Maintenant que nous avons jaugé, mesuré, estimé à l’envi … les droits de Rosalie GRODZICKA et de son père dit PACIOREK à l’héritage des SOŁTYS KANIEWSKI, tournons-nous vers Marcianne, c’est-à-dire vers le nom de SZYIA qui semble légitimement devoir lui revenir, et regagnons par conséquent le village de Cegielnia, seul endroit où la présence de SZYIA soit manifeste dans la première moitié du XIXe siècle.
Hélas, nous savons pertinemment que nous allons au-devant de nouvelles difficultés, puisqu’en amont de 1800, les registres de baptêmes ou de mariages de Koźmin s’en tiennent sur les SZYIA à un silence absolu.
Mais l’habitude est dorénavant bien ancrée, on ne saurait rendre les armes sans avoir au moins livré bataille. Opportunément, nous savons que nous disposons d’un allié en la personne de Woïtek SZYIA alias SZYMCZAK, déjà cité précédemment. Supposons-le frère de Marcianne, et voyons le parti qu’il sera possible d’en tirer …
L’oncle présumé de Rosalie est observable de 1810 à 1837 (où il meurt de phtisie), successivement époux de Françoise (décédée à la Noël 1819) et de Barbara ANDRZEYCZANKA, celle-ci fille de berger. Paysan sans terre, Woïtek semble n’avoir jamais bougé de Cegielnia, où il est connu sous les deux noms de SZYIA et de SZYMCZAK, pratiquement utilisés en alternance, et parfois simultanément, dans les actes dressés à l’occasion des onze baptêmes de ses enfants et à celle des décès familiaux.
SZYMCZAK appartient à la catégorie des noms construits à partir d’un prénom : il équivaut à « fils, descendant de Simon » (Szymon, en polonais). Des noms de ce type se forment couramment aux XVIIe et XVIIIe siècles, et encore au début du XIXe. Il est donc légitime de se demander si, par hasard, notre Woïtek ne serait pas effectivement le fils d’un Simon.
Hypothèse facile à tester : pour Koźmin aussi et les localités qui en dépendent, nos fiches familiales sont prêtes, couvrant exhaustivement la période 1758-1825.
Cegielnia a bien son Simon (c’est d’ailleurs le seul), père d’un Woïtek né en 1787. L’ennui, c’est que sa fiche ne comporte aucune enfant prénommée Marcianne.
Faut-il disqualifier ce Simon pour ce seul motif et renoncer du même coup à l’unique piste sérieuse que nous possédions ?
Ce serait faire preuve de trop de légèreté ; en outre, nous avons au moins une bonne raison de « tenir » à notre Simon de Cegielnia. Si Woïtek est né en 1787, un intervalle de près de sept années le sépare de ses deux sœurs aînées, Agnès et Thècle, pour leur part nées en 1778 et 1780. L’anomalie démographique que représente cet intervalle vide d’enfants se verrait heureusement corrigée si une Marcianne venait au minimum s’y insérer.
Au minimum, car on a dépisté un autre SZYMCZAK probable rejeton du même Simon. Le cheminement de la découverte est sobrement classique : on relève d’abord qu’en 1813, une fille de Woïtek SZYIA a pour marraine une Marguerite SZYMKOWA, dont elle reçoit d’ailleurs le prénom. Vérification faite, cette Marguerite est identifiée comme étant la femme d’un Jean SZYMCZAK, qui lui fait onze enfants de 1806 à 1827. Ce dernier n’est jamais désigné du nom de SZYIA, en revanche il porte parfois celui de NOWAK (qui est le nom de jeune fille de Marguerite), et c’est en tant que Jean NOWAK qu’on le retrouve en 1823 parrain d’un autre enfant de Woïtek. Ledit Woïtek, du reste, lui rend la pareille en 1827 : la dernière-née de Jean et de Marguerite est sa filleule. Bref, les indices concordent assez pour que Jean SZYMCZAK dit NOWAK soit reconnu comme frère de Woïtek SZYIA dit SZYMCZAK ainsi que de notre ancêtre Marcianne SZYIA ; une des filles de Jean, née en 1819, ne porte-t-elle pas significativement ce prénom de Marcianne ?
En 22 ans de mariage, Jean et Marguerite SZYMCZAK ont doucement dérivé autour de Koźmin : domiciliés d’abord à Olędry, puis à Orla, un moment à nouveau à Olędry, ensuite à Mogielnica et à Cegielnia, ils se fixent, enfin, dans le village de Obra, où Marguerite décède en mai 1828, donnant à son compagnon la faculté de contracter cinq mois plus tard une nouvelle union avec une veuve de Wałków, Josèphe SMURZYNA (née GABRYELANKA alias KOSTOJOWNA) : ce qui amène Jean à déménager dans cette dernière localité, et c’est là que son existence s’achève en 1832.
La première épouse de Jean, Marguerite NOWAK, mérite une mention particulière : native d’Olędry, elle est issue d’un père meunier (MŁYNARZ, molitor), André, qui a épousé en 1785 à Wielowieś une Marianne, la propre fille de Valentin KANIEWSKI et de sa première femme Hedvige MASŁOWSKA !
Simon de Cegielnia aurait donc vu deux de ses enfants faire alliance dans la maison du sołtys de Kaniew : Marcianne, avant 1801, avec un fils, et Jean, avant 1806, avec une petite-fille de Valentin. Cupidon, paraît-il, décoche ses flèches amoureuses les yeux bandés, mais, en l’occurrence, les raisons de ce double mariage doivent plutôt être recherchées du côté d’une stratégie d’intérêt tissant entre deux familles des liens de solidarité.
Un autre point commun généalogique réunit Marcianne et Jean, l’absence de bulletin de naissance. C’est agaçant, mais on a vu que le nom de SZYMCZAK, replacé dans son contexte, délivre de lui-même une précieuse information sur la filiation qu’on cherche à démontrer.
En attendant de découvrir, un jour, dans une paroisse plus ou moins proche, l’acte de baptême, s’il existe encore, qui permettra d’établir de manière irréfutable la filiation de Marcianne SZYIA, la politique la plus sage consiste, en bonne méthode, à cerner au plus près celui dont on s’attend à authentifier la paternité.
Simon, que nos registres ne nomment nulle part SZYIA, souffre d’un grave déficit d’identité : le 16 novembre 1773, quand il se marie, on ne donne pas son nom de famille. On indique seulement qu’il est célibataire, valet de ferme (famulus) et originaire d’Olędry. Il se fixe à Cegielnia, qui est le village de sa femme Madeleine DYMLOWNA. Deux filles naissent, Hedvige et Catherine. Au baptême de la seconde, en avril 1777, on enregistre pourtant le couple Simon et Madeleine sous le nom de STRYI (inusité dans la paroisse, mais « stryj » en polonais veut dire oncle paternel). Peu après, le 29 juin 1777, Simon convole pour la deuxième fois, sous les auspices du nom de DYMELCZAK, hérité de Madeleine (dont l’acte de sépulture n’a pas été trouvé, mais dont la mort est indirectement prouvée au décès de sa fille Hedvige en 1779, puisque celle-ci est déclarée alors « fille de Simon et de défunte Madeleine », filia Simonis et olim Magdalenae ).
Sauf en ces deux occasions, l’anonymat est donc de règle : tout au plus, Simon apparaît-il qualifié du terme latin d’ inquilinus (un mot qui désigne le paysan dépourvu de terres, soit le « komornik » qui loue une pièce chez quelqu’un, soit le « chałupnik » qui possède sa maison).
Une sécheresse identique préside à la rédaction de l’acte qui clôture officiellement le passage sur terre de notre Simon, disparu à 60 ans le 15 février 1806 : on y lit seulement un laconique, mais éloquent « pauper » (pauvre). Sa veuve, Marianne, lui survivra de longues années encore : elle ne décédera que le 24 novembre 1820, âgée de 78 ans et dite alors, très logiquement, SZYMCZAKOWA.
Demeure jusqu’au bout obscur le cheminement qui a conduit les enfants de Simon à endosser le nom SZYIA : s’agit-il d’un héritage ou d’une acquisition ? Il faut bien éluder cette question, puisqu’on n’a pas les moyens d’y répondre.
Ce n’est point faute de ne pouvoir percer la signification de ce nom : szyja est le mot qui désigne en polonais le cou, une partie du corps qui, parmi d’autres, a donné naissance à un nom propre, appartenant à la famille de ces sobriquets pas très charitables qui viennent souligner une particularité ou une disgrâce physiques.
L’étonnant, dans cette affaire, est ailleurs : contrairement aux registres de baptêmes ou de mariages, qui ne pipent mot des SZYIA, ceux des sépultures trahissent, contre toute attente, leur présence !
Voici, le 2 avril 1771, une Catherine SZYINA, « komornica » (locataire) de Orla, qui rend le dernier souffle à 96 ans. Le 20 avril 1766, c est encore un Martin SZYIA qui meurt à Cegielnia, où un Thomas SZYIA est aussi disparu le 29 avril 1740. Voilà de quoi en théorie composer une famille, mais il n’a pas été possible de lier ces individus entre eux, ni à Simon ou à l’une de ses deux femmes.
En vérité, les deux premiers SZYIA cités se retrouvent aussi, à bien y regarder, dans les autres livres de catholicité, mais jamais comme parents : Catherine, de Mogielnica ou de Cegielnia, est plusieurs fois invitée comme marraine, en 1730, 1732, à la fin des années quarante et au début des années cinquante. Martin est témoin de mariage à deux reprises en 1753. Une Hélène SZYINA, de Mogielnica, est marraine en 1747 mais il s’agit peut-être, en l’espèce, de l’une de ces erreurs de prénom dont les registres de Koźmin, à l’époque, s’avèrent fréquemment coupables.
En outre, une mention, pareillement solitaire et funéraire, d’une Anne SZYINA a été trouvée, mais à Dobrzyca, bourgade voisine de Olędry et de Cegielnia, siège d’une paroisse autonome : mention précieuse puisque datée du 5 mars 1696. Ainsi, étrangement, le nom SZYIA jouit, sur le terroir où nous menons nos recherches, d’une ancienneté tout à fait vénérable, et se perpétue durant un bon siècle, sans qu’ait jamais été enregistré le moindre mariage, ni la moindre naissance d’un représentant de cette famille ! Mais rien ne prouve, au fait, qu’il s’agisse d’une famille. Un nom de terre, ou de maison, qui se serait transmis aux occupants successifs, en dehors de tout lien de parenté et de toute hérédité ? On peut envisager, sans certitude, cette solution.
Ce qui est sûr, à l’inverse, c’est que le nom des SZYIA ne peut plus être considéré comme de provenance récente et extérieure à la paroisse de Koźmin. Malgré le flou de nos informations, les traces recueillies in situ esquissent comme la « préhistoire » du nom porté par Marcianne et son frère Woïtek, et cette préhistoire qui remonte à la fin du XVIIe siècle, se trouve liée aux localités très proches de Cegielnia, Mogielnica, Orla et Dobrzyca.