalités d’un exotisme authentique, comme il sied à un passé, et à un pays, doublement proche et lointain. Ne serait-ce qu’à cause de ces noms et de ces mots indigènes que d’aucuns peineront à chuinter correctement … (et je ne suis pas sûr qu’ils se consoleront d’apprendre que le latin, langue administrative de l’ Eglise, est l’idiome normalement en usage dans les cahiers paroissiaux, qui ont été presque la seule source utilisée pour cette enquête généalogique).

Un cybernaute-sachant-cybernauter de la jeune cybergénération conquérante du Futur formulera peut-être des réserves sur la finalité de cette plongée dans le passé familial, qui n’apporte rien que de la poussière d’ancêtres et qui ne sert donc à rien…

Nul ne songe à s’ensevelir dans ses ancêtres … Mais il en va des familles comme des nations et des individus (et des ordinateurs): la perte de mémoire, c’est un signe annonciateur de la fin.

Branchés sur notre passé commun, nous n’affronterons que mieux les échéances de l’avenir. Une famille solidaire fête ses anniversaires. Aujourd’hui, laissons Rosalie GRODZICKA présider, en fédératrice posthume de notre famille, au renouveau d’une partie de notre mémoire généalogique .

SOMMAIRE

Le petit monde de Rosalie.
Au cœur du casse-tête.
Une identité piégée ?
Victoire à la Pyrrhus ?
Un levier d’Archimède, enfin !
Autour du patriarche de Kaniew
Grodzicki, une résurgence ?
Jalons pour l’histoire des Szyja.
Sous le joug de l’anonymat.
Post Scriptum

Lorsqu’il épousa, en secondes noces, Rosalie GRODZICKA, le lundi 18 mai 1840, André RZEPKA (alias ŁAPKA alias WYDUBA alias ORPEL), se doutait-il que la mariée apportait en dot un beau casse-tête généalogique ?

Evidemment non, personne n’eut le sommeil troublé, et le pernicieux casse-tête fut légué en toute innocence à la postérité, sous réserve que se trouvât parmi celle-ci un inventeur, l’un de ces nécrophages un peu savants, qui semblent préférer l’ancêtre justement quand il est coriace.

Peu ne s’en fallut, d’ailleurs, que la postérité en question ne restât à jamais virtuelle : un seul des trois enfants que Rosalie mit au monde, Mathias, né en 1841, vécut assez longtemps pour procréer à son tour. Auparavant, en 1837, des oeuvres d’un certain Pierre, Rosalie avait accouché d’une fille naturelle, prénommée Marcianne, dont le destin terrestre fut scellé au bout de 16 mois, victime qu’elle fut de la tuberculose. Et cette courte série de grossesses trouva son terme définitif en 1843, quand naquit tragiquement un enfant mort-né.

Ainsi donc, comme le fruit unique des époux RZEPKA-GRODZICKA, Mathias, se trouve être mon arrière-grand-père, me voici nolens volens le légataire-inventeur et l’heureux bénéficiaire … du casse-tête, exemplaire sous bien des aspects de la grandeur et de la misère de la généalogie polonaise.

( Suite ) Le petit monde de Rosalie.