L’identité originelle de la mère de Marcianne, Marianne, n’est malheureusement pas plus clairement accessible que celle de son père Simon. De la lecture de l’acte matrimonial de 1777, il ressort seulement que Marianne a eu, avant Simon, un premier mari.

Faute de nous livrer son nom, Marianne nous réserve une surprise : elle viendrait du village de Kaniew. Assiste qui plus est à la bénédiction nuptiale, en l’église Saint Laurent de Koźmin, au titre de premier témoin, un certain … Valentin scultetus de Kaniew qui semble décidément omniprésent, directement ou indirectement, dans notre recherche sur les origines familiales de Marcianne SZYIA.

De la présence du soltys de Kaniew au mariage de Simon et Marianne, faut-il inférer l’existence d’une relation de parenté avec eux ? On ne saurait échapper à l’impression tenace que les destins des familles KANIEWSKI/GRODZICKI et SZYMCZAK/SZYIA n’ont pas attendu l’aube du XIXe siècle pour se croiser.

Les chemins de Cegielnia mèneraient-ils donc une fois encore à Kaniew ? Marianne, la veuve de Kaniew qu’a épousée Simon, détient sans doute la clé du mystère …

Pour dissiper, ou du moins estomper, le brouillard qui plane sur notre Marianne, il nous faudrait déterminer l’identité de celui qu’elle épousa d’abord. Remontant ensuite vers l’acte de son premier mariage, on pourrait espérer y découvrir un supplément d’information. Mais comment faire pour échapper au fatal silence de nos sources ?

Puisque les remariages succèdent souvent de manière très rapprochée aux obsèques (après un délai de viduité n’excédant pas trois ou quatre semaines, parfois), nous irons rechercher dans les sépultures de l’année le nom des hommes adultes mariés décédés à Kaniew, puis nous verrons ceux qui, parmi eux, avaient une Marianne pour femme … Procédé évidemment fastidieux, vu la grande popularité de ce prénom, mais Kaniew n’est quand même pas si peuplé: vérifions donc!

Verdict négatif , même en élargissant la consultation à plusieurs années antérieures. Allons nous appliquer le procédé à toute la paroisse de Koźmin (où le mariage de 1777 a été célébré, comme on sait, et non à Wielowieś, et en supposant que le premier époux de Marianne y serait décédé) ? Le projet, vertigineux, serait vain : les prétendants de Marianne se bousculeraient et notre choix serait entaché d’arbitraire !

Adoptons, de préférence, un nouvel angle d’attaque. Laissons-nous guider par … Valentin KANIEWSKI en personne.

A Koźmin, de 1750 à 1792 (seule période du XVIIIe siècle pour laquelle le registre des mariages ait été conservé), Valentin n’est venu jouer le rôle de témoin qu’à trois reprises : en 1778, il est là pour son beau-frère Jean MACIEJEWSKI, qui épouse une jeune fille native de Zwiernik, Catherine PATERKOWNA ; en 1774, il seconde un Stéphane SOŁTYSIAK de Kaniew, qui fait bénir son union devant Dieu avec une veuve de Czarny Sad, Marianne PRACOWITA, et en qui il n’est vraiment pas difficile de reconnaître un frère, né comme lui des premières noces de Pierre SOŁTYS (on s’en persuade d’autant mieux qu’un fils de Valentin a été prénommé Stéphane, justement) ; et, en 1777, c’est Marianne notre veuve anonyme et Simon que notre Valentin vient honorer de sa présence: l’idée d’une parenté proche s’impose naturellement.

On aura observé, bien sûr, que Marianne est aussi le prénom de celle qui, par son mariage avec Stéphane, est devenue la belle-sur du sołtys de Kaniew : or, ce couple à peine constitué disparaît du champ d’observation, aucune naissance ne venant trahir son passage ici ou là.

Cette disparition est susceptible a priori d’explications diverses … mais celle que nous serions tenté de retenir, c’est évidemment celle du décès prématuré de Stéphane. Abîmons-nous à nouveau dans la consultation des sépultures, dans une fourchette 1774-1777, paroisse de Wielowieś d’abord, puis paroisse de Koźmin : oui, le 30 juillet 1775, il y a effectivement mention de la mort, à l’âge de 30 ans, d’un Stéphane de Czarny Sad. Anonyme sans doute, ce Stéphane, du moins hors contexte, mais désormais d’une identité aveuglante !

Voilà donc notre Marianne « de Kaniew » assimilée à Marianne « de Czamy Sad » (notons la proximité des deux localités), mais de nouveau, privée de mari, quoique pourvue d’un excellent, mais temporaire beau-frère. Il nous faut maintenant nous enquérir d’un troisième acte de mariage, et auparavant, par la force des choses, passer sur le cadavre d’un préalable époux. Mais ne boudons pas … notre plaisir, nous bénéficions ici d’un luxe insoupçonné : un nom « de famille ». Sans effort, Marianne PRACOWITA nous mène à un Gaspar PRACOWITY, disparu comme Stéphane à 30 ans, le 7 janvier 1773, à Wykowy.

Pracowity est un adjectif, dont le sens correspond exactement au latin « laboriosus« , travailleur. C’est l’un des termes polonais qui servent à distinguer officiellement les ordres de la société ; il se différencie du « sławetny » (famatus) des bourgeois et de l’ « urodzony » (generosus) des nobles. Une majorité de la population du district de Koźmin est bien entendu constituée de tels laboriosi / pracowici. Mais dans le cas du nom propre PRACOWITY, on a affaire à un sobriquet porteur d’une allusion morale ou d’un sens social : il a pu s’appliquer à l’origine à une personne « aimant à travailler », à un « hyperactif  » en somme ; ou encore, à quelqu’un « ayant beaucoup (de terres) à travailler », autrement dit à un riche paysan.

Dans la paroisse de Koźmin, le nom PRACOWITY est très discret . Gaspar lui-même n’a eu aucune postérité . Il a été possible de retrouver son acte de baptême, le 1er janvier 1740 : il est le fils des  » famati  » François et Marianne PRACOWITY . Mais à son mariage, daté du 20 janvier 1772 et célébré à Koźmin, l’anonymat reprend ses droits et nous frustre des renseignements escomptés sur Marianne : Gaspar est présenté comme valet de ferme (famulus), et Marianne comme servante (ancilla). Tous deux sont alors domiciliés à Orla.

En quelques années de 1772 à 1777, Marianne a migré d’Orla à Cegielnia en passant par Wykowy, Czarny Sad et Kaniew : l’instabilité, même dans un mouchoir de poche, est évidente et n’est pas vraiment faite pour nous aider à ressusciter son identité première. Et l’horizon s’élargit encore à d’autres localités si l’on regarde la provenance des témoins de mariage autres que Valentin KANIEWSKI : défilent sous nos yeux, en 1772 d’abord, Michel ORPEL, scultetus de Budy (saluons le frère aîné de notre ancêtre direct à la huitième génération, Jacques) accompagné de Jean JAJOR forestier de Mogielnica (qui sera aussi parrain de Thècle en 1780), puis en 1774 Bonaventure DOBROGOST, de Czarny Sad, mais antérieurement de Kaniew et originaire de Wałków, et enfin en 1777, Sébastien inquilinus de Orla. L’un ou l’autre a sans doute quelque titre à se dire parent de Marianne, ou de l’un de ses conjoints successifs, Gaspar, Stéphane et Simon. Mais en l’état de notre documentation, l’opacité de ces liens de parenté et l’anonymat de Marianne demeurent entiers.

Un inventaire du domaine de Koźmin, réalisé en 1773 à la demande de ses propriétaires (Elisabeth née BRANICKA et son fils Casimir SAPIEHA), peut aider en revanche à dévoiler la logique des changements réitérés de domicile que nous avons constatés. Dans les conditions économiques et techniques de l’époque, l’immense domaine ne pouvait évidemment fonctionner à la façon d’un moderne sovkhoze, et l’inventaire indique que les terres de la réserve seigneuriale se trouvaient fractionnées en cinq unités d’exploitation ou « folwarki« . La mise en valeur de chaque folwark (praedium) ne reposait que partiellement sur les corvées dues par les paysans dépendants (les « kmiecie« , cmetones), ces serfs qui cultivaient en même temps la terre de la tenure héréditaire qui leur était concédée en contrepartie. Le folwark ne pouvait se passer d’une abondante main d’uvre d’ouvriers laboureurs (« rataje« , coloni), de valets (« parobcy« , famuli), de palefreniers (« fornale », aurigae), de servantes (« służące, dziewki« , ancillae) : ces salariés étaient généralement prélevés dans les villages des environs, chez les enfants de paysans avec ou sans terre. Au bout de quelques années de service, l’heure venait de se fixer, le plus souvent ailleurs que dans le village centre du folwark, et selon le cas, l’ancien famulus aulicus entamait une vie d’inquilinus ou de cmeto, voire de scultetus.

Les cinq folwarki du domaine de Koźmin étaient basés à Obra, à Lipowiec (dont relevaient Wałków et Borzęcice), à Czarny Sad (incluant Kaniew), à Wykowy (dont Budy), et enfin à Orla (auquel Galew, Olędry et Cegielnia étaient subordonnés). Il faut noter aussi que d’après les registres paroissiaux, Cegielnia, qualifié de praedium a dû comporter la présence d’une ferme domaniale, ou peut-être seulement de bâtiments annexes du folwark de Orla.

Ainsi s’éclaire le parcours de notre Marianne au départ anonyme servante de Orla : elle bouge manifestement d’un folwark à l’autre, bousculée par ses veuvages et remariages certes, mais déplacée sans doute également en fonction des besoins en main d’oeuvre.

La grand-mère maternelle de Rosalie GRODZICKA sera donc définie simplement comme une certaine Marianne, une « travailleuse » dont la mobilité resta circonscrite à l’intérieur de trois folwarki de Koźmin et qui fut -peut-être -originaire de Kaniew.

Marianne, même réduite à l’épaisseur d’un prénom, a su nous entraîner sur une piste qui, toute pétrie d’amertume et d’anonymat qu’elle fût, a contribué à jeter d’utiles lueurs sur notre passé familial : à ce titre, elle mérite de figurer en bonne place et avec les honneurs sur notre arbre généalogique !

 

Vous aviez dit : casse-tête ? Que d’exagération ! Il suffisait de quelques recherches pour que, tout mystère cessant, votre Rosalie se rende à merci !

Ecrivez, d’une plume légère et en toute décontraction, écrivez donc les noms de ses ancêtres paternels : Rosalie GRODZICKA, mais c’est bien sûr l’héritière de Pierre PACIOREK, lui-même fils de Valentin KANIEWSKI qui fut engendré par Pierre SOŁTYS !

Et sur le même mode de transparence biblique, déclinez-nous les noms de ses parents du côté de la maternelle quenouille : Rosalie, bon sang, mais n’est-ce pas la fille de Marcianne SZYIA, laquelle se trouve être, vous le savez bien, la propre soeur germaine de Jean NOWAK et de Woïtek SZYMCZAK, et de laquelle le père n’est autre que ce Simon de Cegielnia, un peu STRYI, un temps DYMELCZAK, un rien beau-frère, par Marianne sa femme, de Valentin KANIEWSKI ?

Après quoi, s’il vous plaît, s’il-vous-plaît !!, ne nous parlez plus de noms de famille!

Mais puisque désormais tout est clair, racontez-nous, plutôt, l’histoire de votre Rosalie GRODZICKA. Vous pourriez commencer comme suit:

«  Lorsqu’il épousa, en secondes noces, Rosalie GRODZICKA, le lundi 18 mai 1840, André RZEPKA alias ORPEL se doutait-il que la mariée apportait en dot … un beau casse-tête généalogique ?  ».

Post Scriptum