Il était une fois, au bord de la Wisla, un puissant roi nommé Beskid et sa douce épouse Borana. Ensemble, ils régnaient sur un royaume aux forêts profondes et aux crêtes baignées de lumière. Ils furent comblés de joie lorsque vinrent au monde leurs filles — deux jolies rivières. Toutes deux jaillirent en même temps d’une source unique sur les pentes du mont Barania Góra.
La première vive et espiègle, fut appelée Biała (la Blanche), car elle bondissait joyeusement parmi les rochers, éclaboussant d’écume, filant à toute vitesse dans les pentes, s’amusant avec les rayons du soleil.
La seconde, plus réfléchie, descendait lentement et prudemment le flanc de la montagne. Elle cherchait volontiers l’ombre, aimait les vieux arbres puissants et les rochers couverts de mousse. Ses parents l’appelèrent Czarna (la Noire).
Le roi des Beskides se réjouissait en regardant ses filles, mais il savait qu’un jour viendrait où elles devraient quitter la montagne.
— La nature d’une rivière est de couler — expliquait-il à Borana, qui aurait préféré garder les enfants près d’elle.
— Qu’elles descendent vers les vallées, et tu verras les champs assoiffés reverdir, les prairies fleurir…
— N’oubliez pas les forêts ! — cria encore la mère, tandis que, le cœur serré, elle regardait les deux ruisseaux disparaître au loin dans un clapotis joyeux. Chacune suivait sa propre voie : Biała à travers les clairières baignées de soleil, Czarna dans les bois mystérieux.
Quelle ne fut pas leur joie lorsqu’elles se retrouvèrent au pied des montagnes ! Dans un grand éclat d’eau et de rire, elles se jetèrent l’une dans les bras de l’autre.
— Ne nous séparons plus jamais — jurèrent-elles. Et, unies, elles devinrent une seule et grande rivière.
La rivière s’en alla, courant à travers champs et forêts, tantôt bondissante, tantôt s’élargissant doucement. Un jour, elle se heurta à un chevalier de pierre, Czantor.
— Reste avec moi — lui dit-il. — Arrose ma terre de tes eaux, et je t’aimerai et te protégerai comme le plus précieux des trésors.
La rivière fut touchée par les paroles de ce jeune homme de pierre, mais en même temps, une force mystérieuse l’attirait toujours plus loin.
— Pourquoi veux-tu aller vers l’inconnu ? N’est-ce pas magnifique ici ? — insistait Czantor.
— J’enverrai seulement une vague — décida-t-elle. Qu’elle aille voir quels sont les champs et les forêts là-bas.
— À bientôt, vague partie — lui dit-elle en l’adieu. — Reviens me dire ce que tu as vu.
Et la vague s’élança, frémissante, joyeuse, caressant les pierres sur son passage. Bientôt, elle fut rejointe par des ruisseaux de champs, des torrents de forêts, et même des cours d’eau plus grands, qui n’osaient s’aventurer seuls vers l’inconnu.
Enrichie par ces nouvelles eaux, la vague avançait hardiment, observant avec curiosité les terres traversées.
— Oh, que c’est beau! — soupirait-elle en admirant les rochers brillant au milieu de la verdure.
— Eh bien, eh bien — murmurait-elle émerveillée en voyant un puissant château perché sur une colline.
Mais soudain, un monstre vert crachant du feu surgit d’une grotte. La vague, épouvantée, lui jeta de l’écume au visage et s’éloigna au plus vite.
Elle continuait à couler paisiblement, étalée.
— Peut-être devrais-je revenir — pensait-elle parfois, mais la curiosité la poussait toujours en avant.
— Encore un petit détour, encore ce virage… — se disait-elle.
Un matin, elle aperçut un village. Les habitants s’agitaient, discutaient, cherchaient quelque chose.
— Cache-moi — entendit-elle soudain une voix douce, et elle sentit qu’une étrange silhouette glissait entre ses eaux — ni femme, ni poisson…
— Je voulais être leur chant et leur joie, pas leur esclave — murmura-t-elle avant de se cacher dans les roseaux au bord de l’eau.
— Puisse-t-on te comprendre — soupira la vague, puis elle continua sa course.
Elle ne pensait plus à revenir. Une force étrange l’attirait vers le nord. Elle rêvait de quelque chose de grand et de mystérieux. Elle sentait que son voyage approchait de sa fin.
Un matin, elle aperçut un vol d’oiseaux blancs. Ils ne chantaient pas comme ceux des montagnes, mais criaient gaiement. L’odeur salée devenait de plus en plus forte. Soudain, les voiles des navires se dessinèrent à l’horizon. Encore un instant, et le voilà : la mer, immense, infinie, aux crêtes blanches.
La vague savait que si elle se joignait à la mer, elle ne reviendrait jamais dans ses montagnes natales. Et pourtant, elle ne pouvait résister…
En vain, on l’attendit au pied des Beskides. En vain, la rivière envoya vague après vague à sa recherche. Aucune de celles qui étaient parties ne revint. Toutes se jetèrent dans la mer.
De toutes ces vagues naquit le plus grand fleuve de Pologne — non plus une simple « vague », mais la Vistule. Même les deux petits ruisseaux nés au pied du mont Barania Gora furent appelés d’après elle : la Biała et la Czarna Wisełka.
Depuis des siècles, la Vistule parcourt le pays des montagnes jusqu’à la mer. Elle traverse villages et villes, porte les bateaux sur ses flots, et écoute les légendes que les gens inventent à son sujet.
Aleksandra



