L’aube n’avait pas encore éclairci le ciel, quand le vieux sonneur de clairon commença à gravir une à une les marches de la tour Mariacki. D’habitude il dormait encore à cette heure, mais cette nuit il avait été tourmenté par des cauchemars, un mauvais pressentiment. Rien d’étonnant, tout le monde en ville parlait des Tatars… La vérité était que partout où ils se montraient, ils ne laissaient derrière eux que villages incendiés, villes saccagées, sang et larmes.

Le trompettiste regarda par la lucarne. La ville dormait. Des lambeaux de clair de lune glissaient sur les toits des maisons et les tours des églises.

Tout était calme et silencieux.

– Je vais peut-être sommeiller encore un peu, moi aussi – pensa le vieux, s’installant confortablement sur le banc dans le coin.

Il s’efforça de dormir, mais le sommeil ne vint pas. Le point du jour était proche.

Il s’approcha à nouveau de la fenêtre. Cette fois il dirigea son regard vers les champs qui s’étalaient loin au-delà des remparts de la ville. Soudain il se raidit. Au loin il apercevait des ombres qui se mouvaient en silence. Il se frotta les yeux. Non, il ne se trompait pas. Presque couchés sur la croupe de leurs petits chevaux, les Tatars s’avançaient vers Cracovie.

 

– Sainte Mère ! – le joueur de clairon se prit la tête dans les mains. – Ils vont surprendre la ville endormie, ils vont faire un massacre !

Sans plus réfléchir, il porta le clairon à sa bouche. Dans le silence nocturne retentit le son du clairon, plus fort qu’à l’accoutumé, insistant.

Les gens de Cracovie sautèrent sur leurs pieds. Que se passe-t-il ? Mais la nuit n’est pas encore finie ! Le clairon sonne l’alarme !! Ils se ruèrent hors des maisons et en un instant comprirent tout. Les Tatars ! Les Tatars à nos portes ! Aux remparts ! Aux armes !!!

Chacun se saisit d’une arme et courut combattre. Les femmes et les enfants se réfugièrent dans les églises et tombèrent à genoux en priant pour la victoire.

Aux remparts le combat faisait rage. D’en haut dégringolaient des pierres sur les assaillants, on déversait des seaux d’eau bouillante. Les flèches tatares sifflaient férocement aux oreilles des défenseurs.

De la tour Mariacki le clairon retentissait toujours – il embrasait les cœurs, il exhortait au combat.

 

Les Tatars comprirent qui avait averti les habitants paisiblement endormis. Ils ne cessaient de jeter en direction de la tour des regards haineux, dans l’espoir de repérer l’homme caché derrière le clairon doré. Finalement, plusieurs archers en même temps tendirent leur cordes – les flèches sifflèrent sinistrement. Le chant du clairon s’arrêta brusquement, comme étouffé au milieu de la note. Quelqu’un courut à la tour. Trop tard. Le vieux sonneur de clairon était mort. La flèche tatare lui avait transpercé la gorge. À côté de son corps la trompette gisait à terre…

Le pauvre joueur de clairon n’assista pas au triomphe de Cracovie. Il ne goûta pas à la victoire à laquelle il avait tant contribué.

Sauvée, Cracovie le remercia par cette belle légende. De nos jours encore, l’air joué dans la tour Mariacki s’arrête brutalement – de la même façon qu’autrefois la vie du vaillant sonneur de clairon.

 

 Mik et Christian, d’après une légende traditionnelle polonaise