AuschwitzIl y a des endroits que l’on n’aimerait jamais avoir à visiter. Des endroits synonymes de barbarie, témoignage d’un passé récent que l’on ne saurait oublier.
Auschwitz fait parti de ces endroits, de ces moments de notre vie qui resteront à jamais gravés dans nos mémoires.
Et encore, nous ne sommes que des visiteurs, pas des témoins de l’histoire. Nous ne sommes présent dans ce camp que pour essayer de comprendre l’incompréhensible, pour essayer d’imaginer l’inimaginable. Les témoins ont survécu à cet enfer, nous, nous ne faisons que passer.

Ma première visite à Auschwitz date de 1986. A cette époque, les touristes étaient moins nombreux en Pologne. C’était le temps des restrictions, des privations, du communisme dans une Pologne qui est restée malgré tout accueillante à l’extrême. Les traditions ne se perdent pas. Des traditions vivaces jusqu’à ce sinistre portail « Arbeit macht frei. » Le travail rend libre ! Le cynisme des nazis n’avait pas de limites.

 

Auschwitz

 

 

Même si je me trouve au cœur d’un groupe pour mon séjour en Pologne donc également pour la visite du camp, je laisse filer les autres quelques minutes après avoir passé la grille. Je préfère être seul, je préfère laisser mon esprit errer. En fait et pour être tout à fait exact, je reste accompagné encore de long moment par mon ami Günter.

AuschwitzGünter est Allemand. C’est mon ami, un vrai, presque mon frère. Le fait qu’il soit Allemand ajoute du poids à cette visite. Il n’y est pour rien, il est trop jeune, comme moi, il n’a pas connu cette époque. Nous n’avons pas besoin de nous parler. Il n’y a pas de gêne. Nos regards se croisent. Je comprends, il comprend. Nos chemins vont se séparer un peu plus tard. Comme moi, il finira la visite en solitaire. On se retrouvera dehors, le cœur chargé d’émotions.
Les allées sont larges, bien entretenues. Les barbelés et les miradors sont là pour nous rappeler que nous ne sommes pas dans un parc d’attraction. Combien de personnes ont préféré se jeter contre ces clôtures plutôt que de survivre encore quelques temps dans des conditions atroces ? Je regarde mes pieds. Il a plu cette nuit en Pologne, le sol est détrempé. Mes traces de pas deviennent un océan de boue dans lequel patauge pieds nus et dans le froid des milliers de personnes qui n’ont même plus droit au titre d’êtres humains.
D’où viennent-ils ? Qui sont-ils ?

Le long des barbelés, derrière le mirador, je crois entendre le hurlement d’un garde, les aboiements des chiens. Des plaintes s’élèvent, des balles fusent. Et puis, d’un seul coup, le silence. A cet endroit, contre ce mur, combien de personnes ont été exécutées ? Les impacts des balles sont encore dans la pierre. Je dépose une simple rose que je place après un moment de recueillement au milieu des autres. Un modeste hommage aux millions de morts victimes de la barbarie. Des blocks se dressent devant moi. Je finis par rentrer, sans trop savoir ce que je vais trouver à l’intérieur. Des grandes salles, des photos, des noms, des souvenirs. Des bagages avec encore dessus le nom du propriétaire, des prothèses, des montagnes de cheveux. Les nazis gardaient tout, recyclaient tout. La logistique était énorme, bien huilée.
Au sous-sol des cachots humides. Facile d’imaginer ici les conditions d’un détenu qui n’allait survivre que quelques heures.

Ailleurs, encore des vêtements et effets personnels, des chaussures, des affaires de bébé, une poupée de chiffon. Qui était-elle cette petite fille ? Etait-elle la descendante d’un de ces millions de juifs polonais qui étaient venus des siècles en arrière chercher la paix et la tolérance en Pologne alors qu’ils étaient déjà persécutés ailleurs en Europe ?
Venait-elle d’Europe de l’Est, d’Allemagne, de France, dénoncée ou vendue par un voisin complaisant avec l’occupant nazi ? Nul ne pourra le dire.

Il faut que je sorte d’ici, j’ai besoin d’air. J’ai honte. Ceux qui étaient ici avaient eux aussi besoin d’air, mais eux, ils ne pouvaient pas sortir. La liberté que je possède me semble tout à coup beaucoup plus appréciable.

Ma première visite se terminera comme presque tout le monde par les chambres à gaz et le crématoire. Maintenant ma tête est pleine, je n’arrive plus à me concentrer, tout se mélange.
Un peu plus tard se fera la visite d’Auschwitz II à Birkenau.

Il me faudra un grand moment pour arriver à retrouver tous mes esprits, deux autres visites à Auschwitz et de longues années avant de pouvoir écrire ces quelques lignes.

Auschwitz

Auschwitz est un passage obligé lorsque que l’on se rend en Pologne. Le « plus jamais ça » trop souvent galvaudé prend ici sont véritable sens.

Stéphane