Regardons un moment, avec les yeux de Rosalie, le monde où se jouèrent les événements fondamentaux de sa vie (ceux que les registres tenus par l’Eglise nous rendent accessibles).

Ce monde tient … dans l’espace de deux paroisses, l’urbaine Koźmin, distante de la rurale Wałków de seulement 8 kilomètres.

Nous sommes aux confins sud-orientaux du « duché de Posen », terre polonaise dévolue au royaume de Prusse par les traités de Vienne de 1815.

Koźmin et sa voisine Wałków, en tant que chef-lieux de paroisse, « desservent » à elles deux une vingtaine de villages ou hameaux différents, tous inclus depuis des temps immémoriaux dans le même énorme domaine seigneurial (clavis Cosminensis) que de puissants magnats, les princes SAPIEHA, ont détenu de 1700 à 1791, et qui est échu, entre cette date et 1836, à la famille des KALKREUTH, avant d’être partagé en 1841.

Dans cet ensemble, trois localités ont compté successivement Rosalie au nombre de leurs habitants: en premier lieu, Cegielnia, où elle vécut avant son mariage ; ensuite Olędry Polskie, où naquirent ses deux enfants légitimes : de là, il y avait à marcher 6 à 8 bons kilomètres pour gagner l’église de Koźmin. Et finalement, depuis le village de Galew, où elle demeura au soir de sa vie (où étaient déjà morts ses beaux-parents, et où décéda son mari), l’accomplissement du devoir dominical lui coûta encore un effort de 6 kilomètres, mais, désormais, en direction de l’église de Wałków.

Même s’il y a eu quelques déménagements, on ne parlera donc pas de Rosalie comme d’une personne très mobile … D’autant que de Cegielnia à Galew en passant par Olędry Polskie, si l’on franchit une « frontière » paroissiale, on ne parcourt que 4 kilomètres … Bref, un petit terroir, des horizons bornés, un monde étroit.

Une autre étroitesse, existentielle, caractérise le monde de Rosalie Le maître-mot, celui qui fut aussi le mot de la fin (il figure dans l’acte de décès de Rosalie), c’est la pénurie, la disette. André et sa femme ont vécu, comme on dit de nos jours, sous le seuil de pauvreté, comme tant d’autres prolétaires ruraux dont le nombre se multiplie à l’époque. Celle qui fut d’abord une fille-mère devint la compagne d’un veuf que les actes des registres paroissiaux qualifient de berger, de vacher, d’ouvrier agricole …, et qui connut à l’évidence la précarité de l’emploi. Rares durent être les années de vaches relativement grasses au cours de leurs quelque 16 ans de survie commune.

 

A prendre les choses statistiquement, et à recourir aux graphiques dressés par les historiens pour la population de la Poznanie tout entière au XIXe siècle, on observe, entre 1848 et 1856, une hausse significative du nombre des décès, et, au cours de cette période néfaste, on note que les courbes dessinent en effet trois pics, trois typiques « clochers de mortalité » révélant sinistrement les dates où le nombre des cercueils dépassa, et de beaucoup, celui des berceaux.

1856 fut au nombre de ces années noires : ce fut l’année où l’on creusa la tombe de Rosalie et de son conjoint, qui eurent donc droit à une mort … démographiquement correcte.

André était alors atteint de la maladie du siècle, la tuberculose, et son état de santé contribua sans doute à aggraver la situation matérielle du ménage, en contraignant peut-être Rosalie à aller mendier des secours de village en village, car elle mourut non pas à Galew mais à Obra Stara (dans la même paroisse de Wałków cependant). En tout cas, disette pour l’une, phtisie pour l’autre, Rosalie succomba le lundi 14 avril de cette année funeste et André lui survécut jusqu’au lundi 28 du même mois. Leur fils Mathias était âgé de 15 ans.

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