À quoi me fait penser Noël ? Ce mot éveille en moi toute une gamme de sentiments et m’évoque l’ambiance des préparatifs des fêtes, le réveillon avec le sapin, les chants de Noël et… ma grand-mère bien-aimée qui nous a quittés la veille de Noël, il y a bien longtemps. Je pense aux cadeaux, pas forcément à ceux que j’ai reçus, mais aussi à ceux que je cherchais fébrilement pour mes proches, très souvent au dernier moment avant les fêtes. Mais le souvenir qui occupe une place particulière dans mon cœur, et que je garderai toute ma vie, c’est opłatki wigilijne, le pain azyme de la veillée de Noël.
Le pain azyme est un élément indissociable des souvenirs tendres de l’enfant que j’étais, fille de « Monsieur l’organiste ». Mon père travaillait comme organiste dans une église catholique d’une petite ville proche de Varsovie. Il a exercé ce métier pendant 40 ans, et sans aucun doute, son travail était sa passion. Une de ses tâches consistait à préparer et vendre les pains azymes aux paroissiens.
Dès la fin octobre commençait « la fièvre des pains azymes ». Il fallait préparer de petits paquets à l’avance pour que mon papa ait le temps de les distribuer dans chaque foyer. Ma maman et moi participions à ce travail. Il fallait prendre deux grands pains azymes, les disposer de sorte que leur face soit visible, les glisser dans un sachet transparent, puis y ajouter deux petits pains azymes et une étoile. Ensuite, je les regroupais par paquets de cinquante. J’adorais faire ça.
J’attendais novembre avec impatience pour aider Papa dans ces préparatifs. Et comme tout enfant, j’adorais le goût du pain azyme. Papa m’autorisait à manger uniquement ceux qui étaient cassés, et c’était la meilleure récompense pour mon travail. Je me souviens de mon dilemme d’enfant : « Est-ce que ce serait un grand péché si je les serrais un peu trop fort pour qu’ils se cassent et deviennent ainsi ‘mangeables’ ? » D’habitude, je ne le faisais pas : j’étais une enfant consciencieuse et sérieuse. Aujourd’hui encore, je me souviens de ces dilemmes et de mes remords lorsque je contribuais volontairement à augmenter le nombre de pains azymes abîmés.
Mon papa est parti rejoindre ma grand-mère. Les nouveaux organistes n’ont pas repris cette coutume. Désormais, pour en acheter, il faut se rendre à l’église ou… au supermarché. Eh oui, on est tellement pressé, on a tant de choses à acheter : des friandises, des cadeaux… Les pains azymes remplissent les rayons des supermarchés. En faisant ses courses, on passe devant ce rayon et on se dit : « Ah ! Il faut le pain azyme pour le réveillon. » Et hop, on l’ajoute dans le chariot. Qui aurait le temps, dans cette ruée des préparatifs, d’aller exprès à l’église ou au bureau d’un prêtre pour les acheter ?
Évidemment, je ne veux pas dire par là que tous les Polonais achètent leur pain azyme au supermarché. Heureusement, nous n’en sommes pas là. Mais je crains que notre tradition d’acheter le pain azyme chez l’organiste ou le prêtre soit en train de disparaître tout doucement. Et c’est bien dommage. À mon avis, l’un des points forts des Polonais, c’est justement la tradition, et surtout celle liée aux fêtes.
Je n’habite plus en Pologne depuis sept ans. J’ai d’abord vécu en Hollande, et je vis maintenant en France. Les traditions polonaises me manqueraient toujours à l’étranger. Je dis « manqueraient » et non « manquent », parce que je passe Noël en Pologne. Jusqu’à présent, j’ai eu la chance de pouvoir y retourner chaque année pour les fêtes, auprès de mes parents et de mes proches. Je sais que sinon, cette ambiance de fête me manquerait, ainsi que mes parents, les plats polonais et le partage du pain azyme avec mes proches le 24 décembre. La veillée de Noël et le partage du pain azyme ne font pas partie des traditions hollandaises ni françaises. J’essaie, d’une certaine manière, d’introduire cette coutume auprès de mes amis étrangers. La plupart des Polonais vivant à l’étranger perpétuent cette tradition.
Mais je reviens avec nostalgie à cette époque de « fièvre des pains azymes », une époque que je ne vivrai plus. Je profite de l’occasion pour souhaiter à tous les lecteurs de ce site Internet, Beskid.com, un Joyeux Noël en famille ou entre amis. Arrêtons-nous un moment pour penser avec douceur aux traditions des fêtes : celles que nous perpétuons et aussi celles que nous ne cultivons plus.
Bonnes fêtes !
Agnieszka Rusinowska